On a longuement hésité. Le choix du joueur VICE Sports du weekend, c’est pas un truc qui se fait à la légère. Qui honorer ce weekend ? Alexandre Lacazette ? Trois buts et un bon match, OK, mais avec un début de saison pareil, non merci. Ç’aurait pu être Yacine Bammou, qui, je ne sais pas si vous le savez, a, il fut un temps, été vendeur à la boutique officielle du PSG. Alors que maintenant il joue en Ligue 1 et en plus il marque des buts malgré un physique de héron cendré. Dingue, wow. Ç’aurait pu être Julien Féret, Vitorino Hilton voire Benjamin Nivet, qui prouvent chaque weekend qu’il y a une vie après 35 ans. Ou, qu’au contraire, la L1 est un championnat tellement peu relevé qu’on peut encore y jouer en étant quadragénaire.
Mais non, on a choisi Andy. On regardait tranquillement le multiplex du samedi soir, cette macédoine de la Ligue 1 : des Reims-Gazélec qui pourraient nous paraître bien fades si on avait choisi de bouffer que ça, mais mélangés avec des Montpellier-Nantes et des Lorient-Troyes, ça passe, on y prend même un peu de plaisir. On était là, et puis un ingrédient inattendu est venu pimenter le tout. Le taureau sétois Delort fonce tout droit côté gauche, repique au centre à l’entrée de la surface. Les défenseurs guingampais restent à distance, de peur de se faire embrocher, puis vient le coup fatal, le ballon au fond des filets. C’était la 71e, c’était Intervilles.
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Ceux qui suivent la Ligue 2 pour des raisons indépendantes de leur volonté, comme par exemple celle de supporter une équipe historique du foot français qui se retrouve à végéter dans l’antichambre de la première division (comme le RC Lens, à tout hasard), connaissent déjà bien les qualités de Delort. Il y a deux ans, durant sa saison de déménageur tourangeau où il avait démonté toute la L2 (24 buts et un trophée UNFP de meilleur joueur de la saison, pour ce que ça vaut), le Sétois était une énigme : trop fort pour ce niveau-là, évidemment, une intensité qui dure 90 minutes, et les pieds qui vont avec, des frappes de mulasse souvent cadrées, souvent au fond. Pas bourrin jusqu’au bout. Des pieds de ballerines avec une précision de sniper au bout de mollets de bodybuilders (qui se touchent quand il court selon la légende). Un style de Dédé Gignac plus racé, de Wayne Rooney un peu moins trapu.
Mais c’était peut-être aussi l’archétype du faux bon espoir, en jugeant seulement l’apparence : ces tatouages (dont cette larme de taulard, sous l’oeil, dont on ne sait pas si elle est là comme un souvenir perso de son massacre des défenses de Ligue 2), cette dégaine d’Ange de la télé-réalité, ces histoires de suspension pour bagarres, cette boutique de fringues de sport à son nom à Tours… De l’extérieur, ça sentait le melon en train de mûrir, le Yohan Mollo en formation.
Et puis non, on s’est vite aperçu de la mentalité plutôt rafraichissante du Delort, de son attachement sincère au Tours FC. Il le répétait alors à longueur d’interviews : sa volonté c’était de ne pas griller les étapes. Malgré son talent évident, il avait conscience que signer directement dans une grosse équipe n’allait pas forcément lui permettre de faire une belle carrière. Un discours propret qu’il a mis en application. C’est pour ça qu’à 17 piges, il a tout simplement refusé un contrat stagiaire-pro au Borussia Dortmund malgré deux doublés en deux matches avec l’équipe réserve où il se faisait servir par rien de moins que Mario Götze.
Il l’a peut-être prise un peu trop au pied de la lettre d’ailleurs cette histoire de ne pas griller les étapes. Après Sète et l’AC Ajaccio dans ses jeunes années, il y a eu Nîmes, retour à Ajaccio, prêt à Metz, re-retour à l’ACA (16 matches en L1, 1 but, en doublure d’Adrian Mutu, bof), et Tours… Dans le lot, il a même eu le temps de faire une pige en équipe de France de beach soccer. Plus que le jeune joueur prudent qui veut se faire de l’expérience avant de viser plus haut, ça sentait l’espoir qui végète, la carrière de futur éternel joueur de Ligue 2. Les buts n’avaient pas l’air de venir non plus à l’époque.
Cette saison de l’explosion à Tours est venue à point nommé, ce transfert à Wigan, dans la foulée, un peu moins. Pas le choix, Andy l’a fait à moitié pour le challenge du championnat anglais (dont on imagine qu’il fera les beaux jours un de ces quatre), à moitié pour Tours, qui voulait profiter de son transfert pour se refaire la cerise. Pas étonnant que la transaction ait été validée à 23h59 le 31 août 2014. Andy, lui, voulait rejoindre Lens qui venait de monter. Wigan, ça sentait le mauvais plan, ça s’est vérifié. On connaît l’histoire : retour à Tours six mois plus tard et Caen qui flaire le bon coup.
Si le Stade Malherbe est aujourd’hui troisième, il doit beaucoup à Delort, ses courses généreuses et ses intuitions de buteur qui lui font tenter des frappes pas forcément évidentes. L’attaquant semble enfin à sa place, après une année galère. Mais si les frappes continuent de rentrer dans les mois qui viennent, on imagine mal Andy ne pas dire oui à un gros club, de L1 ou de l’étranger. C’est là qu’on verra comment il mettra ce crédo de « surtout, ne pas griller les étapes » en application. En attendant, pour son style de jeu à la fois bovin et délicat, pour ce plan de carrière réfléchi, Andy Delort est le joueur VICE Sports du weekend.