Ça fait plus de 30 ans que les jeux vidéo existent. Ça fait donc plus de 30 ans que les gamers sont diabolisés et passent soit pour des nerds infréquentables (aux yeux de leur famille), soit pour de potentiels futurs terroristes (aux yeux des journalistes, des psychiatres et des hommes politiques).
Après avoir tenté de diaboliser les habitués des jeux de rôle via l’affaire James Dallas Egbert au mois d’avril 1979, le gouvernement américain a vite trouvé une nouvelle bête noire dans le jeu vidéo. Celui-ci est brutalement passé d’outil de propagande via la campagne « Winners Don’t Use Drugs » de Nancy Reagan à la fin des années 1980 à prétendue arme de destruction massive de la jeunesse après l’explosion, au milieu des années 1990, des shoot ’em up ultra-violents Doom et Mortal Kombat. Mais le jeu vidéo n’a pas attendu ces deux titres pour être outrancier, de même que les gouvernements du monde entier ne les avaient pas non plus attendus pour faire chier à la fois les joueurs et l’industrie du gaming. Dès 1976 avec la sortie de Death Race sur borne d’arcade 1-bit, le responsable du National Safety Council avait qualifié le jeu de course meurtrière de « dégueulasse » en déclarant qu’il « n’osait imaginer les jeux à venir si l’opinion ne se manifestait pas » et annonçant avec quelques années d’avance la fureur des gens bien à l’encontre du meilleur passe-temps du monde.
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J’ai tenté de résumer ci-dessous les quelques fois où les démocraties occidentales (et les autres) avaient cherché à culpabiliser les joueurs, mis des bâtons dans les roues aux développeurs ou simplement, voulu interdire les jeux vidéo les plus cruels et gratuits.
1991 – NIGHT TRAP
Sorti en 1991 sur Sega Genesis – la Megadrive version américaine –, Night Trap proposait une expérience inédite de jeu vidéo-slasher interactif à base de Full motion, cette technologie qui permettait de figurer de la vidéo pixelisée sur console. Celle-ci serait peut-être mieux passée si le titre ne contenait pas de nombreuses séquences de mises à mort, notamment certaines assimilables à du viol.
En 1993, tandis que l’industrie tremblait à l’idée d’une prochaine classification pour ses jeux les plus violents, Sega ont d’eux-mêmes décidé de prendre les choses en mains et d’accoler un gros « MA-17 » (pour Mature Audience, logo indiquant que le jeu est déconseillé aux enfants) sur son jeu, devenu du coup l’un des premiers à en écoper. Ça n’a pas empêché le jeu de devenir l’un des exemples les plus cités par les différents lobbyistes anti-gaming du monde entier. La même année, Eugene Provenzo, professeur à l’Université de Miami déclara que Night Trap était « graphiquement presque l’égal de la télé – mais en largement plus violent, sexiste et raciste ».
1993 – DOOM
Si comme moi vous avez plus de 30 ans, vous vous souvenez forcément de la première fois où vous avez joué à Doom sur PC,en 1993. Vous vous souvenez de ce sentiment grisant de circuler dans des couloirs infestés d’horreur, de sang et d’excréments, fusil au point, dans le but de défoncer sans ménagement le moindre truc qui oserait se présenter devant vous. Avant Doom, Id Software avait déjà alerté la bonne morale avec le jeu Wolfenstein 3D, aujourd’hui considéré comme le premier first person shooter – ces jeux où le joueur doit tirer bêtement sur tous les personnages qu’il rencontre.
Hilary Clinton fut citée par son mari au moment du massacre de Columbine en disant que « plus les enfants jouent à des jeux comme Mortal Kombat, Killer Instinct et Doom, plus ils participent à la violence ambiante ». Il faut dire qu’Eric Harris – l’un des deux assassins, qui avait conçu des niveaux du jeu sous le sobriquet de REB ou RebDoomer – avait déclaré avant sa croisade meurtrière qu’il pensait que « ce serait comme jouer à Doom ». Avant 1999, le criminologue et ex-lieutenant David Grossman avait déjà déclaré que le jeu était un « simulateur de meurtre de masse », ce qui est vrai.
Pourtant, malgré cette longue cabale contre le jeu et ses successeurs, les « Doom-like », en 1996 l’armée américaine fit un pied de nez à tout le monde en transformant le jeu en simulation pour ses Marines, via le mode Marine Doom.
1994 – MORTAL KOMBAT II
Assister à l’avancée de millions de gamins en train de se démembrer gaiement à coups de fatalités, c’était semble-t-il un peu trop pour que le gouvernement américain ne bouge pas son gros cul impérialiste. À l’instar de Doom, on remarque que la thune engrangée par les développeurs, qui n’avaient rien fait de mal si ce n’est de fournir un exutoire 16-bit à des puceaux en mal d’amour, a tout autant ennuyé le gouvernement.Ce n’est pas forcément ce qu’Ed Boon et John Tobias retiendront de leur création, mais si on vous demande, vous pouvez dire que oui, c’est bien à cause de Mortal Kombat – et plus indirectement Doom et Night Trap – que depuis 1994 toutes vos jaquettes de jeux vidéo sont salopées par un gros logo PEGI (Pan European Game Information) pour prévenir de la catégorie d’âge autorisée à jouer à un jeu. Vous me direz que de toute façon, ces covers n’ont plus que rarement le charme d’antan. Mais c’est aussi parce qu’il y a un gros « PEGI 18 » rouge et blanc très souvent injustifié dessus.
1997 – GRAND THEFT AUTO
Aujourd’hui, les frères Houser, célèbres fondateurs de Rockstar et créateurs de Grand Theft Auto, ou GTA se sont calmés. Mais à une époque, GTA constituait l’une des expériences de violence les plus gratuites et moralement répréhensibles proposées par un jeu vidéo. Le programme colportait déjà son lot de controverses du fait de cette gratuité potentiellement nuisible si elle était mise « entre les mains d’esprits trop faibles » comme le veut la formule consacrée. Mais quand en 2004, le studio a eu la bonne idée de laisser un mini-jeu de baise perdu dans GTA San Andreas – plus tard débloqué et rebaptisé « Hot Coffee Mode » par la communauté de gamers PC –, le couperet est tombé. Après réparation, et au lieu de se calmer, les frères Houser n’en ont plus eu rien à foutre. Ils ont offert à la console préférée des enfants, la Nintendo DS, un GTA axé sur le trafic de drogue et collé une mission « filmage de sextape » dans le dernier épisode de leur saga criminelle.
Au final, à part en Thaïlande où la série s’est fait définitivement interdire en 2008 après l’assassinat d’un chauffeur de taxi – poignardé par un mec ayant ensuite prétexté que « ça avait l’air facile dans le jeu » –, GTA est désormais parfaitement intégré au public de masse. Les mecs ont beau tout faire pour conserver le potentiel subversif de leur création, c’est du côté de Manhunt, un autre jeu Rockstar fricotant avec le snuff et l’utraviolence, que beaucoup de pays ont préféré se tourner pour trouver un bouc-émissaire.
2003 – CALL OF DUTY
« […] Et n’oubliez pas que la plupart des jeunes qui partent pour faire le djihad se sont entraînés sur le jeu vidéo Call of Duty ». Cette légère enfourchure sémantique signée Alain Bauer, criminologue et consultant en sécurité probablement bien averti, n’est que la dernière pique lancée par un mec n’ayant jamais joué une seule seconde au jeu de guerre d’Activision. « Ont joué » – sérieux, pourquoi pas ? Mais « se sont entraînés », ce ne serait pas super malin. Call of Duty est en effet bien éloigné d’une simulation de conflit pure de type Arma 3. Quoi qu’il en soit, bien que mis en cause à la moindre incartade adolescente de type Anders Breivik – qui avait par ailleurs lui-même cité le jeu dans son « manifeste » –, Call of Duty s’en sort plutôt bien.
À part une controverse vite oubliée causée par un massacre dans un aéroport dans Modern Warfare II en 2009, seul le gouvernement pakistanais a réussi à empêcher ses futurs djihadistes de s’entraîner sur Black Ops II – et à Medal of Honor : Warfighter par la même occasion. Pas parce qu’il en craignait les conséquences, mais parce que, selon Salim Memon, responsable de l’APCDACTM (All Pakistan CD, DVD, Audio Cassette Traders and Manufacturers Association), « les jeux avaient été développés pour aliéner la jeunesse et la forcer à haïr le Pakistan ». Par ailleurs, après avoir permis à ses soldats de s’entraîner sur Doom, l’armée américaine a quant à elle interdit de circulation de Medal of Honor sur ses bases en 2010 parce que son mode en ligne permettait de jouer des talibans. Chacun son stress.
2015 – HOTLINE MIAMI 2
Dernier titre à avoir secoué le petit monde des controverses liées aux jeux vidéo, Hotline Miami réunit à peu près tout ce qui terrorise les ligues de protection de la société. Son seul but semble de laisser le joueur massacrer méthodiquement des personnes d’apparence hostiles dans une vibe fin du monde/fin de Taxi Driver. Le studio Dennaton Game excelle dans la fabrication de violence et avait en conséquence déjà provoqué quelques réactions indignées, surtout en Australie, pays sévère en censure de charcutage ; on se souvient en effet, dès 1991, de la célèbre mise en garde de la sénatrice Margaret Reynolds au sujet de Night Trap – « Pensez aux enfants ! » – et de l’instauration d’une classification R18+ à la sortie de Ninja Gaiden 3 sur Wii U en 2013.
Résultat, une petite séquence de viol 8-bit sur le tournage d’un film en introduction de Hotline Miami 2 et voilà comment l’un des meilleurs jeux de ce début d’année a fini interdit sur le territoire océanien. Pour se venger, Dennaton ont proposé à tous les joueurs australiens de pirater leur jeu. « S’il ne sort pas en Australie, pirate-le. Ne nous file pas ton argent, kiffe le jeu ! », a en effet déclaré Jonatan Söderström, l’une des deux têtes de Dennaton, dans un mail largement colporté sur Reddit.
Virgile écrit pour VICE depuis la nuit des temps. Il a un Twitter mais ne s’en sert que pour lire les twets de Miley Cyrus.