Durant trois mois et à raison d’un article par semaine, la rédaction de VICE vous fait découvrir les truands du sport. Des hommes et des femmes issus de différentes disciplines, dont le talent certain est éclipsé par leur comportement sur et en dehors des terrains, des courts, des parquets et mêmes des greens. Des arnaqueurs, des séducteurs, des aboyeurs, des méchants qui ont des penchants pour la picole, la drogue ou les crasses en tout genre.
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Vu qu’on n’est pas super bon en sport, on aime bien les histoires rocambolesques de mecs sans talent. Quelque part, les contes merveilleux de gens comme Leo Messi, Michael Jordan ou Rafa Nadal finissent par nous ennuyer.
Bien sûr, c’est très bien de vendre des maillots flanqués de slogans vendeurs et motivants, mais tout le monde sait bien que Leo, Mike ou Rafa ne sont pas arrivés au sommet simplement grâce à leurs efforts : ils sont partis avec un gros capital talent, faut quand même pas se voiler la face.
Que Messi gagne le Ballon d’Or ou que Michael Jordan eut été MVP plus de fois qu’on ne peut le compter, c’est un peu comme si Donald Trump gagnait à la loterie : ça revient à donner de l’argent à des riches. Par contre, qu’un Sénégalais de 31 ans, dénué de tout talent, réussisse à tromper la direction d’un club anglais de première division a beaucoup plus de mérite : qu’il arrive à jouer 53 minutes en Premier League juste en affirmant être le cousin de Georges Weah est tout simplement magique.
Né à Dakar le 20 août 1965, Ali Dia est venu en France pour tenter sa chance dans le football. Il a joué pendant de nombreuses années dans les petits championnats, et a porté le maillot d’équipes comme Dijon, la Rochelle et l’Olympique Saint-Quentin. Il est évidemment compliqué de connaître les dates précises de son parcours, mais on sait qu’il est aussi passé par l’Allemagne et la Finlande.
Mais c’est à 31 ans qu’il a réussi son plus gros coup, quand il a décidé de larguer les amarres pour rejoindre l’Angleterre et tenter le tout pour le tout une dernière fois.
Il avait fait la paix avec la réalité frustrante mais confortable qui veut qu’il ne serait jamais quelqu’un d’important dans le monde du football. Cependant, une idée lui a traversé la tête et lui a fait réviser sa stratégie : au lieu de courir après le succès par le chemin dur et tortueux habituel, Ali a décidé d’intégrer l’élite du football par la grande porte.
En 1995, Ali Dia jouait pour les Blyt Spartans. Grâce à l’un de ses amis, il a réussi à contacter l’entraîneur de West Ham United, Harry Redknapp. C’est à ce moment-là qu’il a commencé à mettre en œuvre son plan : il s’est fait passer pour Georges Weah, le joueur libérien, et a raconté qu’il avait un cousin « très technique et très rapide » prêt pour jouer en Premier League.
Ça n’a pas marché. Redknapp n’a pas mordu. Mais Dia, loin de se décourager, a continué à tenter sa chance…jusqu’à ce que Graeme Souness, l’ancienne légende de Liverpool, alors entraîneur de Southampton, se dise enchanté de la possibilité d’avoir dans son équipe un cousin de Weah.
Non seulement Dia a raconté à Souness qu’il était le cousin de Weah, mais il lui a aussi fait croire qu’il avait joué trois fois avec la sélection du Sénégal et qu’il était actuellement sans club après une bonne saison au Paris Saint-Germain. L’entraîneur écossais a tout gobé : l’histoire du parent de footballeur voulant suivre les pas de son idole et démontrer son talent lui a paru totalement légitime.
Le pauvre.
Souness ne s’est pas posé trop de questions – comme par exemple pourquoi le Libérien Weah avait un cousin au Sénégal – et a offert à Ali Dia un contrat d’un mois. C’est ainsi qu’a commencé la brève et fantasmagorique histoire du joueur de Dakar à Southampton lors de la saison 1995-1996.
C’est avec la même attitude faussement relax qu’on a lorsqu’on tombe sur des contrôleurs dans le métro, alors qu’on a pas de ticket, qu’Ali Dia a commencé à s’entraîner avec sa nouvelle équipe. Lors des entraînements, ses coéquipiers ont vite commencé à se douter de quelque chose, mais ils lui ont laissé le bénéfice du doute ne l’ayant pas vu jouer en match, et ce, même s’il leur semblait clair que le joueur pataud n’avait pas la carrure pour jouer en Premier League. « Sur le terrain, il se déplaçait comme un cabris apeuré sur la glace », raconte à son sujet le grand Matt Le Tissier, ancien international anglais ayant effectué toute sa carrière professionnelle à Southampton.
« Ses mouvements sur le terrain ressemblaient à ceux d’un faon sur la glace », a dit Matt Le Tissier au sujet d’Ali Dia.
Le 23 novembre 1996, Southampton devait jouer contre Leeds United. Souness, toujours naïf et innocent, a décidé de convoquer – à la surprise générale – Ali Dia.
A la 32e minute de la rencontre, un des footballeurs les plus mythiques de Southampton, Matt Le Tissier, est sorti sur blessure. Souness s’est alors tourné vers le banc et a fait signe à Ali Dia de rentrer, lui donnant la tâche presque impossible de remplacer le héros des fans. Le Sénégalais, qui ne s’attendait pas à jouer le moindre match, n’a pas eu d’autre choix que de se changer et d’entrer sur le terrain.
Soudainement, l’imposteur, qui cherchait seulement à passer un peu de temps sur le banc de touche, à faire un peu d’argent et à avoir une bonne histoire à raconter à ses petits-enfants, se retrouvait confronté à la réalité.
Ce fut évidemment un désastre. Il n’a tenu que 53 minutes sur le terrain : à la 85e Souness a décidé de le remplacer. Ken Monkou, un défenseur qui n’avait arnaqué personne avec son CV de footballeur, est entré sur le terrain pour mettre fin au rêve de Dia.
Le Sénégalais a passé le peu de temps qu’il avait sur le terrain à faire des allers-retours, sans savoir où se placer, comment toucher le ballon, ou que faire au moment de défendre. Plus le temps passait, plus le ridicule de ceux qui s’étaient laissés embobiner par le faux cousin de Weah augmentait, et surtout, bien sûr, celui de l’entraîneur Graeme Souness.
Ali Dia a quitté le terrain la tête basse au moment d’être remplacé par un vrai joueur. Tout le stade a chanté en choeur son nom, non pas pour le célébrer mais plutôt pour se moquer de lui : « Ali Dia est un menteur ! Ali Dia est un menteur ! », criaient les fans.
« Ali est plus ou moins resté dans sa zone pendant le match, mais il n’avait aucun repère et aucun sens de l’anticipation, et il posait des questions à tous ceux qui se trouvaient autour de lui, se rappelle Le Tissier. En réalité je ne sais pas s’il savait parler anglais », se rappelle Le Tissier.
Southampton a évidemment résilié son contrat à peine deux semaines après l’avoir fait signer et Ali s’est réfugié dans les championnats inférieurs d’Angleterre, confortables et anonymes. Tout le monde lui a probablement demandé plein de détails à propos de ses 53 minutes mythiques en Premier League.
En repensant à toute cette histoire, je me pose une question : est ce que c’est la triste histoire d’un pauvre mec sans talent qui a gâché sa seule possibilité de se faire connaître… ou est ce que c’est plutôt l’histoire d’un enfoiré qui s’est foutu de la gueule de tout le monde pendant 53 minutes ?
Quoi qu’il arrive, j’ai cette image persistante en tête : celle de la tête d’Ali Dia dans le vestiaire après le match en train de se marrer et de penser : « Putain comment je les ai bien arnaqués ».
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