Le guide VICE de la trentaine pour les mecs


(photo : robertfosterorbertfoster.tumblr.com)

Les problèmes déferlent souvent en même temps lorsque vous passez le cap de la trentaine. C’est ce qu’on appelle, dans la langue des gens du monde, un torrent de merde. Le pire est sans doute d’évoquer ce « cap » avec des homo sapiens que vous côtoyez au quotidien – en gros, des collègues qui portent des t-shirts à message, des meufs qui ne jurent que par les soirées événementielles et des gays qui ne jurent que par les soirées gays.

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Je peux vous résumer dès aujourd’hui les bribes de conversations auxquelles vous aurez droit si vous êtes un gars qui vient de fêter ses 30 berges : « Putain mec, mes cuites sont de pire en pire », ou encore « Putain mec, tu te rappelles quand on mettait des casquettes ? Putain on se fait vieux ! » voire « Putain mec, c’est pas pour dire mais sérieusement, payer un mois de salaire aux impôts, voilà quoi… » En gros, tout cela en dira long sur les névroses qui gangrènent ceux qui ne sont désormais plus jeunes mais pas encore tout à fait vieux. Coincés dans cet entre-deux mou du genou caractéristique de la gauche de gouvernement française, les trentenaires dissimulent des angoisses sibyllines, une insécurité chronique et une haine grandissante pour ceux qu’ils ne sont plus – les jeunes béotiens – et ceux qu’ils ne veulent surtout pas être – les vieux de droite. Et tout cela alors que la guillotine de la quarantaine approche à grands pas, celle qui décapitera définitivement les rêves adolescents de grandeur – genre, changer le monde, rédiger une nouvelle, diminuer votre empreinte carbone, rencontrer Pierre Rabhi.

Par conséquent, il convient d’aborder le sujet avec sérieux afin de vous comporter au mieux lorsque vous passerez cette étape décisive de votre vie. Alors, allons-y : voici un guide à destination des hommes, afin d’atterrir en toute délicatesse sur le matelas bancal de la trentaine.

Soyez digne sur les réseaux : fermez-la


(photo : robertfosterorbertfoster.tumblr.com)

Bon, précisons-le tout de suite : tout le monde se fout de ce que vous pensez. Il en a toujours été ainsi. Vos parents n’en avaient rien à foutre quand vous pleuriez lorsqu’ils vous cuisinaient des brocolis à la vapeur, votre ex n’en avait rien à foutre quand vous reprochiez au monde d’être un endroit cruel. Votre vie n’est pas foncièrement plus intéressante que celle des autres, même si vous pensez le contraire. Alors, à 30 ans, il est temps d’abandonner les posts politiques sur Facebook – « de toute façon, aujourd’hui, la droite et la gauche, ça n’existe plus – il n’y a plus que les ultralibéraux d’un côté et les Résistants de l’autre » – et les tweets enflammés – « Putain, mais vous allez vous bouger le cul un peu, le monde est à vous !!!! #TheWorldIsYours #empowerment #intersectionnalité ».

Même si ce n’est JAMAIS une bonne chose – foutre les gens mal à l’aise n’est pas digne d’une société civilisée et pacifiée – dévoiler vos émotions en public peut passer lorsque vous êtes âgé de 20 ans. C’est l’âge du romantisme exacerbé, de la lecture de Schiller, de l’incarnation du Christian Slater de Heathers ou du Robbie Williams se décolorant les cheveux après avoir quitté Take That. En gros, c’est l’âge de la déraison socialement acceptée et du trop-plein d’émotions.

Néanmoins, les choses changent très rapidement : faire une scène en public après 30 ans fera de vous un être aussi glauque que Courtney Love dévoilant son entrejambe. OK, vous avez encore le droit d’être révolté par l’état du monde mais, par pitié, épargnez à vos amis – qui ne s’intéressent qu’à leur futur prêt immobilier – vos remarques lénifiantes. Vous êtes désormais censé avoir développé des qualités telles que la discrétion et le stoïcisme. Prouvez-le.

Arrêtez d’être outré dès qu’un remake sort en salle

Apprendre que votre grand-père a tué des prostituées avant de jeter leurs corps dans le lac où vous aviez l’habitude de pécher avec lui : ça, oui, ça peut gâcher vos souvenirs d’enfance. Apprendre que Jurassic Park aura droit à sa suite, intitulée Jurassic World : ça, non, ça ne devrait pas gâcher vos souvenirs d’enfance. On parle d’un film comme un autre, hein. Un film avec des dinosaures. Un film avec Jeff Goldblum qui nous parle de la théorie du chaos tout en draguant éhontément une meuf devant son futur mec. Vous pouvez très bien décider d’ignorer un tel film.

Désormais, vous avez 30 ans. N’avez-vous pas d’autres choses à faire de votre soirée que de partager un article dénonçant l’exploitation des films de votre enfance, sachant que lesdits films sont cantonnés à vos dimanches après-midi, lorsque vous avez la gueule de bois ?

Votre corps n’est plus ce qu’il était


(photo : robertfosterorbertfoster.tumblr.com)

Parlons-en, de votre gueule de bois. À partir de maintenant, vos « souvenirs » Facebook et vos photos de vacances vous feront comprendre que vous n’êtes plus ce jeune éphèbe, vif et filiforme qui entamait l’année 2006 avec une confiance démesurée. Le temps a fait son œuvre – dix années de bière blonde de mauvaise qualité, de bouffe de mauvaise qualité et de drogues de mauvaise qualité. Autrement dit, comparé à votre ancien corps, l’actuel ressemble au cadavre boursoufflé d’Orson Welles. Cette particularité déprimerait n’importe qui, c’est normal. N’ayez crainte, il y a deux solutions à ce problème et elles proviennent toutes deux de la Prière de la Sérénité des Alcooliques Anonymes, fortement influencée par l’école stoïcienne :

Mon Dieu,
Donnez-moi la sérénité,
D’accepter les choses que je ne puis changer,
Le courage de changer les choses que je peux,
Et la sagesse d’en connaître la différence.

Tout ça pour dire : si vous êtes victime d’une calvitie, rasez-vous la tête. Si vous devenez gros, arrêtez de manger des burritos tous les midis, buvez moins d’alcool et faites un peu d’exercice. En gros, prenez-vous en main et évitez de reporter la faute sur 1/ le système, 2/ votre mère.

Préparez-vous à assister à de nombreux mariages


(photo : robertfosterorbertfoster.tumblr.com)

C’est à ce moment-là que je dois avouer que cet article est davantage destiné aux hommes-enfants plutôt qu’aux hommes mûrs. Je suis parti de l’hypothèse selon laquelle vous seriez un type pas marié, sans enfants, probablement célibataire, vivant dans une grande métropole et ancré dans une adolescence prolongée.

Bref. Vous avez un costume ? Vous feriez mieux d’en acheter un. Si vous avez été un gars légèrement avenant et aimable au cours des trois dernières décennies, vous passerez les prochaines années à assister à des mariages, allant de la gêne la plus crasse – du type, l’arrière-grand-mère qui claque en plein milieu du toast aux mariés – à la félicité la plus extrême – à savoir : choper une proche de la mariée, sachant que vous êtes vierge de toute relation sexuelle depuis près d’un quinquennat.

Les mariages sont toujours des trucs assez marrants, quoi qu’il en soit : vous passerez votre temps à donner des coups de coude à vos potes et à rire bêtement pendant toute la cérémonie religieuse sous le regard courroucé d’un invité plus âgé, vous prendrez de la coke dans des toilettes portatives, vous tenterez d’intéresser les plus vieux et des couples que vous connaissez à peine en leur expliquant ce qu’est un social media manager, vous flirterez avec des gens avant de vous rendre compte qu’ils sont en couple, vous entamerez une conversation profonde avec un curé après votre sixième pinte, vous danserez avec un jeune gamin qui pensera que vous êtes cool, vous écouterez « Tainted Love » sans sourciller, vous aurez une tache de gâteau sur votre costume, vous le rangerez le lendemain sans prendre la peine de le laver et vous vous en voudrez lorsque vous retrouverez ledit costume – taché – huit mois plus tard.

Préparez-vous à assister à la naissance de plusieurs bébés – tous hideux

Dans un futur proche, attendez-vous à perdre nombre d’amis qui auront décidé de rejoindre les rangs des jeunesses hitlériennes du Monde Libre – c’est-à-dire la paternité. Vous n’aurez aucun droit de vous plaindre ou de gémir parce que c’est complètement ridicule et moralement répréhensible de vous plaindre lorsque votre pote arrête la drogue pour consacrer sa vie à l’éducation d’un enfant.

Voici quelques conseils pour faire face aux enfants de vos potes :

  • Afin d’éviter tout malaise, ne faites pas de commentaires sur le poids ou les traits étranges du nouveau-né, même si celui-ci ressemble au bébé de Rosemary dans le film du même nom. Répétez qu’il est beau ou dites : « Waouh. » Souvent.
  • Pensez à bien soutenir sa tête si vous le portez dans vos bras. N’oubliez pas que le cou d’un nouveau-né est aussi malléable que les convictions de Laurent Wauquiez.
  • Essayez de ne pas être trop bourré et de ne pas prendre de coke à proximité du bébé. Les gens, pour des raisons qui vous échappent sans doute, font très attention à leur progéniture et n’aiment pas que des types se comportent de manière imprévisible aux alentours.

Ne vous prenez pas la tête pour la soirée de vos 30 ans

Vous vous souvenez ? Quand vous étiez à l’école, vos notes constituaient la majeure partie de votre être, avant que vous vous rendiez compte qu’il s’agissait d’une énorme connerie. C’est la même chose avec cette soirée. Tout se passera bien dans tous les cas.

On ne parle pas de votre dernière nuit de liberté avant d’être transféré dans un goulag de Sibérie orientale. On parle d’une sortie dans des bars avec un groupe de personnes adultes, personnes adultes qui vous diront poliment au revoir aux alentours de minuit pour rentrer dormir chez eux avec leur tendre moitié. C’est comme ça, ça ne sert à rien de pleurer comme un gros bébé immature.

Votre groupe ne sera jamais connu, désolé


(photo : robertfosterorbertfoster.tumblr.com)

Ce point s’applique aux mecs qui voulaient devenir des rock stars à douze piges. Pour ceux qui jouent dans un groupe de métal, aucun souci. Dans ce cas-là, vous travaillerez toute votre vie dans la musique parce que tout le monde s’en fout d’avoir affaire à un mec qui porte des vieux habits et qui a le ventre constamment rempli de bière. Mais si vous envisagiez sincèrement de faire des tournées dans des stades (hum…) ou de participer aux Grammy Awards (hum au carré…), préparez-vous mentalement à subir un échec cuisant.

Vous auriez d’ailleurs dû vous y préparer depuis un bail. Si vous faites la même chose depuis 2007 et que personne ne vous a repéré, c’est qu’il y a peut-être quelque chose qui cloche, vous ne croyez pas ? Vous me direz qu’au vu du torrent de merdes diffusé sur les ondes radiophoniques françaises, les mecs de l’industrie musicale ont généralement très mauvais goût, et vous auriez raison. Le truc, c’est que certains sont tout de même compétents et passent leur temps à écouter des groupes de krautrock luxembourgeois pour dénicher les meilleurs. Dont vous ne faites pas partie, c’est une évidence. Séchez vos larmes et dites-vous qu’il n’y a pas de mal à être très compétent dans le community management…

(Et arrêtez d’envoyer des démos de CD à des sites musicaux, les mecs qui bossent là-dedans ont autre chose à foutre et, d’ailleurs, ça fait longtemps qu’ils n’ont plus de lecteurs CD à disposition.)

Vos parents vieillissent et vont mourir sous peu : acceptez-le

Ouais, faites attention à ça. Ils ne sont plus aussi jeunes que par le passé. Ils sont souvent fatigués et vous les entendez s’engueuler à propos du jardin lorsque vous les appelez. Enterrez la hache de guerre au sujet de vieilles querelles adolescentes sans intérêt parce qu’à moins d’être des fanatiques religieux qui vous détestent parce que vous êtes gay, ils sont sans doute cool, au fond.

Vous et votre père supportez la même équipe de foot et votre mère apprécie beaucoup le médoc. Même s’il s’agit de vos seuls points communs, concentrez-vous sur eux. Ne soyez pas une boule d’agressivité parce qu’ils vous avaient demandé de retirer votre anneau dans le nez quand vous aviez 15 ans.

Arrêtez les baskets montantes et les t-shirts moulants


(photo : robertfosterorbertfoster.tumblr.com)

Il est grand temps d’avoir un peu de dignité. Comme toujours, soyez libre de vos actes mais conscient de la cruelle réalité : les baskets montantes (du type Jordan) siéent aux gars vifs, fringants et jeunes. Le genre de gars que vous étiez à 22 ans, en fait. Les t-shirts cintrés siéent aux types décharnés à l’allure absente et grands amateurs d’amphétamines. Le genre de gars que vous étiez à 22 ans, en fait.

Aucun de ces accoutrements ne convient à un type grassouillet, au crâne dégarni et doté d’un double menton – ou d’une absence totale de menton. Vous ressemblez désormais à un grain de raisin dans lequel on aurait planté deux cure-dents. C’est comme ça. Et ne vous mettez pas au running hein, ça, c’est pour les mecs qui vivent mal leur hétérosexualité.

Si vous êtes triste à l’idée de vieillir, c’est parce que vous avez passé du bon temps

Si cette liste de conseils et de froides vérités vous déprime, rassurez-vous : regretter la fin de sa jeunesse n’arrive qu’aux gens qui ont vraiment été jeunes. Souvenez-vous de ce collectionneur de timbres que vous aviez l’habitude de croiser dans les couloirs de votre fac de lettres à Bordeaux. Lui n’en a rien à faire du cap de la trentaine. Lui n’a jamais été jeune, en fait – pour le meilleur, et sans doute pour le pire.

@bobfoster83