Le krokodil, cette drogue qui ronge la peau jusqu’aux os, a peut-être débarqué en Angleterre


Des gens en Sibérie se shootant au krokodil – capture d’écran de notre documentaire Des larmes de krokodil ; photo : Stuart Griffiths.

Vous vous souvenez de quand on vous a parlé du krokodil, n’est-ce pas ? Dans le cas contraire, en quelques mots, il s’agit d’une drogue en provenance de Russie qui agit comme une sorte de succédané d’héroïne. Un des nombreux problèmes que cette dope DIY pose, c’est sa capacité à ronger les chairs – cela est dû à sa composition, des analgésiques coupés à l’essence et au soufre. Comme la sisa en Grèce, le krokodil fait partie d’une nouvelle génération de drogues qui frappe les rues pauvres d’Europe, et il semble qu’elle se propage au-delà de la Russie. En avril, on avait trouvé des utilisateurs de krokodil alors qu’on suivait un trio d’adolescentes exorcistes autour de l’Ukraine, et le mois dernier il a été rapporté que cette drogue a été consommée aux Etats-Unis, en Arizona. Plus près de chez nous, le Dr Allan Harris, un spécialiste dans le traitement des sans-abri et des toxicomanes, a déclaré qu’ « il y a beaucoup de signes avant-coureurs » semblant montrer que le krokodil est utilisé là où se trouve sa clinique, à Gloucester. Dans un article qu’il a écrit pourThe Independent, il a également mentionné qu’il avait traité un homme qu’il soupçonnait de s’être injecté avec du krokodil.

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Je l’ai appelé pour discuter de ses conclusions. Nous avons négocié pour savoir s’il fallait nommer la drogue « krokodil », comme en russe, ou s’il fallait en adapter le nom, maintenant qu’elle avait posé le pied en Europe de l’Ouest – le Dr. Harris penchait d’une manière catégorique pour la deuxième option, je lui préfère la première.

VICE : Bonjour Alan. Cet homme que vous mentionnez dans votre article pour The Independent, est-ce le seul cas d’usager de krokodil auquel vous avez eu affaire ?
Dr Alan Harris : Oui. Je veux dire, c’est un peu rétrospectif parce que c’était il y a quelques années maintenant. À l’époque, je pensais que c’était des brûlures d’acide citrique – qui sert à dissoudre l’héroïne avant de se shooter –, mais quand j’y repense la destruction du tissu était bien au-delà de ce à quoi vous pouvez vous attendre avec des injections d’héroïne. Avec l’acide citrique, vous avez généralement des brûlures au deuxième degré ; lui avait un énorme cratère sur tous les muscles de l’avant-bras. Lorsque vous regardez les tissus morts, vous pouvez réellement voir les tendons se déplacer, un peu comme ces horribles images que vous voyez sur les tracts de sensibilisation aux dangers du krokodil. Il en était arrivé à un point où il ne pouvait plus bouger sa main droite, car la drogue avait affaibli le muscle de façon avancée. Il pouvait à peine rouler une cigarette.

Comment a-t-il été traité ?
Ils lui ont fait une greffe de peau qui a été bien acceptée, mais les conséquences étaient affreuses. Les muscles ne repoussaient pas parce qu’ils étaient complètement gangrenés. Quand j’y repense, ça ne correspondait pas du tout à de l’acide citrique, parce que le produit est certes irritant, mais pas pire qu’une légère infection. C’était effectivement très, très disproportionné. Il lui manquait une zone d’environ 12 cm par 8 cm de tissu, et le trou était profond – je vous le répète, on voyait son os.

Comment ça marche, l’acide citrique ?
Vous mettez votre poudre d’héroïne sur une cuillère avec un peu d’acide citrique – on utilise couramment du jus de citron. Les héroïnomanes utilisent ça pour leurs fixes parce que la diamorphine est un alcalin. Ainsi, lorsque vous utilisez de l’acide citrique, qui est un acide faible, la dissolution est plus facile.

Je vois. Qu’est-il arrivé à cet homme ?
Il est mort récemment, malheureusement.

Désolé d’entendre ça. Il est mort à cause du krokodil ?
L’enquête est en cours. Je ne pourrais pas l’affirmer avec certitude, je le crains. On attend toujours les résultats de l’analyse toxicologique menée par le médecin légiste.

Pensez-vous que le fait de couper les drogues avec des produits bizarres se répand dans ce pays ?
Oui, très certainement. Nous avons eu des problèmes de tétanos et de fièvre charbonneuse. Avant, on s’inquiétait que l’héroïne soit coupée à la strychnine. Les dealers utilisent tout ce qui a un goût amer pour couper l’héroïne, et la strychnine, c’est une des solutions de facilité. Tous les ingrédients toxiques vont directement dans les veines et c’est ce qui provoque la perte de tissu.

Sibérie : Des larmes de krokodil

Compte tenu de ses effets horribles, qui voudrait prendre ce genre de trucs ?
Eh bien, c’est très puissant, très addictif, plus sédatif et environ dix fois plus fort que la morphine, donc de ce point de vue ça a un potentiel plus addictif que la morphine ou la diamorphine régulière – à savoir l’héroïne. Ça a été développé dans les années 1930 en Amérique.

Qu’est-ce qui pousse à ça ? Y a-t-il eu un problème d’approvisionnement en héroïne ?
Il y en a eu récemment. Il y a eu les efforts faits en Afghanistan pour détruire les champs de pavot. Tout au long de l’année, on a noté une diminution de l’offre d’héroïne, de sorte que les usagers prenaient de l’héroïne coupée avec tellement de choses qu’ils avaient des symptômes de manque, car elle n’était pas assez forte. Plus récemment, il y a eu baisse de l’offre – due au travail de la police –, mais il semble qu’elle soit revenue à son niveau précédent aujourd’hui. Ça devrait désinciter les gens à fabriquer leurs propres substituts à l’héroïne, comme le krokodil. Et bien sûr, quand l’offre était en baisse, on a noté une augmentation de la consommation de méphédrone. Ils utilisent un procédé chimique similaire pour arranger le produit – des agents similaires.

Similaires à ce qu’il y a dans le krokodil ?
Ouais, parce qu’ils krokodilisent la méphédrone pour la rendre injectable et plus puissante. C’est assez … gluant, les trucs qu’ils font. Parfois, ça commence à se solidifier dans la seringue. C’est assez désagréable quand on se l’injecte. On a vu pas mal de caillots de sang chez les usagers qui se le sont injecté dans l’artère fémorale.

Il y a aussi la prégabaline. Elle est généralement utilisée pour traiter l’épilepsie, la douleur et les états anxieux. Mais elle a gagné de la valeur dans la rue et nous avons observé que cette drogue était détournée pour un usage récréatif aussi. J’espère que ça ne va pas sortir, mais c’est tellement facile à faire ; je pense que ce n’est qu’une question de temps avant que les gens s’y mettent.

Y a-t-il un truc propre à Gloucester qui expliquerait ce phénomène ?
Non, pas vraiment. Ironiquement, Gloucester est un des endroits où l’héroïne est la moins chère.

Que faudrait-il faire ?
Tout simplement informer les gens, sensibiliser les usagers : le krokodil est incroyablement néfaste, ça raccourcit votre espérance de vie de façon spectaculaire, et ce d’autant plus que c’est terriblement addictif.

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