Mis à part les flambées occasionnelles de violences, comme celle à l’origine du sourire de Chelsea, survenue devant un bar de Millwall, l’ère des bastons régulières entre les supporters est en grande partie révolue. Il y a des raisons à cela : plus d’argent en jeu, une surveillance policière accrue et le fait que certains anciens supporters hardcore ont été écartés à cause de problèmes d’addiction au crack et à l’héroïne.
L’usage de ces deux drogues est un secret bien gardé au sein de l’ancienne garde du hooliganisme. Mais il arrive parfois que cette dernière soit moins timide quand il s’agit de parler de la quantité d’alcool ingurgité ou du nombre de lignes sniffées les jours de matchs. Mais l’addiction à ces drogues, considérée par nombre de ces hooligans comme étant quelque chose de réservé aux plus marginaux, est devenue un tabou pour un nombre alarmant d’ultras old school.
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J’ai d’abord pris conscience de l’ampleur du problème en faisant le nègre pour l’écriture des mémoires de Colin Blaney, le « top-boy » de Man United, qui traitent de son temps au sein de deux gangs liés aux hooligans : l’Inter City Jibbers et la Wide Awake Firm. Tout en évoquant la consommation de drogues au sein des gangs, il a estimé qu’au total, environ 60 à 70 pour cent de leurs membres étaient morts d’overdoses liées aux drogues, et que la majorité de la Wide Awake Firm ne dépassait pas les 55 ans. Dans la plupart des cas décrits par Blaney, ils consommaient de l’héroïne ou du crack. On m’a également présenté des membres de diverses autres groupes et j’ai remarqué qu’eux aussi semblaient avoir leur juste part de consommateurs de crack et d’héroïne.
Alors, pourquoi autant d’ultras deviennent-ils addicts à ces substances, étant donné que leur consommation est taboue dans leur communauté, et qu’elle peut réduire à la fois leur capacités et leur désir de se confronter à d’autres groupes ?
Les supporters de foot ont connu trois grandes phases de consommation de drogue. Dans les années 1970 et 1980, le speed dominait les terrasses de pub ; au début et au milieu des années 1990, l’acid a pris le dessus et l’ecstasy est devenue la drogue privilégiée ; puis, à la fin des années 1990, c’est la cocaïne qui s’est imposée. La popularité de cette dernière a été boostée par les nasses de jeunes supporters de foot qui s’impliquaient de plus en plus dans le milieu de la nuit, et qui travaillaient soit en tant que dealers, soit en tant que portiers.
Selon Ramon Spaaji, anthropologue social qui a longuement étudié le milieu du football, les liens entre les hooligans et les clubs favorisent la disponibilité des drogues au sein des gangs. « De nombreux hooligans participaient activement à l’économie nocturne, en tant que propriétaires de clubs, gérants, agents de sécurité ou vigiles, et ils ont peut-être même vendus de la drogue dans ces endroits, dit-il. Il y a toujours un croisement entre l’économie nocturne et le football en termes d’accès et de consommation de drogue. »
Bien que certains hooligans se soient cantonnés à la consommation de coke, d’autres ont commencé à prendre du crack, soit parce qu’ils voulaient quelque chose de plus puissant, soit parce que c’était le substitut évident lorsqu’ils ne pouvaient mettre la main sur aucune poudre.
Joe Shepherdson, ancien membre du Middlesbrough Frontline était l’un de ces hommes. Il a depuis quitté le monde du hooliganisme et dirige maintenant une organisation caritative chrétienne appelée Restoring Life Ministries. Il a d’abord pris du crack après qu’un autre membre du club lui en a offert lors d’un match, puis il a commencé à en fumer régulièrement après avoir voyagé à l’étranger avec d’autres hooligans.
« Certains se sont trouvé des jobs honnêtes, d’autres se sont tournés vers le crime, et d’autres encore vers la coke. »
« Quand on voyageait partout pour vendre des billets, on prenait de la cocaïne, et quand il n’y en avait plus, on se rabattait sur le crack, me dit-il. Quand j’étais sous crack, j’essayais de trouver de l’héroïne juste pour m’aider lors de ma redescente. »
Selon Dr Adam Winstock, chercheur en drogue et toxicomanie, les gens qui fument du crack essayent souvent d’en atténuer les descentes en prenant de l’héroïne. Cela veut dire que, plus ils consomment du crack, plus ils consomment de l’héroïne afin d’équilibrer les effets secondaires déplaisants. Cela explique pourquoi certains membres d’une sous-culture aussi tournée vers l’adrénaline choisissent également de prendre une drogue qui atténue leurs sens.
Selon Chris, ancien hooligan d’Everton, sa chute dans l’addiction serait due au fait que les initiatives visant à diminuer les violences liées au foot ont privé beaucoup d’hooligans de leur principal centre d’intérêt dans la vie. « Quand le projet de loi Old Bill a été mis en place et que les mecs ont commencé à faire de la prison à cause de simples coups de poings, beaucoup d’entre eux se sont éloignés du milieu pour trouver d’autres choses à faire, dit-il. Certains se sont trouvé des jobs honnêtes, d’autres se sont tournés vers le crime, et d’autres encore vers la coke. »
Chris affirme que les hooligans qui se sont tournés vers l’héroïne l’ont fait pour une myriade de raisons. D’abord, il était courant que les hooligans risquaient maintenant une peine d’emprisonnement, et l’héroïne était la drogue de choix en prison dans les années 1990. De nombreux hooligans l’utilisaient aussi pour calmer leurs nerfs lorsqu’ils commettaient des crimes, comme des cambriolages ou des vols à l’étalage – une partie intégrante de la culture des gangs du nord-ouest du pays. Ensuite, il y a eu l’épidémie d’héroïne dans les endroits d’où beaucoup d’entre eux venaient.
Parfois, les hooligans étaient victimes d’addictions très graves, avant de se mettre à se battre contre des fans rivaux. Ça a été le cas de Will, un ancien membre hardcore de la Swindon FC. Il affirme que ce qui relie l’usage du crack, de l’héroïne et les bagarres dans les stades, c’est le sentiment d’appartenance qui résulte de tout ça. « Les mecs combinaient souvent les deux (le hooliganisme et la drogue), pour se sentir un peu plus acceptés dans la vie », me dit-il.
Julian Cohen, expert en drogues et toxicomanie, affirme que l’addiction vient d’une « pauvreté de l’esprit » des gens marginalisés socialement ou psychologiquement de la société. La consommation de crack ou d’héroïne leur permet de faire partie d’une sous-culture de la drogue composée de personnes ayant un ensemble d’objectifs communs – se livrer à des activités d’arnaque, se procurer de la drogue, consommer de la drogue, éviter la police, etc.
Quelle que soit l’origine de ces niveaux inattendus de consommation de crack et d’héroïne au sein des gangs vieillissants de la Grande-Bretagne, ses conséquences ont clairement été dévastatrices. De nombreux hooligans que j’ai connus ont mis fin à leurs jours à cause de problèmes mentaux, résultant d’une consommation prolongée de drogues, notamment de crack et d’héroïne. D’autres ont connu une mort prématurée, à cause de problèmes de santé liés à leur addiction aux drogues.
Bien que la majorité des gens soit plus à même d’avoir peu d’empathie envers les hooligans, une enquête plus approfondie indique que beaucoup d’entre eux utilisent la violence du football comme un mécanisme pour faire face à leurs démons intérieurs. Aujourd’hui, il semble qu’une minorité importante d’entre eux ait été aux prises avec de graves dépendances, se faisant du mal au lieu de se faire du mal aux gangs rivaux.
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