Qu’il s’agisse de la réplique virtuelle cheloue de Mark Zuckerberg lors du dévoilement de son nouveau Facebook-alias-Meta (non, on ne s’habituera jamais à ce nom), de concerts dans l’univers immersif de Fortnite ou d’une galerie d’art numérique dans Decentraland, il est impossible d’échapper à ce concept qui inonde Internet : le « Metaverse » – métavers en bon français.
En quoi consiste ce métavers ? S’agit-il d’un univers virtuel aux possibilités infinies dans lequel on peut s’évader ? Serait-ce le futur dystopique d’Internet, basé sur la science-fiction spéculative ? Ou s’agit-il simplement d’une façon fantaisiste de catégoriser la réalité étendue (XR), ce terme générique englobant les technologies de réalité augmentée, virtuelle et mixte ?
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Évoquer le métavers aujourd’hui, c’est un peu comme parler d’Internet dans les années 1970 et 80. Alors que les éléments constitutifs de cette nouvelle forme de communication sont en place, on se demande bien à quoi elle va ressembler et comment les gens vont l’utiliser. Si tout le monde parlait d’Internet à l’époque, peu savaient vraiment ce que ça signifiait ou comment ça fonctionnait. Rétrospectivement, on peut voir que les choses ne se sont pas exactement passées comme certains l’avaient imaginé.
Mais bref, alors que le métavers est censé devenir un marché de 800 milliards de dollars d’ici 2024 et que des géants de la technologie comme Facebook, er, Meta, Microsoft, Apple et Google investissent des sommes considérables pour en faire une réalité, il est plus que temps de découvrir la signification qui se cache derrière ce terme obscur.
Pour ce faire, nous avons fait appel à un groupe d’experts. Leur mission ? Expliquer une bonne fois pour toutes à celles et ceux qui n’ont toujours pas pigé le concept (soit la plupart d’entre nous), ce qu’est finalement ce putain de métavers.
C’est quoi le métavers exactement ?
Bien que le terme ne circule que depuis quelques années, le mot « metaverse » a été inventé en 1992 par l’auteur Neal Stephenson dans son roman de science-fiction Snow Crash, ou Le Samouraï virtuel en français. Dans ce livre, Stephenson faisait référence au métavers comme à un monde numérique global qui existerait parallèlement au monde réel. Mais en 2022, les experts ne savent toujours pas si le métavers IRL pourrait évoluer vers quelque chose de similaire.
« Le métavers est une version 3D de l’Internet et de l’informatique au sens large », a déclaré à VICE Mathew Ball. Ce requin de la finance et investisseur providentiel a écrit une série d’essais sur le potentiel et les structures du métavers. Selon lui, il y a deux façons de replacer ça dans le contexte actuel.
« Il faut voir le métavers comme la possibilité d’être constamment à l’intérieur d’un ordinateur et donc de l’Internet. » – Mathew Ball
« Lorsque ces deux technologies (Internet et informatique) sont apparues, toutes les interactions étaient principalement basées sur le texte (e-mails, messages, noms d’utilisateur, adresses électroniques). Ensuite, elles sont lentement devenues plus médiatiques (photos, vidéos, livestreams). La prochaine étape de l’interface et de l’expérience utilisateur sera la 3D. Deuxièmement, si on considère le téléphone mobile comme un ordinateur de poche permettant d’avoir accès à Internet partout et tout le temps, il faut voir le métavers comme la possibilité d’être constamment à l’intérieur d’un ordinateur et donc de l’Internet. »
De nombreux experts considèrent d’ailleurs le métavers comme un modèle 3D de l’Internet. En gros, un lieu parallèle au monde physique où vous passez votre vie numérique et où vous interagissez avec d’autres personnes par le biais d’avatars. Certains affirment également que le métavers, au sens propre du terme, n’existerait pas encore.
« À ce stade ce n’est pas encore réel, et ça ne le deviendra pas tant que les gens n’auront pas un endroit unique où se rendre pour pénétrer dans ce monde virtuel, monde où il serait possible de vivre complètement », a déclaré à VICE Ibrahim Baggili, expert en cybersécurité et fondateur du Connecticut Institute of Technology de l’université de New Haven.
En fait, le métavers est censé être une version 3D de l’Internet, considérée comme la prochaine étape logique de son développement, et à laquelle on accéderait idéalement par un portail unique.
« Le métavers aura une équivalence avec le monde réel et sera beaucoup plus répandu, démocratique, fluide et varié qu’il ne l’est maintenant » – Timoni West
« Dans les années 1990, Internet était au départ décrit comme une “autoroute de l’information”. Au final, il s’agissait davantage d’un terme pour désigner un potentiel avenir avec des ordinateurs en réseau plutôt que d’une véritable autoroute », nous a expliqué Timoni West de Unity software, qui gère les départements AR et VR de cette société de jeux vidéo. « Au fur et à mesure de son développement, le métavers aura également une équivalence avec le monde réel et sera beaucoup plus répandu, démocratique, fluide et varié qu’il ne l’est maintenant », a-t-elle ajouté.
Si le discours sur la définition du métavers diffère selon les cas, il s’agit, expliqué le plus simplement possible, d’un espace virtuel partagé, interactif, immersif et hyper-réaliste. Cet univers comprendrait votre propre avatar personnalisé et vos actifs numériques, probablement enregistrés sur une blockchain.
En fait, ce n’est pas qu’un jeu vidéo ?
Si le métavers est bien plus vaste qu’un jeu vidéo, le monde du gaming semble avoir déjà adopté sa forme la plus rudimentaire. Prenons l’exemple d’un jeu en ligne comme Fortnite, où les utilisateurs disposent d’un avatar personnel pour s’engager et interagir avec les avatars des autres joueurs, tout en gagnant de la monnaie virtuelle pour débloquer des outfits.
L’itération existante la plus proche du métavers est peut-être bien Second Life, un jeu de simulation qui permet aux utilisateurs de faire l’expérience d’une réalité virtuelle dans laquelle leur avatar peut faire des achats, manger, se doucher… Bref, tout ce qu’il ferait dans la vraie vie.
Selon les technologues, le métavers portera l’expérience de la réalité virtuelle à un niveau supérieur, permettant aux utilisateurs de vagabonder dans le monde virtuel pour faire absolument tout par l’intermédiaire d’avatars numériques : acheter des terrains, organiser des teufs et même se marier.
Comment j’accède au métavers aujourd’hui ?
Bien qu’à ce stade, il n’existe pas encore de portail unique pour accéder au métavers, les experts suggèrent d’acquérir du matériel pour s’immerger véritablement dans l’expérience. En fonction de votre budget, ça peut aller du Google Cardboard à 10 balles au casque Oculus Quest 2 à 270 euros, en passant par le Valve Index VR à mille boules.
Selon l’expert en cybersécurité Baggili, la structure du métavers s’apparente un peu à celle de l’App Store. « Actuellement, il existe de multiples plateformes qui offrent des expériences en réalité virtuelle, en réalité augmentée et en réalité étendue, qui sont un peu comme les différentes applications qu’on trouve sur l’App Store. Mais pour y accéder, il n’y a pas encore de passerelle unique comme le portail développé par Yahoo pour utiliser Internet au tout début. »
« Des centaines de millions de personnes ont chaque jour accès à des mondes virtuels en 3D via des tablettes et des smartphones. Dans dix ans, il est probable que ces appareils resteront le principal moyen d’accès au métavers » – Mathew Ball
Évidemment, pas mal de poids lourds de la tech en ont profité pour proposer une variété d’expériences, allant des jeux aux espaces de travail virtuels en passant par le divertissement en live et l’immobilier. Il s’agit notamment de plateformes comme Decentraland, Axie Infinity, Horizon, Sandbox, Fortnite et Roblox. De nombreux experts affirment cependant qu’il n’y a pas nécessairement besoin de s’équiper d’un casque VR pour entrer dans le métavers.
« Nous sommes en permanence sur Internet via nos smartphones, nos haut-parleurs intelligents et les caméras installées dans le monde entier », a souligné Ball. « En règle générale, on accède au métavers via un smartphone, mais c’est toujours de façon passive. Des centaines de millions de personnes ont chaque jour accès à des mondes virtuels en 3D rendus en temps réel via des tablettes et des smartphones. Dans dix ans, il est probable que ces appareils resteront le principal moyen d’accès au métavers. »
Bien qu’y accéder depuis un téléphone, une tablette ou un ordinateur revient à renoncer à l’aspect immersif, c’est un bon moyen de tâter le terrain et de voir de quoi il en retourne vraiment.
Mais alors, à quoi sert le métavers au juste ?
Compte tenu de sa projection à haute valeur ajoutée, le métavers est présenté comme un acteur majeur de la croissance de l’économie numérique. D’après Ball, « le métavers fera croître l’économie numérique, qui est le principal moteur de croissance de l’économie mondiale ». Mais si le métavers est déjà considéré comme l’avenir du divertissement, de la mode, du gaming et même de la fête, les experts estiment que sa meilleure utilisation sera probablement en faveur de l’éducation.
« De la même manière que l’on comprend mieux la dissection en la pratiquant plutôt qu’en en lisant une description, l’éducation en 3D sera probablement bien plus efficace que l’enseignement via Zoom, par exemple », a déclaré Ball.
« Il faudrait également définir un cadre juridique pour savoir ce qui se passe si vous êtes harcelé sur une plateforme virtuelle, étant donné que cette immersion intensive dans la technologie génère des implications réelles » – Ibrahim Baggili
Baggili va également dans ce sens. « Acquérir des pays virtuels qui n’existent pas dans le monde réel peut être un investissement rentable, mais le réel intérêt du métavers sera mis en lumière quand on l’utilisera de manière à apporter de la valeur ajoutée à nos vies [au-delà de l’argent]. »
À titre expérimental, Baggili a donné à ses élèves un cours de criminologie en utilisant des casques VR. « C’était très efficace pour documenter une scène de crime et créer un environnement cohérent qu’ils pouvaient sauvegarder pour plus tard. Mais au final, les yeux de mes étudiants se sont fatigués et il est devenu difficile pour eux de travailler sur ordinateur » a-t-il déclaré. « Donc, même s’il existe des scénarios où la technologie et sa mise en œuvre peuvent être utiles — comme une installation de réalité augmentée pour former des mécaniciens ou pour aider quelqu’un à réparer à distance un ascenseur dans lequel il est coincé — il y a encore du travail. »
Le métavers est-il un environnement protégé ?
Ce n’est sans doute pas pour rien que les œuvres de fiction qui font référence à un métavers, comme Ready Player One et Snow Crash, se déroulent dans des dystopies flippantes. L’un des principaux sujets de discussion sur le métavers est la question de savoir s’il peut créer un environnement immersif sûr et responsable. Au début de l’année, Facebook a fait l’objet de critiques après qu’une femme a déclaré avoir été harcelée sexuellement et « virtuellement violée par un gang » DANS le métavers. Les experts en confidentialité numérique continuent également de souligner que le métavers serait l’outil de surveillance ultime.
« Non seulement le métavers recueille des données sur vos mouvements oculaires, les mouvements de vos mains, l’espace qui vous entoure, etc., mais il faudrait également définir un cadre juridique pour savoir ce qui se passe si vous êtes harcelé sur une plateforme virtuelle, étant donné que cette immersion intensive dans la technologie génère des implications réelles », explique Baggili.
Il ajoute que le métavers présuppose une confiance implicite dans la technologie, un peu comme lorsqu’on se fie à Google Maps sans jamais vraiment être certain qu’il nous mènera à la bonne destination. « Il y a plein de questions juridiques auxquelles nous devons réfléchir et [dont il faut s’occuper] activement si nous voulons développer ces technologies de manière responsable. »
Vivra-t-on plus tard dans le métavers ?
Certains experts estiment que d’ici à 2030, « une grande partie de la population sera, d’une manière ou d’une autre, présente dans le métavers ». Mais malgré la hype actuelle, le concept nécessite encore pas mal de travail et de réflexion. Le premier défi sera sans doute l’accessibilité au matériel nécessaire pour y entrer.
Vient ensuite le besoin d’inter-opérabilité, qui permettra de transférer des objets virtuels tels que des vêtements ou des voitures d’une plateforme à l’autre. Selon de nombreux experts, il s’agit d’une condition essentielle au bon fonctionnement du métavers. Sans oublier les défis juridiques et commerciaux qu’il reste à relever, ou encore l’épineuse question de savoir qui fera la police. Et puis, est-ce que tout le monde a vraiment envie de se retrouver là-bas ?
Alors peut-être bien qu’on vivra dans le métavers par intermittence, puisqu’on aime bien porter des lunettes VR mais qu’on n’arrive jamais à les garder très longtemps. Ou, qui sait, cet article VICE pourrait bien nous faire exploser de rire dans dix ans, nous les naïfs qui avions osé douter du gigantesque potentiel du métavers.
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