Food

Le meilleur moyen de se mettre à la viande du futur, c’est de l’élever à domicile

Manger des insectes est un sujet particulièrement clivant. Il y a ceux qui paniquent en citant Starship Troopers, ceux qui ne vont pas plus loin que mater par curiosité et l’ONU qui a récemment encouragé la consommation de ces « shots » de protéines. Katharina Unger pense aussi que vous devriez sauter le pas. Pour vous convaincre, elle a imaginé un système d’élevage de vers à domicile, capable de vous fournir les ingrédients d’un bon repas. Je l’ai donc rencontrée à Hong Kong pour lui demander quel était son rôle exact et ce que représentait l’entomophagie – la consommation d’insecte – dans la nourriture du futur.

MUNCHIES : On va commencer par ton parcours. D’où vient cet intérêt pour l’élevage d’insectes à domicile ?

Videos by VICE

Katharina Unger : J’ai suivi une formation d’ingénieur industriel en Autriche puis aux États-Unis pendant un an grâce à une bourse du programme Fulbright. J’ai ensuite travaillé à Londres avant de m’installer à Hong Kong. Quand j’ai débarqué, j’ai d’abord été surprise par la diversité des aliments et tous les trucs étranges qu’on pouvait trouver – mais presque personne n’arrivait à me dire d’où ça venait ou comment ça avait poussé. Je m’intéresse aux origines des produits parce que j’ai grandi dans une ferme, dans une région très rurale de l’Autriche à la frontière avec la Hongrie. Et quand je mangeais un steak, je savais de quelle vache il venait.

Pour mon master, j’ai orienté mes travaux autour de « l’intégrité des aliments de demain ». Je cherchais à savoir comment les produits alimentaires issus de l’élevage allaient être gérés dans le futur. J’ai donc observé la production de viande à échelle industrielle et c’est là que je me suis heurté à un premier problème : en tant que designer, comment pourrais-je avoir un impact sur notre manière de produire de la viande ? J’ai commencé à chercher des alternatives, me penchant par exemple sur le cas des micro-algues ou de la viande in vitro. Et puis je suis finalement tombée sur les insectes. J’avoue que je n’étais pas méga emballée au départ mais cette solution semblait tellement avantageuse et déjà répandue dans le monde qu’elle s’est progressivement imposée. Je suis allée dans une animalerie et j’ai récupéré plusieurs espèces d’insectes. J’ai organisé une grande dégustation à la maison, en toute simplicité, pour savoir si j’allais réussir à les avaler. En fait, c’était pas mauvais du tout !

dried-meal-worms

Vers de farine déshydratés. Crédits photo: LIVIN Farms

Tu as commencé seule avant de convaincre d’autres personnes de te suivre notamment via cet élevage d’insectes sur Kickstarter. C’était quoi l’idée derrière tout ça ?

Si vous pouvez élever des insectes dans des espaces très réduits – c’est-à-dire chez vous – vous avez la chance d’observer ce que vous allez manger, de le voir grandir. Votre perception de la viande et des produits issus de l’élevage pourrait bien être influencée par cette expérience au point de changer.

Et si les gens n’arrivent pas à surmonter la phase du « eurk, des insectes, dégueu » ?

En les élevant et en les voyant grandir, j’ai pu constater à quel point ce n’était pas crade. Je pouvais même le comparer à ce que j’avais observé dans la ferme familiale. À partir du moment où j’ai commencé à élever mes insectes, ma façon d’envisager et de percevoir la nourriture a changé. J’ai donc construit un prototype et rendu public l’idée en 2013, recevant d’un coup des centaines de messages d’éleveurs d’insectes ou simplement de personnes intéressées par le concept. Au même moment, un rapport de la FAO aux Nations Unies [encourageant les gens à consommer des d’insectes] est sorti. C’était pile poil le bon moment. L’intérêt était là.

Comment les gens réagissent à l’idée de manger des insectes, selon toi ?

Par rapport aux Européens, les Américains ont un peu d’avance en la matière. Il faut répondre à une série de critères particulièrement rigoureux avant d’être autorisé sur le marché comme « aliment comestible ». En Europe, tout ce qui n’était pas consommé de façon habituelle avant 1997 est considéré comme un « nouvel aliment ». Aux États-Unis, c’est plus relax, donc pas mal de gens ont déjà testé des produits à base d’insectes, genre des chips.

Grâce à ton travail sur the Hive, l’élevage d’insectes à installer chez soi, tu as fait pas mal de voyages. C’était quoi le but ?

J’ai été embauchée pour une mission de consulting à Hawaï à propos des insectes comestibles et je suis allée en Afrique pour y construire un prototype plus roots. Un collègue s’est rendu en Ouganda et a trouvé le matériel adéquat pour construire une version économique de ma ferme. Ensuite, je suis retournée à Hong Kong, où j’ai reçu un email de plusieurs chercheurs malais rattachés au programme Crops For the Future. Ils étudient notamment les denrées alimentaires sous-exploitées, c’est-à-dire tout ce qui n’est pas du maïs ou du soja. Ils voulaient développer quelque chose avec des larves de mouche-soldat noire et ils m’ont contacté pour me dire, « On a besoin de vos ruches pour élever des mouches dedans et faire des tests. » Grâce à eux, j’ai pu me rendre en Chine où j’ai fait construire une série limitée de petites ruches. J’ai mis les mains dans le cambouis pendant une bonne nuit blanche.

Qu’est-ce que pensent les pays en développement de cette volonté des pays occidentaux de cultiver des insectes pour leur consommation ?

Depuis plusieurs années déjà, on observe une hausse de la consommation de viande en Asie du Sud-Est et en Afrique parce que les Occidentaux en mangent des tonnes – c’est d’ailleurs devenu une mode et un luxe. L’idée c’est aussi de se dire que la consommation d’insectes à l’Ouest pourrait redorer le blason de cette tradition culinaire dans les pays moins développés.

Est-ce que ton projet intéresse des entreprises ?

Pour l’instant, j’ai surtout été contactée par des particuliers. Le projet est de donner la possibilité à tout un chacun de cultiver ces insectes. La plupart des acheteurs sont des jeunes pères de famille qui veulent montrer à leurs gosses d’où vient la nourriture, des consommateurs concernés par leur bien-être, quelques profs et aussi une poignée d’influenceurs.

Tu as mis au point un livre de cuisine pour entomophages. Quelle est ta recette préférée ?

J’aime bien les raviolis au quinoa. Il faut faire revenir à la poêle des vers de farine avec de l’ail et des oignons, couper finement le mélange, ajouter un peu de coriandre fraîche ou en graines et mélanger le tout avec du quinoa et de la chapelure ou des haricots blancs. On saupoudre ensuite un peu de sésame par-dessus et on sert ça avec un filet de citron.

hive-harvest-detail

Une des ruches LIVIN

Est-ce que tu as noté des réactions particulières ?

En général, quand je fais une conférence en Europe, les gens sont surtout intéressés par l’enjeu écologique de ma démarche. Ils achètent parce que c’est durable, ils pensent beaucoup à l’environnement. En Chine, je commençais mes conférences en parlant d’écologie et personne n’écoutait. Par contre, tout le monde se réveillait quand je parlais des conséquences bénéfiques sur la santé. Aux États-Unis et en Europe, les gens aiment bien goûter des insectes après la conférence. En Chine, ils font encore moins la fine bouche. On ne voit pas les gens manger des insectes tous les jours dans la rue mais ils sont loin d’être dégoûtés – au contraire, ils sont même contents de pouvoir en bouffer. Une femme est venue me dire que ça lui rappelait son enfance quand elle capturait des insectes avec sa mère dans leur village.

C’est marrant parce qu’il y a encore quelques décennies, à cause de la révolution culturelle, les gens étaient prêts à manger tout ce qu’ils trouvaient. Mais là, cette femme était plutôt nostalgique de cette époque.

Quand on présente le concept en Chine, il a un prisme occidental et une touche bien différente de ce à quoi ils étaient habitués. Pour relancer la consommation d’insectes, il faut en faire quelque chose de plus valorisant que la manière dont ils le perçoivent dans leur souvenir.

Donc là, des Ruches sont en train d’être fabriquées et bientôt, des cuistots amateurs seront en train d’élever des vers dans leur cuisine. Et après ?

Dans les années qui viennent, on va développer une plateforme en ligne pour que les éleveurs partagent leur expérience, leur ressenti et leurs recettes à base d’insectes. On espère trouver quelques ambassadeurs – des chefs ou des gens dans ce secteur qui pourraient partager ça à plus grande échelle.

Merci pour cette discussion.