En jouant au foot à 7 avec des amis il y a quelques semaines, j’ai reçu un gros coup et je me suis cassé l’ongle du gros orteil du pied droit, lequel avait déjà subi la même chose quelques semaines auparavant. En enlevant ma chaussure et en voyant tout le sang couler de mon orteil sans ongle, un mec de l’autre équipe m’a dit : « J’espère qu’il ne va pas t’arriver la même chose qu’à Bob Marley, il est mort après avoir reçu un coup au même endroit deux fois de suite », m’a-t-il dit.
Ce sont des mots qu’on ne devrait pas prononcer pendant un match, et je dis ça parce que les quelques secondes pendant lesquelles je me suis demandé s’il était possible de mourir d’un coup de pied m’ont paru des heures, infinies, remplies de peur et d’ignorance.
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J’aime la musique de Bob Marley, il n’y a pas de limite à sa créativité, et au-delà du message religieux, que l’on peut apprécier ou pas, sa musique est la seule qui a réussi à réunir d’un fil aussi délicat et subtil qu’un cheveu de rasta toute la bonté de différents mondes et différentes cultures. Pour cette raison, pendant ce match de foot à 7, assis dans l’herbe synthétique l’ongle dans la main, je me suis dit qu’il n’était pas possible qu’un être si grand, et si iconique en même temps, ait pu mourir à cause de deux coups reçus sur le même pied.
Ce qui est sûr c’est que ce n’était pas la première fois que j’entendais cette histoire et, pour me défaire de ce malaise, j’ai décidé d’avoir recours à la seule arme capable d’anéantir la peur : l’information.
GALERIA | Bob Marley, un enamorado del fútbol https://t.co/i3JLfbDgxm pic.twitter.com/fdX3mwvb3L — Sphera Sports (@SpheraSports) 15 de agosto de 2016
Bob adorait écrire des chansons le matin, il disait : « Si ça sonne bien le matin, ça sonne bien toute la journée ». Ses petits-déjeuners, que j’imagine plein de protéines, commençaient par un petit pétard et se finissaient probablement par un autre petit pétard, puis par de grande balades dans sa magnifique Jamaïque, en commençant par le minuscule village dans lequel il est né, Nueve Millas, à côté de Brown City. Toujours en contact avec la terre, toujours en l’honneur de son corps, considéré comme un temple d’après son dieu Jah, le seul dieu du mouvement rastafari.
Le football a été le sport de Bob Marley. Lorsqu’il sortait profiter de la nature, il avait toujours un ballon de foot sous le bras, c’était son inséparable compagnon de repos et de joie car, comme il le disait lui-même : « Le football est un don en soi. Tout un monde, un univers pour soi-même. Et j’aime le foot parce qu’il faut avoir suffisamment d’adresse pour y jouer. Liberté ! Le football est liberté ! ».
Maudit soit l’ignorant qui m’a fait douter de la pureté du football ! Pourquoi m’as-tu dit que Bob était mort à cause d’un coup ? J’ai besoin de plus d’information. L’histoire ne peut pas être si simple et décevante, s’agissant de Bob, il doit s’agir de quelque chose de miraculeux.
Bob Marley fue un gran amante del fútbol pic.twitter.com/dkGMRnsSKO — Sphera Sports (@SpheraSports) 19 de mayo de 2016
Bob Marley trouvait toujours une excuse pour jouer au foot entre les tournées, avant chaque concert, dans les studios d’enregistrement. Tant et si bien qu’il a dit un jour à un journaliste : « Si tu veux vraiment savoir qui je suis, tu dois jouer au foot contre moi et les Wailers ». Son amitié avec Alan Skill Cole, une des plus grandes stars du football jamaïcain, est une des amitiés les plus étranges de l’histoire du monde de la musique. Les deux hommes sont devenus tellement amis que le footballeur est devenu le manager des tournées de Bob pendant toutes les années 70. Il a notamment organisé le fameux concert au Zimbabwe pour célébrer l’indépendance du pays africain. Il figure également au générique de « War ». « Il [Alan] aimait la musique et moi le foot. Cela faisait partie du plan divin, c’est pour cela que nous nous sommes rapprochés », racontait Bob.
Que le père du « reggae », nom qui vient du son que faisait sa guitare quand il jouait un accord, soit passionné de foot ne veut pas dire qu’il y jouait bien. D’ailleurs les opinions divergent sur le sujet : il y en a qui disent qu’il aurait pu jouer à un niveau professionnel s’il n’avait pas dédié sa vie à la musique parce « qu’il était impossible de lui prendre le ballon », comme disait Trevor Wyatt, le distributeur d’Island Record UK. Il y en a aussi qui disaient qu’il était très mauvais, comme le photographe brésilien Mauricio Valladares qui, après l’avoir vu jouer au cours d’un match improvisé auquel participait également Paulo Cesar, membre du grand Brésil de 70, a déclaré « heureusement que le match n’a pas duré longtemps, c’était très ennuyeux, et Bob…Bob joue très mal au foot ».
On lui a demandé un jour pourquoi il aimait tant le football. « C’est sans doute à cause des gènes du côté de mon père », a répondu Bob en faisant référence au capitaine de navire anglais Norval Sinclair Marley. Mais moi je n’y crois pas, il doit y avoir autre chose, quelque chose de magique parce que l’histoire ne peut pas être aussi simple pour avoir mis fin aux jours d’une légende comme lui.
En regardant ma chaussette pleine de sang mêlé aux brins du gazon synthétique d’un terrain de foot à 7, dans la triste et anonyme banlieue de ma ville, je me suis rappelé de la seule information que j’avais sur la mort de Bob. Je me suis rappelé avoir été triste lorsque j’avais appris que quelques jours avant sa mort, il avait abandonné tous les principes auxquels il avait cru jusque là, et qu’il n’y avait pas eu de loi ou de promesse qu’il n’avait tenté d’enfreindre pour survivre, parce que la peur l’avait atteint, la peur de disparaître.
Il a expérimenté tout ce qu’il pouvait pour éviter d’avoir à abandonner le monde si tôt, il a misé sur un médecin mexicain pour l’ensorceler, sur un docteur allemand, un ancien S.S. appelé Josef Issels dont on disait qu’il faisait des « miracles », on lui a fait des injections de liquides mystérieux dans l’estomac et dans la colonne vertébrale, des transfusions de sang, et plus encore, mais rien n’y a fait, il n’a pas survécu.
Le match qui a presque sauvé la vie du père du reggae s’est joué le 9 mai 1977, aux pieds de la Tour Eiffel, entre la Seine et l’hôtel Hilton. Ce jour-là, ”The Wailers” menés par Bob Marley, le plus petit, affrontaient les ”Polymusclés” du chanteur français Herbert Léonard. La légende dit que dans ce match, un jeune homme du nom de Jean-Paul Belmondo a joué comme gardien.
Bob Marley playing a game of pickup football – 1970’s pic.twitter.com/nqpTtKjmf3 — /r/OldSchoolCool (@roldschoolcool) 20 de enero de 2017
Le journaliste Philippe Paringaux, de l’équipe des ”Polymusclés” a raconté dans Libération que les ”Wailers” s’étaient ramenés avec des culs de joints au bec et les yeux très rouges, et ont finalement gagné avec beaucoup de facilité même si dans les premiers instants les Français, parmi lesquels figuraient quelques journalistes du magazine Rock & Folk, ont cru vaincre ces barbus assez facilement. Malheureusement pour les Français, Bob et ses collègues ont très bien joué et Alan Skill Cole en attaque n’a pas eu beaucoup de problèmes à planter des buts à chaque occasion.
Au bout de quelques minutes du match, Bob a dû abandonner le terrain après avoir reçu un coup d’un défenseur des ”Polymusclés”. On raconte qu’en enlevant sa chaussure, son ongle est tombé par terre. Là, sous la Tour Eiffel, et devant ses amis les frères Carlton, Aston ”Family Man” Barrett, Alan ‘Skill’ Cole et les autres, Bob s’est pour la première fois fait la réflexion qu’il avait sans doute quelque chose de plus grave qu’il ne le pensait, et il a probablement remarqué que quelqu’un voulait lui faire comprendre quelque chose. Deux coups dans le même doigt de pied, et une douleur toujours plus croissante. Un doigt d’une couleur qui n’est déjà pas humaine. Bob, regarde ce doigt de pied.
Il y doit y avoir quelque chose, ça ne peut pas être aussi simple. Bob a été transféré à l’hôtel Hilton pour être examiné par un médecin qui lui a injecté un antitétanique, lui a désinfecté la plaie, et lui a conseillé de consulter un spécialiste pour son doigt de pied. Bob a dit qu’il le ferait et est retourné sur le terrain pour jouer car il devait mener les ”Wailers” à la victoire contre ces Français antipathiques. Quelques mois après, pendant une visite chez le médecin, ils lui ont découvert un mélanome acral lentigineux, une forme très rare de mélanome. Ils lui ont expliqué que sa lésion au doigt de pied était très caractéristique de ce type de cancer. Ils lui ont proposé de lui amputer le doigt de pied mais sa religion ne le permettait pas. « Les Rastafaris ne doivent pas permettre qu’on leur ampute une partie de leur corps sacré », a-t-il expliqué. Et il a continué comme ça, comme il avait toujours fait dans sa vie, au nom de sa religion. L’information lui a été transmise au travers d’une balle, mais il ne l’a pas captée.
Lors d’un instant de révélation, plein d’inspiration et d’amour vers le monde et ses lois, je me suis rendu compte que le football avait été pour Bob une autre réincarnation de Yahvé lui-même, seul vrai dieu des adeptes du mouvement rastafari, après Haile Selassie I, Melchisédek et Jésus ; et qu’il l’avait accompagné toute sa vie.
Pourquoi ? Parce que Jah, comme nous, s’était rendu compte que le retirer de ce monde à 36 ans était trop tôt et que le message rastafari, accompagné de cette douce et apaisante musique, de ces percussions palpitantes, de ce son grave aussi dense qu’un fleuve, et de ces paroles si universelles, était beaucoup plus puissant que ce qu’on aurait pu espérer d’un gamin comme Bob, né dans l’un des villages les plus oubliés de Dieu. C’est pour cela qu’il devait faire quelque chose.
Bob est mort à Miami le 11 mai 1981, à seulement 36 ans, parce qu’il n’a pas saisi le message qui lui était envoyé.