J’ai interviewé le mec qui veut coller les petites lèvres des femmes quand elles ont leurs règles

Je le cueille le dimanche matin de bonne heure. Il apparaît à l’écran en veste zippée noire, casual. L’iris bleu, le cheveu blanc et l’air très calme, Dan Dopps, 65 ans, en a consacré quarante à la profession de chiropracteur à Wichita, dans l’État américain du Kansas. Inconnu jusqu’à la semaine dernière, il reçoit aujourd’hui plusieurs demandes d’interviews par jour et son nom a largement circulé sur les Internets. En cause, l’invention qu’il a récemment fait breveter et espère pouvoir développer, puis commercialiser : un stick à vulve baptisé Mensez Lipstick.

Sous l’apparence d’un rouge à lèvres, ce stick servirait à sceller temporairement les petites lèvres des femmes pour empêcher le sang menstruel de s’écouler. Constitué d’un mélange d’huiles naturelles et d’acides aminés, le produit serait ensuite dissous par l’urine. Il suffirait ainsi d’un passage aux toilettes pour que le sang s’écoule, puis d’un « raccord » pour recoller les petites lèvres entre elles. Ce n’est pas une blague, et Dan Dopps est convaincu que son idée va passer les tests cliniques et être approuvée par la Food and Drug Administration américaine – l’organisme qui autorise la commercialisation des produits de santé aux États-Unis. Et ce malgré les virulentes critiques des médecins et autres professionnels.

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À première vue, on peut affirmer sans trop se mouiller que Dan Dopps ne connaît pas très bien les réseaux sociaux et qu’il les utilise comme peut le faire votre grand-oncle – de manière gênante. Il a sans doute été très surpris par les réactions et les articles qui se sont multipliés aux quatre coins du monde, ce qui l’a poussé à répondre avec agressivité dans des posts Facebook aujourd’hui effacés. « En tant que femme, vous auriez dû trouver une meilleure solution que les couches et les bouchons, mais vous ne l’avez pas fait », a-t-il écrit de manière parfaitement ignoble, suivi d’un tout aussi débile « les règles peuvent être dégoûtantes ». Déclarations qui en disent long sur le bonhomme. Depuis, il a toiletté sa com’ et assure ne penser qu’à l’intérêt de ces dames.

Afin de mettre à mal cette nouvelle enveloppe sans aspérités, j’ai tenu à l’interviewer – non sans avoir réprimé quelques fous rires au cours de notre échange. Par la suite, j’ai tenu à faire figurer les réponses de deux spécialistes de la question, peu convaincus – et c’est un euphémisme – par le Mensez Lipstick.

VICE : Bonjour Dr Dopps. Comment avez-vous vécu les réactions très critiques à l’égard de votre « invention » ?
Dr Dopps : Vous savez, j’ai aussi eu des retours très positifs et des réactions enthousiastes. J’ai reçu des milliers de mails de femmes qui voulaient être les premières à tester le Mensez Lipstick. Des fondations veulent me donner de l’argent, des entreprises parlent déjà d’acheter le produit et de le distribuer dans plusieurs pays, notamment des pays du tiers-monde. Jenny McCarthy [une animatrice de télévision américaine, ndlr], qui m’a interviewé, a affirmé qu’elle voulait l’essayer.

Comment avez-vous eu cette idée ?
J’y pense depuis environ six ans et j’ai déposé le brevet le 10 janvier dernier. Cela fait 50 ans qu’il n’y a pas eu d’innovation majeure en matière d’hygiène féminine, en dehors des changements de couleur des boîtes contenant des produits de protection hygiénique.

On a droit à un nouvel iPhone chaque année, mais on dirait qu’il n’y a pas la même volonté d’innover pour ce qui a trait aux femmes. J’ai une voisine qui a été victime d’un syndrome du choc toxique [maladie très rare pouvant survenir pendant le port prolongé d’un tampon chez une porteuse d’une souche particulière de staphylocoque doré, ndlr]. Elle a perdu ses deux jambes et sept doigts. J’avais aussi cela à l’esprit.

Je suis juste un innovateur, je n’ai pas d’intérêt spécifique pour les règles. Tout ce que je me demande c’est : pourquoi personne n’a jamais inventé quelque chose de plus adapté pour les femmes ?

Et la coupe menstruelle, alors ?
Le résultat du Mensez Lipstick sera très similaire. Mon idée, c’est que votre corps devienne la « cup », puisque le sang est retenu à l’intérieur. Avec le Mensez Lipstick, vous n’avez pas besoin de la mettre et de l’enlever. Ainsi, on n’introduit pas de plastique ou de bactéries dans votre organisme.

En quoi le Mensez Lipstick serait-il plus adapté que les serviettes ou les tampons ?
Tout simplement parce que le sang sera contenu de la même façon et au même endroit qu’avec un tampon – mais sans les fibres, les produits chimiques et l’inconfort. Les risques d’infection seront moindres parce que le sang ne sera pas « stocké » aussi longtemps : il sera expulsé à chaque passage aux toilettes.

On pourrait même imaginer que les femmes puissent utiliser le Mensez tout au long du mois si elles connaissent des pertes abondantes et souhaitent empêcher leur mucus de couler. J’utilise souvent cette analogie : si votre nez coule, vous pouvez dire que ça ne vous dérange pas, mais tout le monde n’en dira pas autant. Je pense qu’avoir le contrôle est la meilleure option pour les femmes. Je pense que c’est libérateur.

Je me vois mal faire du cheval avec les petites lèvres collées…
Les petites lèvres sont très flexibles, elles ne vont pas se détacher. Cela ne demandera pas une force particulière de les garder scellées.

Bien sûr, les femmes doivent avoir le contrôle de leur corps. Mais si quelqu’un a une bonne idée, c’est tout ce qui compte.

Symboliquement, vouloir « fermer » les petites lèvres des femmes est un acte violent. Comprenez-vous les critiques ?
Oui, je les comprends. Mais je sais aussi que les petites lèvres adhèrent naturellement l’une à l’autre [ce que les spécialistes interviewés plus bas contestent vivement, ndlr]. Tout ce qu’on va faire, c’est favoriser cette « adhésion ».

Vous savez, les femmes s’adaptent beaucoup et se plaignent peu. Je ne me plaignais pas non plus quand je n’avais pas d’iPhone, parce que ça n’existait pas. Mais quand j’en ai eu un dans les mains, je me suis dit : « Ce truc est vraiment cool. »

Vous n’êtes ni une femme, ni un gynécologue. Ne pensez-vous pas que d’autres professionnels ont plus de légitimité que vous ?
Vous dites que les hommes n’ont pas le droit de parler des règles, mais le tampon a été conçu en 1929 par un homme [le docteur Earle Cleveland Haas, ndlr]. Je pense qu’il faut penser en dehors des cases. De plus, j’ai suivi des cours de gynécologie obstétrique. Je connais l’anatomie.

Bien sûr, les femmes doivent avoir le contrôle de leur corps. Mais si quelqu’un a une bonne idée, c’est tout ce qui compte. C’est un sujet tellement tabou que les gens n’en parlent pas. Aujourd’hui, la plupart des filles ont encore honte de laisser un tampon traîner dans la poubelle de l’appartement de leur petit ami.

Vous présentez les règles comme dégoûtantes, alors que personne ne devrait en avoir honte.
Je suis d’accord. Tant que c’est contrôlé, c’est tout à fait magnifique, et pas dégoûtant. Je fais l’analogie avec le nez qui coule. Cela peut être dégoûtant, mais ça ne l’est pas si c’est contrôlé et que ça reste là où ça devrait.

On dirait que vous voulez rendre invisible le sang des femmes.
Non, je pense juste que la vie est plus douce si on peut la contrôler.

Des trolls et des militantes ont déclaré que j’étais un homme qui détestait les femmes. Mais comme le dit ma femme, je suis juste un nerd.

Vous avez tenu des propos méprisants pour les femmes sur Facebook. Qu’avez-vous à dire là-dessus ?
J’ai dit des choses bêtes et je le regrette, mais je n’avais jamais fait ça auparavant. Les gens se sont beaucoup moqués de moi et j’ai essayé de répondre. J’imagine que c’était une mauvaise façon de le faire. Des trolls et des militantes ont déclaré que j’étais un homme qui détestait les femmes. Mais comme le dit ma femme, je suis juste un nerd. J’aime les inventions et la technologie.

Pensez-vous être féministe ?
Vous savez, je ne connaissais même pas le mot misogynie avant toute cette histoire ! Je ne hais pas les femmes, je ne fais que penser à elles. Je suis marié depuis 40 ans et ma femme me soutient.

Quelle est la prochaine étape pour vous ?
Je vais laisser quelqu’un prendre la relève et approfondir mon concept. Moi, je suis juste un docteur et un inventeur. Cela prendra du temps et il faudra que le Mensez passe les tests cliniques, mais je suis convaincu que les chercheurs vont l’approuver. Je pense que c’est une chouette aventure et je suis content d’en faire partie.


Après avoir discuté avec Dan Dopps, j’ai demandé à deux professionnels ce qu’ils pensaient du Mensez. Tous deux sont scandalisés. Voici leurs réactions.

« La question centrale est : les femmes voudraient-elles de ça ? Certes, beaucoup disent qu’elles aimeraient ne plus saigner. Mais la pilule en continu et les DIU [dispositifs intra-utérins, l’autre nom du stérilet, ndlr] hormonaux le font très bien, et sont, en plus, contraceptifs et diminuent ou font disparaître les douleurs de règles. Sa « colle », non. Et quand on veut rester écologique, une coupe menstruelle est beaucoup plus pratique que son invention, qui retarde le saignement mais ne permet pas de le collecter ou de l’éviter (…) Si un tel produit était mis sur le marché (ce qui, encore une fois, n’est pas gagné), je serais surpris qu’il ait le moindre succès commercial. Alors pourquoi en parler avant même qu’il n’existe. Pour le moment, c’est une fiction. Désagréable, mais sans réalité. »

– Martin Winckler, médecin, écrivain

« Cette invention serait une nouvelle violence faite aux femmes. D’abord, je ne comprends pas qu’un homme puisse présenter des solutions pareilles, qui plus est sans en référer ou préparer le terrain avec des femmes. C’est une démonstration hallucinante de machisme et de méconnaissance totale de ce qu’est une femme. Les petites lèvres servent à quelque chose et la circulation entre l’intérieur et l’extérieur sert elle aussi à quelque chose. Elles ne sont pas faites pour être attachées ensemble. L’expérience qu’a la médecine des femmes qui ont été « fermées » [via l’infibulation par exemple, ndlr], ce ne sont que des catastrophes. Cela peut provoquer des irritations et cela reviendrait à faire subir un traumatisme mécanique, c’est complètement anti-physiologique. Se servir des petites lèvres comme d’un organe de rétention des règles ou de l’urine, c’est carrément dangereux. C’est une source immédiate d’infections. Quand on y réfléchit, c’est absolument scandaleux. Est-ce qu’on imaginerait faire un nœud au sexe des hommes pour empêcher des évacuations de sperme ? »

– Docteur Pierre Foldes, chirurgien urologue spécialiste des mutilations génitales, qui exerce à l’Institut en santé génésique

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