Le batteur et compositeur Kevin Haskins a déjà une impressionnante carrière derrière lui. Il a été membre fondateur et batteur du groupe phare de la scène goth et post-punk, Bauhaus, avant de passer dans Tones on Tail et Love & Rockets, rejetons respectés et influents du genre. Débutée à la fin des années 90, sa production en solo l’a conduit à bosser pour des jeux vidéos, des séries télés et des films. Il a créé des thèmes pour Playstation 2, NBC, HBO, et même Disney.
Mais tout ceci est connu. Ce que vous ignorez peut-être à son sujet, c’est que cet homme est un collectionneur invétéré. Il a conservé les flyers, les setlists, les pass backstage, les photos, les manuscrits des paroles, les visuels et toutes sortes d’autres souvenirs depuis les débuts de Bauhaus, à la fin des années 70. Il y a encore un an et demi, tout ça s’entassait dans des boîtes éparpillées et il en avait oublié la majeure partie.
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Aujourd’hui, avec l’aide de Jeff Anderson de la galerie Artist in Residence, il offre tout ce matériel aux fans du groupe par le biais d’un livre (d’art) de plus de 300 pages – Bauhaus – Undead : The Visual History and Legacy of Bauhaus. Et un conseil, ruez-vous sur les préventes par ici.
Noisey : Tu as commencé à collectionner tous les petits trucs liés au groupe dès le début ?
Kevin Haskins : Ouais, j’étais vraiment, vraiment excité quand on a parlé de nous pour la première fois dans le journal local. Notre père – mon frère est dans le groupe, hein – m’a vraiment poussé à jouer de la batterie, il m’a fait prendre des cours, mais c’était quelqu’un qui montrait très peu d’émotions, très British… Et il a dit un truc comme, « Bon, et bien bonne chance, mais vous n’y arriverez jamais, il y a une chance sur un million »… Et j’ignorais tout ça, c’est ma mère qui me l’a dit des années après, mais il découpait tous les articles qui parlaient de nous et il les emmenait au pub pour les montrer à ses copains.
Oh, cool ! Mais il ne te l’a jamais dit.
Non, non.
Est-ce que quelqu’un d’autre du groupe a contribué au bouquin ?
Non, je crois que mon frère me l’a proposé, mais j’avais tellement de matos que c’était déjà dur à gérer. J’ai donc fouillé dans mes boîtes, j’ai retrouvé tous ces trucs, et il y avait beaucoup de choses que j’avais complètement oubliées. J’ai retrouvé cette BD dessinée par un artiste qui s’appelle Matt Howarth. Quatre pages en tout, et sur l’une d’elles, toutes les bulles étaient vides. Alors j’ai tapé son nom dans Google, je lui ai écrit et demandé « il s’est passé quoi à cet endroit ? » Il m’a répondu qu’il était venu dans les loges, vers 1982, il nous avait donné la BD en nous disant « J’aimerais que vous remplissiez les bulles vides et que vous me la renvoyiez ensuite. »
De toute évidence, on a commencé à le faire, puis oublié de finir… Et je l’ai rangée dans une boîte dans laquelle elle est restée pendant 25 ans. Il m’a dit qu’il avait fait pareil avant de me demander « Est-ce que tu veux que je les complète ? » Je lui ai répondu « Non, laisse moi le faire. » Et tu vois, on utilisait parfois la technique du cut-up à l’époque, dont le grand maître était William Burroughs, donc j’ai eu recours à cette technique, et il s’est avéré que ça collait vraiment au reste, la correspondance était troublante. Ça restait pertinent avec ce qu’il se passait dans la BD ; très étrange.
J’ai adoré lire ton histoire sur le corbillard ; moi aussi j’avais une bagnole digne d’une corbillard ! Je sais exactement ce que ça fait de tomber en panne sur le bas-côté, avec tous les gens qui te regardent…
Ah, tu conais ce sentiment, excellent ! Qu’est-ce qui t’a poussé à acheter un corbillard ?
Hmm, j’étais goth à mort à l’époque, et puis j’envisageais de devenir directeur de pompes funèbres. C’était une Buick de 1978. Et le vôtre ?
Une Ford Zephyr de 1970. Elle était à vendre dans un funérarium, alors on est tous allés voir comment il était. C’est juste que… tu vois… on était jeunes… tu réfléchis pas au côté pratique des choses à cet âge. L’intérieur était génial, il y avait des petits rideaux en velours, on pouvait se terrer dans cette petite tanière gothique.
Les années passant, on a entendu de plus en plus de gens se plaindre du fait que vous ne vous considériez pas comme gothiques. Ce n’est pas vraiment le genre de trucs qui contribuent à la cause…
Ouais, je sais, oui. Bon, dans le livre, il y a tout ce passage sur le corbillard, et notre premier single parlait d’un vampire. Et on s’habillait en noir, la musique était très sombre, donc oui, je veux dire, personnellement je ressens une connexion avec le mouvement goth et c’est clair qu’on a flirté avec, mais je pense qu’avec le background des autres, on ne se sentait pas à 100 % impliqués dans le mouvement, et je pense que Bauhaus allait bien au-delà d’un simple groupe goth.
Beaucoup pensent que vous êtes à l’origine de tout le mouvement goth
Je sais ! Je sais ! C’était, dans un sens, assez rigide, comme le sont tous les mouvements – les mods, les punks, les rockers – il y avait un uniforme, un mode de vie, c’était assez intense. Et on ne vivait pas comme ça. On était plutôt à la périphérie de tout ça, observant, y contribuant, en s’en imprégnant un peu.
je vois. Il existe d’ailleurs une vieille photo de Bauhaus où vous jouez au foot, torses nus, en plein soleil.
Exact ! [rires]
Et cette photo me fait marrer à chaque fois que je la vois, c’est un bon alibi anti-goth.
Oui, voilà, c’est un bon exemple.
Bon, ton livre n’est pas donné (bien que tu viennes d’annoncer la parution d’uneversion moins chère – merci pour ça !) Est-ce que tu peux me donner un exemple précis de ce qui en fait un véritable objet de collection ?
C’est un bouquin vraiment très gros. Je n’avais pas réalisé à quel point. Pour tout te dire, je suis allé au magasin Taschen de Los Angeles, j’ai regardé leurs livres, j’ai pris un mètre à ruban – et mon bouquin est plus gros que la plupart des leurs ! Et je le fais produire ici, ce qui coûte très cher. Je ne fais pas beaucoup de marge dessus. Il fait un peu plus de 300 pages. Et au lieu d’avoir une seule préface, on est allés voir plein d’artistes qui ont déjà cité Bauhaus, et on leur a demandé d’écrire un avant-propos. J’en ai déjà six ou huit pour l’instant, c’est génial, c’est la cerise sur le gâteau. Moby en a fait un, Peter Hook, Jane’s Addiction, Maynard [de Tool]. Ils ont tous écrit les plus trucs les plus gentils du monde. Twiggy, qui joue avec Marylin Manson, a écrit une histoire vraiment géniale, sur la première fois où il nous a entendu, [rires], une histoire étrange. Je crois qu’il était déguisé en clown, dans une boîte de nuit, un truc comme ça.
Merde.
« Double Dare » est passé dans la boîte, et il a dit un truc du genre « J’ai entendu ce ‘I Dare You’, de cette voix profonde et gutturale, la voix la plus profonde et terrifiante que je n’avais jamais entendue à ce jour », et il expliqué qu’à partir de ce moment-là, il avait été complètement subjugué.
Vous avez donc réussi à faire peur à Twiggy Ramirez déguisé en clown…
Oui ! [rires] C’est une image… un peu effrayante. Mais je suis très excité que le bouquin sorte, c’est comme attendre un bébé, pouvoir le porter dans ses bras, après tout ce boulot. On y a consacré tellement d’efforts, d’amour, de passion, et je crois que ça va vraiment être un grand et beau livre, et on va en être très fiers.
Est-ce que tu peux nous raconter d’autres histoires qu’on trouve dans le livre ?
Allez, OK, sur notre premier concert. Daniel avait réussi à choper une salle de classe, dans une université où ils formaient des profs, à Northampton, et c’est là qu’on a écrit « Bela », en fait.
Dans une salle de classe ?
Oui, c’était vraiment une salle sans rien du tout, avec des néons ; c’était vraiment l’environnement le moins atmosphérique, le plus fade que tu puisses imaginer. On répétait là, et tous les week-ends, le club des étudiants organisait un concert, et cette fois-là, les Pretenders devaient jouer. On s’est dit, on a qu’à y aller et installer notre matos. On voulait jouer, on n’avait jamais joué devant personne, ça faisait seulement quelques semaines qu’on jouait ensemble. Alors on a traîné tout notre matos dans la neige, et on s’est installés très vite. Il n’y avait pas de sono ; je crois qu’on a juste fait passer un micro dans un ampli, pour Peter, et on s’est mis à jouer ! Après quelques morceaux, le public a commencé à s’approcher. Et puis un gars s’est frayé un chemin à travers la foule ; il faisait partie du bureau des étudiants. Il a sorti « Qu’est-ce que vous foutez ? » Peter lui répond « On est le groupe de première partie. » Il fait « Pourquoi est-ce que vous n’êtes pas sur scène ? » Peter lui dit « On préfère être là. » Le mec plisse les yeux, et puis il dit « OK. » Donc on enchaîne sur un autre morceau, et je l’ai vu se barrer en nous regardant par dessus son épaule. On avait que cinq chansons, et je crois qu’on a joué « Raw Power » deux fois. Et là arrive le reste des mecs du bureau des étudiants, et ils nous disent « Vous n’êtes PAS le groupe de première partie. » Mais de toute façon, on avait fini. C’est comme ça que s’est passé notre premier concert officiel/officieux.
Donc, en gros, vous avez ouvert pour les Pretenders, mais ils ne le savaient pas.
Ils ne le savaient pas, non.
Il y avait du monde ?
Environ 100 personnes, je dirais.
C’est plus que pour la plupart des groupes à leur premier concert !
Ouais, et le suivant n’avait rien à voir… c’était pour le jour de l’An, dans l’arrière-salle d’un pub. Il devait y avoir 4 personnes, et on a joué « Raw Power » quatre fois.
EXTRAIT
« LE CORBILLARD »
« Nous étions entrain d’enregistrer notre troisième album, The Sky’s Gone Out, dans les légendaires Rockfield Studios du comté de Monmouthshire, au Pays de Galles ; Derek Thompkins, l’ingénieur du son qui avait travaillé avec nous sur « Bela Lugosi’s Dead », assistait la session. Un jour, après s’être aventurés dans le village d’à côté, Monmouth, pour faire le plein de provisions, Daniel et Peter sont tombés sur un corbillard, qui était à vendre ! Voilà qui nous aurait fait un moyen de transport parfait pour nos tournées, pensèrent-ils tous les deux, et après nous avoir consultés, David et moi, le jour suivant l’affaire était conclue. Après la transaction, nous l’avons ramené au studio, très excités, pour le montrer à Derek et aux filles du propriétaire du studio, deux adolescentes qui nous demandèrent immédiatement de les emmener faire un tour. Derek était excédé, car nous étions “censés enregistrer un album, et non passer la journée à se balader dans un foutu corbillard !”
Après avoir promis à Derek que nous serions de retour quinze minutes plus tard, les filles s’installèrent à l’arrière, place habituellement réservée au cercueil. Avec Peter au volant, nous roulions avec un enthousiasme non dissimulé sur les étroites routes de la campagne galloise. Peter décida alors de tester la puissance du moteur, en terme de vitesse et d’endurance et, alors que nos vies défilaient devant nos yeux, nous dérapions déjà dans les virages, les chicanes et sur les bosses des ponts, manquant à de nombreuses occasions, ironie du sort, de retourner à l’envoyeur ! Les pauvres demoiselles étaient projetées d’un côté à l’autre de la plage arrière, hurlant autant de peur que de plaisir ! J en sais toujours pas comment mais nous sommes finalement rentrer en un seul morceau.
Une fois l’album terminé, nous avons ramené le vieux corbillard jusqu’à notre ville natale de Northampton, et un ami du nom de « Raisonnable » Ray Kinsey s’est ensuite occupé de l’aménager pour le rendre plus adapté au transport des vivants. Il y a installé des sièges et des rideaux d’un magnifique bleu profond, tout en velours. Un somptueux tapis a achevé de donner à l’intérieur une véritable splendeur gothique. Nous avions hâte de partir avec pour notre prochaine tournée, même si notre tour manager éprouvé, Harry Isles, ne voyait pas les choses de cet œil-là ! Bien malheureusement, ses pires appréhensions allaient se révéler fondées. Le satané engin n’arrêtait pas de surchauffer et de tomber en panne. Au grand amusement des familles qui se baladaient paisiblement par-là, il est arrivé souvent qu’on nous croise sur le bord des routes secondaires et dans les rues de Grande-Bretagne en train de le pousser .
Hélas, avec le temps, les inconvénients ont vite outrepassé les avantages, et c’est ainsi que le 14 mars 1984, notre pauvre corbillard fut mis au rebut. »
Photos publiées avec l’aimable autorisation de Kevin Haskins
Christine Colby est sur Twitter.
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