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Le National, tremplin ou traquenard ?

Avec le soutien de CANAL +, diffuseur de la Ligue 2 et du National.

Ribéry, Kanté, Giroud, Valbuena, Koscielny… Tous ces internationaux français ont un point commun : ils sont passés par le National. Mais pour ces quelques réussites fracassantes, combien de carrières prometteuses s’évanouissent ? En sondant le petit monde du National, on comprend que les talents gâchés sont légion. Car franchir le cap n’est pas évident et la route vers le haut niveau peut parfois être longue, sinon sinueuse.

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En cherchant bien, on peut tous trouver un “cousin”, un “pote” ou une “connaissance” qui a “failli passer pro”. Le National regorge de ces pépites barrées par les blessures, le hasard, la malchance, ou l’influence d’un mauvais entourage. Au cours de sa riche carrière en National, le défenseur central du Paris FC Hervé Lybohy aura croisé Jonathan Kodjia (Aston Villa FC), Hervé Bazile (SM Caen), Emiliano Sala (FC Nantes), Romain Thomas (Angers SC) ou encore Whabi Khazri (Sunderland). De rares exceptions, car si ces talents ont percé, beaucoup sont restés à quai. « Certains avaient les qualités pour aller plus haut, mais n’étaient pas encore matures dans leur jeu », croit savoir Lybohy. Ce qui a fait la différence ? « L’accumulation des matches au haut niveau », ajoute le joueur parisien. D’où la peur de la blessure, omniprésente. En stoppant la progression d’un joueur en pleine éclosion, elle serait vécue comme un cataclysme.

Frédéric Weis, homonyme du basketteur et défenseur à l’US Quevilly, en a fait l’amère expérience. « Si mon genou ne m’avait pas lâché, j’aurais peut-être pu prétendre à une meilleure carrière, regrette-t-il encore. Il m’a manqué un brin de chance pour percer. » Comme Hervé Lybohy, Weis a porté le maillot de nombreux clubs de troisième division. Il a vu passer « pas mal de pépites » : « J’ai joué avec Mounir Obbadi à Angers (le milieu de terrain est aujourd’hui à Nice, ndlr). Anthony Losilla aussi (aujourd’hui en D2 Allemande, au VfL Bochum). » En National, les talents les plus chanceux obtiennent leur ticket pour la division supérieure qu’est la Ligue 2. Hervé Lybohy n’en doute pas : « La plupart des bons joueurs que j’ai vu en National, ils sont partis voir ce qui se passait au-dessus. »

Mathieu Valbuena sous les couleurs de Libourne. Il a passé deux saisons en Gironde.

Jonathan Lacourt, lui, a fait le chemin inverse. À la 25e minute d’un Rennes-Valenciennes en 2013, le longiligne milieu mène l’attaque, pourchassé par Julien Féret. Plein axe, Kader Mangane, défenseur rennais, l’attend. Arrivé à sa rencontre, il le cisaille d’un tacle assassin. Le diagnostic est terrible : fracture du tibia-péroné pour Lacourt. C’est ensuite la dégringolade de la Ligue 1 jusqu’en National. « Il a pas mal galéré après, se souvient Hervé Lybohy, son coéquipier à Amiens à l’époque. « Il est venu se relancer chez nous, en National. Pourtant, il a un vrai pied gauche, il sent le football. » Si la troisième division peut être un moyen de garder le niveau, elle peut aussi se transformer en vrai traquenard. Voire détruire des carrières.

Le mélange hybride du National entre amateurs, promus de CFA, et pros relégués de L2 a accouché d’une division ardue et imprévisible, au jeu musclé. « ll y a un peloton de tête de quatre ou cinq équipes qui jouent au ballon, et les autres suivent. Malheureusement, c’est une division où les points priment sur le beau jeu, explique Frédéric Weis. La preuve : Boulogne joue bien au ballon cette année, mais ils sont septièmes pour l’instant ». Le jeu dur sur l’homme pratiqué en National provoque des blessures, danger numéro 1 pour un jeune joueur. « C’est un championnat de guerriers, poursuit Weis. Pour un jeune joueur, ce n’est pas évident de se mettre en valeur dans des équipes comme ça. ». Hervé Lybohy abonde : « Le National est assez physique. Il requiert moins de qualités techniques, mais plutôt d’autres valeurs, comme l’agressivité ou le bloc équipe. » Dans une formation où le collectif et l’engagement physique priment, les joueurs au “QI football” élevé ont encore plus de mal à se démarquer.

Mais il y a une échappatoire : la coupe de France, moyen d’exposition précieux pour les équipes du National. Lorsque les petites équipes enchaînent les qualifications, leurs matches commencent à être retransmis à la télévision. Ils affrontent alors les plus gros. Lors de la saison 2011-2012, l’US Quevilly se hisse en finale contre l’Olympique Lyonnais après avoir éliminé deux clubs de Ligue 1, l’Olympique de Marseille et le Stade Rennais. L’épopée des Normands, très médiatisée, a mis en lumière les jeunes de l’équipe. « Deux joueurs ont été repérés et sont partis en Ligue 1 (Nicolas Pallois et Pierrick Capelle, aujourd’hui à Bordeaux et Angers, ndlr) », se souvient Frédéric Weis, encore présenté comme celui qui s’est « interposé sur une frappe lyonnaise [en finale de Coupe de France], alors que le gardien n’avait pas bougé » par sa fiche Wikipédia.

Valenciennes a repéré Savidan alors qu’il jouait en National à Angoulême. Il passera 4 ans dans le Nord. Photo Reuters.

Lorsqu’une équipe de National devient imbattable, elle peut tout casser en coupe de France ou écraser son championnat, puis la Ligue 2, pour arriver en Ligue 1. Passer du National à la première division en seulement trois ans, c’est l’exploit qu’a réussi le Valenciennes FC. En 2006, sur les 23 joueurs qui composent l’effectif valenciennois lors de son arrivée en Ligue 1, 9 sont issus du National. « On a réalisé notre rêve », plane encore José Saez, ex-joueur emblématique du Valenciennes FC entre 2004 et 2014, reconverti responsable de la formation du club. Ce qui a fait la différence ? « Notre mentalité de gagneur, assure José Saez. Personne ne nous attendait. On avait de bons revanchards, comme Steve Savidan, Rudy Mater, Geoffrey Doumeng… ». Dans ce collectif « ultra-soudé », un joueur sort du lot : Steve Savidan. Passé par Angoulême, en National, il y inscrit 12 buts en 37 matches qui lui permettent de se faire repérer par les dirigeants du Valenciennes FC. La suite ? Un quadruplé mémorable à Nantes face à Fabien Barthez, une bicyclette le soir de sa première sélection en bleu et un surnom : Savigol, pour celui qui était encore éboueur quelques années auparavant.

Savidan n’est pas le seul exemple de l’ascension d’un amateur de National au niveau professionnel. Malgré ses carences, le National a aussi formé les meilleurs. Et ceux qui les ont vu évoluer le savent : on les repère tout de suite. En 2007, à la tête du FC Libourne Saint-Seurin en National, l’entraîneur Didier Tholot comprend tout de suite qu’il a un diamant brut dans l’effectif. « Il m’a dit “Je vais construire l’équipe autour de toi, tu vas être 10” », confiait Mathieu Valbuena à So Foot. Forcément, dans cette division sans pitié, le frêle meneur de jeu souffre. « J’ai pris des pains, des taquets partout. J’étais la cible. Les déplacements, c’était Carcassonne, Luzenac, Toulouse Fontaines… c’était chaud. »

Avant de rejoindre les Girondins de Bordeaux, Nicolas Pallois a joué deux saisons à Niort,, dont une en Natrional. Photo via Flickr.

Un chouïa plus grand en taille, mais un petit peu plus bas sur le terrain, on trouve N’Golo Kanté. En 2012, à l’US Boulogne, en National, le joueur affolait déjà son coach. Avant de devenir le monstre que l’on connaît à Chelsea, jusqu’à se faire élire joueur de l’année en Premier League. Georges Tournay, entraîneur de l’USBCO à l’époque, évoquait à France Football sa fascination pour le talent du milieu haut comme trois pommes. « N’Golo était très discret, mais sur le terrain il se faisait remarquer avec sa technique en mouvement, qui déjà à l’époque était de haut niveau ». Pour Georges Tournay, pas de doute : Kanté est un futur grand. « Sa qualité de passe, de première touche toujours orientée dans le sens du jeu. Et puis, sur le plan athlétique, il avait les deux qualités suprêmes : la vitesse et l’endurance. Quand on voit tout ça dès les premiers coups d’œil, on a envie de l’observer en match. Et là, rapidement, il m’a bluffé. »

En hébergeant les jeunes loups de Ligue 1 et Ligue 2, le National parvient encore à produire des grands joueurs. Mais la tendance serait au déclin. « Les clubs de Ligue 1 prêtent moins leurs jeunes en Ligue 2 et en National, note José Saez. Et les vieux préfèrent finir leur carrière dans les divisions supérieures. Regardez Benjamin Nivet ou Sébastien Roudet… » Dans une récente interview sur le site de So Foot, Claude Puel pousse un coup de gueule : « On n’utilise pas notre National à bon escient, blâme le coach de Southampton. S’il y a bien une division où il faut donner du temps aux jeunes, c’est le National. {…} Aujourd’hui, c’est presque devenu impossible de prêter des jeunes, car tout le monde veut du joueur aguerri pour les joutes du National ou de Ligue 2. Cette situation nous fait perdre plein de joueurs. » Parmi eux se cache peut-être le prochain numéro 10 de l’équipe de France.

Cet article a été rédigé par la rédaction de VICE Sports, sans la moindre influence de la part du sponsor.