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Le jour où les Parisiens ont découvert le bon café

Aujourd’hui, on peut enfin boire du bon café à Paris. Il y a quelques années, c’était une toute autre mouture — souvent un café noir robusta très amer et de piètre qualité. Anna Trattles et Alice Quillet, propriétaires de coffee shops, racontent comment la culture café s’est progressivement développée à Paris.

Les Parisiens ont longtemps bu du mauvais café sans s’en rendre compte. Il y a quelques années, un article sur le blog café du New York Times titrait « Pourquoi le café est-il si mauvais à Paris ? ». À l’époque, nombreux s’en sont offusqués, s’écriant : « Mais non, il est super bon ! ». C’était parce qu’ils associaient le café en lui-même avec toute l’expérience du « Café Parisien » (elle-même très cool en soi). Ils avaient en tête le petit noir que l’on boit en terrasse, les serveurs désagréables et tout le folklore qui va avec. Mais personne n’admettait jamais à quel point le café était, en réalité, du jus de chaussette. Les mentalités ont commencé à changer avec l’ouverture des premiers coffee shops, quand les gens ont pu y goûter du bon café ou quand ils ont commencé à voyager et découvrir ce qu’il s’infusait ailleurs.

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Dans notre cas, nous savions plus ou moins quel genre de café nous voulions servir au Bal Café mais on ne savait pas trop comment s’y prendre. On voulait faire appel à quelqu’un qui connaissait déjà un peu les ficelles du métier et le premier barista que nous avons embauché — un ancien de chez Intelligentsia aux États-Unis — était génial pour ça. Avec les gens de chez Café Lomi, un torréfacteur local chez qui l’on se fournissait au début, on s’est mis à apprendre le latte art et comment réaliser le meilleur espresso. Puis on a changé de crèmerie et on s’est approvisionné chez Has Bean à Londres, avant que nos associés au Bal Café, Anselme Blayney et Thomas Lahoux n’ouvrent leur propre brûlerie, Belleville, et que l’on ne serve plus que ça.

On a ouvert il y a quatre ans maintenant et on peut dire que l’on a fait partie de la première vague de coffee shops à Paris (avec Coutume qui a ouvert à peu près en même temps). La dégustation de café n’est qu’une facette de ce que l’on propose au Bal Café, c’est pourquoi à peine deux ans plus tard quand on a voulu s’investir davantage dans la culture du café, on a décidé d’ouvrir Ten Belles, un coffee shop dans la plus pure tradition new-yorkaise.

Aujourd’hui, de nombreux coffee shops ont suivi le mouvement. La plupart sont tenus par des australiens, des américains et des suédois. Je pense à Holybelly ou Telescope qui était là depuis le début, mais il y a aussi Fondation, une très bonne adresse, KB CaféShop ou encore Fragment et The Broken Arm.

Souvent, les coffee shops sont à la recherche des petites productions de grains locales et certains parviennent à en proposer, notamment grâce aux sélections de la Brûlerie de Belleville. Ils sont également nombreux à mettre en avant des « cafés du jour » qui viennent de Scandinavie, d’Australie, des États-Unis, d’un peu partout. Thomas, notre associé, est récemment revenu du Rwanda avec des produits de là bas que l’on a mis à la carte.

De plus en plus de lieux (en particulier les endroits branchés qui viennent tout juste d’ouvrir) cherchent à faire du bon café et contactent les brûleries locales tout enthousiastes : « Hé, on voudrait bosser avec vous parce qu’on a entendu que vous êtes cool et que vous pourriez nous fournir en petite productions locales ». Mais ils ne sont pas toujours disposés à investir dans les machines qui permettent de faire du bon café et à former leurs équipes pour qu’elles soient capables de sortir un bon espresso (surtout si il s’agit d’un restaurant qui ne fait des cafés qu’à temps partiel).

Certaines des brûleries hésitent à travailler avec ces endroits car ils craignent que leur café ne soit pas transformé de la bonne manière. Dans un restaurant par exemple, il est assez compliqué de servir un bon Chemex car c’est une technique qui requiert du temps et un certain savoir-faire. Bien sûr, c’est à la portée de tout le monde de faire du café avec un Chemex, mais pour bien faire, il faut de l’entrainement. Et puis beaucoup de cafés ou de restaurants ne voient pas l’intérêt d’acheter des bonnes machines artisanales italiennes quand il y a des gros fournisseurs qui peuvent leur offrir tout l’équipement clé en main, des machines au moulins en passant par le café de très mauvaise qualité.

La triste popularité de la culture café en France atteint son paroxysme avec l’étape locale du World Batista Championship. En Australie, il y a des étapes dans toutes les grosses villes du pays tellement l’évènement est plébiscité. Rien qu’à Melbourne, ils doivent être plus de 6000 à participer chaque année. Très loin de cet engouement, il y a les championnats de barista en France. Thomas, un de nos associés, y a concouru il y a trois ans et ils n’étaient que treize participants pour tout le pays. Si ce genre d’évènement intéresse très probablement les vrais fans de café, le français moyen, lui, s’en fout pas mal.

Il y a une vraie éducation à faire sur le goût en termes de dégustation de café. Les gens sont souvent choqués par l’acidité et les notes fruitées de nos cafés. Il faut expliquer que c’est dû à la manière dont sont cultivés les grains, de la région d’où ils proviennent et la façon dont ils ont été torréfiés. L’acidité est une saveur que les Parisiens n’ont pas l’habitude de trouver dans leurs cafés et qui les déconcerte beaucoup.

Chez Ten Belles, les clients viennent nous voir en connaissance de cause, avec l’envie de déguster un café original. Chez Le Bal, c’est plus compliqué : les clients viennent pour déjeuner, pour dîner ou pour boire un verre. Tous les jours, on est amenés à justifier notre sélection de cafés, la carte est un vrai parti pris. Pour la plupart des clients, le café est souvent trop amer, trop fort ou trop serré. Selon nous, ils ne sont simplement pas habitués. Parfois on prend le temps d’expliquer, parfois on ne le prend pas.

Anna et moi sommes toutes les deux autodidactes et ouvrir Le Bal Café fut un beau challenge : c’était la première fois que l’on montait une affaire. Ça faisait un bail que l’on n’avait pas cuisiné de manière professionnelle, donc un an avant l’ouverture du Bal, on est retournés se faire un peu la main en restaurant. Pendant cette année de transition, on se demandait sans cesse si on avait toujours le truc, si on allait être capable d’aller jusqu’au bout. Et puis un beau jour, on a ouvert notre restaurant et on n’avait plus le temps de douter. C’est un peu comme apprendre à faire du vélo : il faut que ça roule quoiqu’il arrive, sinon on tombe. Et pour nous, ça roule toujours.