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Le jour où Jean-Pierre Coffe a refusé de servir un burger au président des États-Unis

La croisade de Jean-Pierre Coffe contre la malbouffe a peut-être débuté lors du sommet qui allait sceller le sort du shah d’Iran. Avant de pourfendre à la télévision les colorants, les pesticides et n’importe quel truc à réchauffer au micro-ondes, le chef s’en était pris à un petit monument de la gastronomie américaine ; le hamburger, et à son Président ; Jimmy Carter.

Janvier 1979. Valéry Giscard d’Estaing, le chancelier allemand Helmut Schmidt, le Premier ministre britannique James Callaghan et Carter sont réunis à Saint-François en Guadeloupe dans ce que les historiens baptiseront « Le Yalta du Moyen-Orient ». Dans le dernier tome de ses mémoires, Le Pouvoir et la Vie, Giscard dénoncera l’attitude de Carter accusé d’avoir précipité la prise de pouvoir de Khomeyni en annonçant à ses collègues lors de ce sommet, la fin du soutien américain au gouvernement du shah. Côté fourneaux, Coffe, bientôt la quarantaine, est en charge de la réception et des repas.

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Giscard Coffe

Valéry Giscard d’Estaing et Jimmy Carter en Guadeloupe
Une vie de Coffe,

Pourquoi l’Elysée l’a-t-il choisi ? Il l’explique dans ses mémoires sorties chez Stock : « Des grands commis de l’Etat fréquentent La Ciboulette. Parmi eux, Gérard Montassier, le premier mari de Valérie-Anne Giscard d’Estaing. (…) Un jour, ils me proposent de fêter l’anniversaire du président de la République chez moi. Pourquoi pas, et surtout comment pourrais-je refuser ? » Du coup Jean-Pierre Coffe dit aussi « oui » quand on lui propose d’assumer la restauration du sommet. Ça tombe bien, il connaît la Guadeloupe et entretient de très bonne relation avec le propriétaire de l’hôtel Hamak à Saint-François qui accueille la délégation de chefs d’Etat.

Dans son autobiographie, Coffe n’est pas avare de détails sur les préparatifs ; des pluies diluviennes causées par le passage du cyclone David dans la région aux désidératas de Giscard en passant par une grève des pêcheurs locaux, le rapatriement depuis Paris d’une table carrée ou de bars pour remplacer les vivaneaux au menu. Pas super pour l’empreinte carbone. Albert Nahmias décrira l’hôtel dans Petites histoires de grands chefs paru chez Hugo doc comme « situé en bordure de mer, au cœur d‘une végétation tropicale, c‘était un petit paradis, original par son décor mais aussi par les personnalités excentriques qui l‘habitaient et l‘animaient ».

L’incident du burger se déroule après les festivités. Le sommet est terminé et ne reste à l’hôtel que le Président Carter et sa famille qui confient leur dîner à Jean-Pierre Coffe et s’installent au restaurant accompagnés de leur goûteur « comme au Moyen Âge ». La suite fait partie de l’Histoire avec un H majuscule.

« Je propose une coupe de champagne et leur présente la carte », raconte Coffe dans Une vie de Coffe. « Après en avoir pris connaissance, ils commandent trois hamburgers. (…) Je rétorque que mon restaurant est français, que ma cuisine est française. (…) Sans un mot, les Carter se lèvent et quittent les lieux. Dehors, une troupe de paparazzis les attend. Crépitements des flashs, explications, le lendemain, je suis à la une, ou presque, de la presse américaine, et même mondiale. Mon surnom ? ‘L‘homme qui a dit non à Carter‘. »

Ocala Coffe

L’Ocala Star Banner mentionne l’incident
Valery Giscard d

Sur Internet, une archive est disponible ; celle de l’édition du 22 janvier 1979 de l’Ocala Star Banner. Sous un papier concernant Liza Minnelli, le quotidien floridien reprend une dépêche Associated Press dans laquelle Coffe distribue les bons points :

« ‘Estaing a prouvé pourquoi ses compatriotes sont reconnus pour leur amour de la bonne chère. Le chef français Jean-Pierre Coffe, qui s‘occupait de la restauration de ce sommet, décrit Giscard comme ‘un gourmet‘. Selon le dernier numéro de Newsweek, il a fait l‘éloge du Premier ministre britannique, James Callaghan, ‘un bon mangeur, il ne laisse pas une miette dans son assiette‘. » Par contre, il est moins sympa avec le palais du chancelier Helmut Schmidt – « qui fume beaucoup trop pour en avoir un » et le Président Carter. Il est écrit dans la dépêche : « Quand Carter a demandé un hamburger, Coffe a refusé. ‘Je n‘ai jamais fait de hamburger et je ne le ferai jamais‘. » Dont acte.

Entré comme commis de cuisine à La Ciboulette, « celle de la rue Rambuteau », peu après la fin de son apprentissage, Roland Rossignol accompagne Coffe en Guadeloupe mais ne se rappelle pas de cette histoire de burger. Il raconte à MUNCHIES :

« Je suis parti un peu par accident. La personne qui devait s’y rendre s‘est désistée et moi j‘y suis allé un peu à l‘arrache. Je me souviens, il ma dit : ‘j‘espère que tu n‘as jamais été dans une manif sinon les Américains ne vont pas vouloir que tu cuisines. Non, je n‘ai pas été interrogé par les Services Secrets avant de faire à manger. Il y avait une pression particulière parce qu‘on devait suivre le protocole de l‘Elysée. Il y avait 8 personnes à nourrir en comptant les épouses et on a eu quelques problèmes d‘approvisionnement. Heureusement, dès qu‘on recevait de la marchandise abîmée, on la renvoyait à l‘Elysée qui nous expédiait une nouvelle fournée. »

« Pour moi qui débarquais de la campagne je viens de la Sarthe c‘était la vie de château sur place. J‘ai l‘habitude de dire qu‘on s‘est doré la pilule 3 semaines et qu‘on a travaillé 3 jours. Mais pendant ces 3 jours, je crois qu‘on dormait à peine 2 heures par nuit. Je me rappelle que Jimmy Carter prenait son petit-déjeuner entre 4h30 et 5h avant d‘aller faire son footing. Je peux vous dire que pour faire pousser des croissants frais, il fallait y aller. »

Aujourd’hui chef et propriétaire du Morilland à Loigné sur Mayenne, Rossignol replonge volontiers dans ses souvenirs. « Jean-Pierre Coffe c‘est un grand monsieur. Quand jai commencé dans sa brigade, on était 4 et on faisait de tout. C‘est vraiment là que j‘ai appris le métier. Le chef, il savait piquer des colères quand il le fallait. Parfois, on refaisait la purée 3 fois avant qu‘il soit satisfait surtout quand il était de mauvaise humeur. Mais chaque année, il payait sa tournée au personnel. On est même allé au Moulin Rouge une fois. Ça me revient mais quand on est rentré de Guadeloupe, on était en classe éco alors que lui était en business. Il a dit : ‘vous voyagez avec moi ou je ne pars pas‘. Du coup on a été surclassé. »

Epilogue de ce duel, Coffe était revenu sur l’épisode du burger dans un entretien à La Dépêche en mai dernier, jugeant l’attitude de Jimmy Carter carrément impolie. « C‘était de la mauvaise éducation. Ce type entre dans un restaurant français et me demande un hamburger alors que je viens de le nourrir trois fois lors de dîners officiels. Je trouvais ça si mal élevé que je n‘ai pas pu m’empêcher de lui dire : ‘mais moi je mange des hamburgers quand je suis aux Etats-Unis. Je ne demande pas une blanquette de veau‘. Il s‘est levé et est parti. Je ne regrette rien. »