Santé

Le monde médicalement discutable de la congélation d’ovocytes

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Préservation de la fertilité : un espoir pour l’avenir. Ces mots apparaissent sur un grand écran devant nous. Autour de moi, une trentaine de personnes sont assises dans des fauteuils en cuir moelleux et grignotent des sandwichs préparés par un traiteur. Il est 18 h 30 un mercredi, et nous sommes dans la « salle de dépistage » obscure du Southern California Reproductive Center à Beverly Hills, l’une des cliniques de fertilité les plus réputées de Californie. C’est un établissement sophistiqué, le genre d’endroit avec des rideaux dorés et une peinture du soleil au plafond.

Comme moi, la plupart des participants à cette séance d’information gratuite semblent être des femmes dans la trentaine. Nous sommes tous là pour savoir une chose : si oui ou non cet endroit peut nous sauver de notre fertilité en déclin rapide et inévitable.

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Sur l’écran, des diapositives PowerPoint passent en revue des « faits amusants » visant à nous convaincre que tout ira bien. On nous donne des informations sur les médecins que nous allons rencontrer plus tard dans la soirée (le Dr Chang adore le karaoké) et on nous montre des photos d’enfants nés par fécondation in vitro, qu’on appelle ici des #Hopenators. On nous assure que notre situation n’a rien d’anormal – un couple sur six rencontre des problèmes de fertilité – et on nous récite des motivational quotes pour nous apaiser : « Ne renoncez jamais à quelque chose que vous voulez vraiment » ; « Il est difficile d’attendre, mais il est plus difficile de regretter » ; « Ce qui ne se fait pas aujourd’hui se fera demain. » Enfin, on nous demande de laisser un avis sur Yelp.

La « préservation de la fertilité », nous apprend-on, peut signifier beaucoup de choses. Le terme peut désigner la congélation du sperme ou la fécondation in vitro. Mais il peut également désigner, comme c’est le cas ici, la « cryopréservation d’ovocytes », un processus par lequel on injecte des hormones pour stimuler l’ovulation afin de prélever des ovocytes qui seront congelés et fécondés plus tard.

Aux États-Unis, les « séances d’information » gratuites comme celles-ci sont de plus en plus courantes dans les cliniques de fertilité, notamment grâce à deux avancées dans le domaine de la congélation d’ovocytes, explique Rene Almeling, professeure de sociologie à Yale et auteure de Sex Cells : The Medical Market for Eggs and Sperm. La première a eu lieu en 2012, lorsque l’American Society for Reproductive Medicine a cessé de considérer la congélation d’ovocytes comme une procédure « expérimentale », ce qui a permis aux cliniques de fertilité de la commercialiser de façon plus large et plus agressive. Puis, en 2014, Facebook et Apple ont annoncé à leurs employés que leur assurance maladie couvrirait la congélation d’ovocytes à des fins non médicales.

La couverture médiatique de ce nouvel avantage social accordé aux employés des géants de la technologie a porté la procédure à l’attention du grand public et au centre du débat. Elle a souvent été décrite comme un moyen de favoriser l’avancement professionnel des femmes. En 2014, Bloomberg Businessweek a publié un article intitulé : « Congelez vos œufs, libérez votre carrière ». Hal Danzer, endocrinologue de la reproduction et cofondateur du Southern California Reproductive Center, ou SCRC, me dit que les patientes qui viennent le consulter sont « vraiment enthousiastes à l’idée de faire cela pour leur carrière ». Mais une étude de 2018 a révélé que la motivation première derrière la congélation d’ovocytes est l’absence d’un partenaire stable.

Quelle que soit la raison, la congélation d’ovocytes est le service de préservation de la fertilité qui connaît la plus forte croissance dans le secteur. Au cours des dernières années, le nombre de cycles de congélation d’ovocytes aux États-Unis a plus que doublé, passant d’environ 5 000 en 2013 à près de 11 000 en 2017. Bien que les données ne soient pas encore disponibles pour 2018, la fondatrice de la clinique de congélation d’ovocytes Kindbody, basée à New York, a récemment déclaré au New York Times qu’elle s’attendait à ce que ce nombre atteigne les 76 000. Hal Danzer explique que sa clinique effectuait autrefois 20 à 30 cycles de congélation d’ovocytes par an. Cette année, il s’attend à ce que le centre en effectue 300.

Mais peut-être que les séances d’information huppées et optimistes comme celle à laquelle j’ai assisté servent à masquer des réalités scientifiques plus complexes entourant la congélation d’ovocytes. Ce qu’ils annoncent comme étant une solution d’émancipation pour les femmes soucieuses de leur carrière est, en réalité, une procédure médicale complexe et onéreuse aux résultats douteux.

Almeling, par exemple, trouve les tactiques de marketing utilisées par les cliniques particulièrement scandaleuses. « C’est une technologie relativement récente avec un taux de réussite assez faible. Selon elle, la congélation d’ovocytes est surtout un « billet de loterie très cher ».

Bien que la procédure soit commercialisée comme une solution intelligente pour les femmes qui veulent retarder leur horloge biologique, aux États-Unis, elle reste un service de luxe limité à quelques personnes. Selon Fertility IQ, un site d’information sur la fertilité, un cycle de congélation d’ovocytes coûte entre 15 000 et 20 000 dollars en moyenne. Souvent, il faut plus d’un cycle pour obtenir le nombre d’ovules désiré. Si la patiente veut ensuite recourir à la fécondation in vitro, un coût supplémentaire de 22 000 dollars s’applique. La grande majorité des personnes qui suivent le traitement doivent payer de leur poche. En 2017, seulement 20 % des personnes ayant utilisé ce service ont vu tous leurs frais couverts par une assurance, Fertility IQ. Dix-sept pour cent avaient une couverture limitée, et 63 % n’en avaient aucune.

En raison des coûts élevés, ces séances d’information gratuites sont un élément essentiel de la procédure. Personne n’aime débourser 15 000 dollars à la légère. En conséquence, les cliniques trouvent une myriade de façons de commercialiser leurs services et de faire croire aux femmes que la procédure sera facile et fructueuse. Dans la baie de San Francisco, une endocrinologue de la reproduction, Aimee Eyvazzadeh, est désormais surnommée « la femme qui murmure aux oreilles des ovules ». Sa chaîne YouTube, Eyvazzadeh, cumule 92 000 visites dans lesquelles elle donne des conseils sur la meilleure façon de procéder au prélèvement d’ovules ou sur la façon d’obtenir un taux de réussite de 100 % de la FIV.

« Pour les cliniques de fertilité, c’est une entreprise qui rapporte de l’argent, dit Almeling. Il y a des cliniques qui organisent des événements assez chics avec des cocktails et des bons de réduction. Si elles font tant d’efforts pour organiser ces événements, c’est parce que les traitements représentent une énorme source de revenus. »

Mais ces centres minimisent souvent le coût du traitement dans leurs séances d’information. Dans celle à laquelle j’ai participé, la question n’a guère été abordée. Les participants ont reçu des bons avec des séances de consultation gratuites et un lien pour télécharger un « Guide des coûts de la congélation d’ovocytes » qui n’était pas non plus très informatif. Dans la section « Combien cela me coûtera-t-il de congeler mes ovocytes », il était indiqué que le prix moyen était d’environ 10 000 dollars par cycle, mais que cela « peut varier en fonction de la clinique » – et il n’était pas précisé s’il s’agissait du coût pratiqué par ce centre. Bien qu’ils aient indiqué que le médicament coûtait entre 3 000 et 5 000 dollars, il n’a pas été fait mention du prix de l’anesthésie ou du stockage des ovocytes.

Plus tard, lorsque je demande directement les prix à Danzer, il me dit de prévoir 10 000 dollars pour l’intervention, en excluant deux choses : l’anesthésie, qui peut coûter entre 500 et 1 000 dollars si elle n’est pas couverte par l’assurance ; et les frais de stockage, qui, selon Danzer, s’élèvent à « quelques centaines de dollars ».

Cet argent sert à financer une procédure comportant d’importantes inconnues médicales. Selon Almeling, personne dans l’industrie pharmaceutique n’a mené d’étude longitudinale sur ses effets à long terme. Ce que nous savons, c’est que la congélation d’ovocytes est tout sauf une valeur sûre. Une étude réalisée en 2018 par la Human Fertilisation and Embryology Authority au Royaume-Uni a révélé que le pourcentage de naissances à partir d’ovocytes congelés n’est que de 18 % par cycle.

Dans une étude de 2015 mentionnée dans un rapport de la Société canadienne de fertilité et d’andrologie, le taux de réussite pour les personnes âgées de 35 ans et moins se situe entre 15 et 61 %. Pour les personnes de plus de 35 ans, ce taux se situe entre 5 et 30 %. La Mayo Clinic résume cela comme suit : « Les chances de tomber enceinte après l’implantation sont d’environ 30 à 60 %, selon l’âge de la patiente au moment de la congélation des ovocytes. » Danzer conteste ces chiffres lorsque je les lui montre, affirmant que le taux de réussite est plus proche de 80 % aux États-Unis, et de 90 % dans son centre.

Almeling estime que les cliniques de fertilité devraient non seulement être plus transparentes sur les taux « très élevés » d’échec, mais aussi fournir davantage d’informations sur les difficultés physiques liées à la procédure de stimulation de l’ovulation et de prélèvement des ovocytes. « On vous vend ça comme une solution technologique simple et pratique pour freiner l’horloge biologique alors qu’en fait, la congélation d’ovocytes nécessite l’injection de médicaments de fertilité au moins une fois par jour pendant plusieurs semaines et une intervention chirurgicale en ambulatoire », dit-elle.

Dina, une avocate d’une trentaine d’années qui souhaite rester anonyme, a assisté à une réunion d’information au SCRC en 2016. Enfant, elle s’est fait enlever un ovaire et a assisté à la séance non pas tant pour les informations que pour la consultation gratuite. « Je voulais savoir si je jouais avec seulement un demi-jeu de cartes », dit-elle.

« C’était très étrange, se souvient-elle. Ils nous ont donné du champagne, ce qui ne colle pas trop avec un événement sur la fertilité. » Pendant qu’elle regardait le fameux PowerPoint, les haut-parleurs diffusaient des chansons contenaient le mot « bébé », de « Baby Baby » des Supremes à « Baby One More Time » de Britney Spears. Le message n’aurait pas pu être plus clair pour Dina : le centre lui faisait savoir que c’était possible, qu’avec cette méthode, elle pouvait avoir des enfants.

Après cette introduction, il y a eu la présentation proprement dite, que Dina qualifie de « campagne très axée sur la peur ». En regardant la série de diapositives dans lesquelles la baisse progressive de sa fertilité était accentuée, Dina a commencé à se demander si tout cela était vraiment nécessaire. Assise dans cette pièce, je ressens la même chose. Même moi, qui n’ai aucun désir de grossesse, je m’interroge sur la qualité de mes ovules. J’ai 35 ans. Écouter une présentation de 30 minutes sur la façon dont mon corps se détériore de façon exponentielle chaque jour me rend anxieuse.

Les séances d’information comme celles du SCRC ont du succès car aux États-Unis, l’incapacité à procréer est très stigmatisée et l’éducation sur la fertilité est souvent très limitée. « De nombreuses femmes passent la majeure partie de leur vie à essayer de ne pas tomber enceintes, dit Almeling. Cela signifie que beaucoup d’entre elles ne pensent pas à leur fertilité avant d’atteindre l’âge où leur capacité à produire des ovules et la qualité de ces derniers commencent à se dégrader. C’est alors qu’elles se dépêchent de s’informer. »

C’est le cas de Karissa Chen, une écrivaine indépendante. À 35 ans, elle a mis fin à une relation de cinq ans et, pour la première fois, a commencé à faire des recherches sur la fertilité et la congélation d’ovocytes. C’est comme ça qu’elle a connu Extend Fertility, une clinique new-yorkaise spécialisée dans la congélation d’ovocytes. Le centre propose des tests de fertilité gratuits, et Chen a décidé d’y aller « pour voir », sans même savoir ce qu’elle voulait.

Ce qui l’inquiétait le plus, comme la plupart des personnes qui envisagent de recourir à ce traitement, c’était son coût. Elle passe la moitié de son temps à Taïwan et a donc décidé de faire l’intervention là-bas, où elle est deux fois moins chère qu’aux États-Unis. D’ailleurs, les prix très élevés pratiqués par les centres américains ont ouvert des opportunités d’affaires pour les centres étrangers. Le site Ovally, par exemple, envoie des femmes en Espagne : « Un voyage unique en son genre qui allie détente et aventure tout en mettant votre fertilité entre de bonnes mains. » Des sites comme destinationfertility.com facilitent les voyages à l’étranger pour la congélation d’ovocytes et la fécondation in vitro.

Chen a mis un an à sauter le pas. Mais peu après avoir commencé la procédure, elle a commencé à ressentir certains des effets secondaires les plus courants des injections d’hormones, comme « les sautes d’humeur, l’anxiété et la dépression ». Elle a eu l’impression de ne pas avoir été suffisamment préparée à tout cela. « C’était plus dur que prévu. Le bilan émotionnel et physique a été très lourd. J’étais fatiguée et je pleurais tout le temps. » Surtout, personne ne lui avait jamais parlé des taux d’échec élevés de la congélation d’ovocytes. Elle ne l’a appris qu’en faisant ses propres recherches et a été choquée par cette révélation.

Compte tenu de l’absence de données cliniques permettant de déduire les conséquences à long terme de ce traitement, Almeling estime que les patientes ne sont même pas en mesure de donner un consentement éclairé aux cliniques, même si elles le souhaitaient. En réalité, de nombreuses femmes sont insatisfaites de la procédure. En 2018, une étude a été menée au Centre de santé reproductive de l’université de San Francisco, auprès de femmes ayant subi une congélation d’ovocytes entre 2012 et 2016. Les chercheurs ont constaté que si 89 % d’entre elles s’attendaient à être satisfaites de leur décision, une femme sur six regrettait de l’avoir prise.

Chen est satisfaite de sa décision. Elle sait que ce n’est pas un pari sûr, mais ça lui donne « un peu de marge ». Elle aimerait cependant que les femmes reçoivent une meilleure éducation sur les questions liées à la fécondité, et non pas de la part de « sociétés qui veulent seulement vous vendre quelque chose ». Et je la comprends. Même si la présentation à laquelle j’ai assisté offrait des informations exactes sur la fertilité et la congélation d’ovocytes, elle a également passé sous silence ou carrément ignoré certaines des réalités moins attrayantes de la procédure.

Quoi qu’il en soit, le message était clair : vous ne rajeunissez pas. Et si vous voyez votre avenir avec des enfants, nous pourrions bientôt être votre seul espoir.

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