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Le passé sulfureux du champion britannique de boxe à mains nues

Toutes les photos ont été prises par Darren Greyshon (avec l’aimable autorisation de Decca Heggie)

Decca “The Machine” Heggie est le champion incontesté de boxe à mains nues en Grande-Bretagne. Gamin, il a grandi à Old Harraby, pas loin de Newcastle, dans le grand nord anglais. Il y a passé une enfance horrible, à se faire maltraiter par les autres jeunes du coin qui le frappaient, lui écrasaient des cigarettes sur la gueule, et pire encore. Quand son père l’a poussé à se battre avec l’un de ses bourreaux, il a été incapable de se mettre en garde et de mettre le moindre coup de poing. « Cette sensation horrible de peur dévorante doublée d’un grand embarras et de la honte de ma propre faiblesse ne m’a jamais quitté depuis », écrit Heggie dans son autobiographie Prizefighter : The Searing Autobiography of Britain’s Bare Knuckle Boxing Champion.

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Aujourd’hui, Heggie est devenu un grand champion. Mais comme on a déjà pu s’en rendre compte, le chemin qui l’a mené jusque-là n’était pas parsemé de roses. Il a trempé dans la drogue, les bagarres de rues, l’anxiété, la dépression, et a même frôlé la mort. Malgré toutes ces galères, il est parvenu à atteindre son but en 2015, après une dizaine de combats à mains nues : le titre de champion de Grande-Bretagne.

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Pour le profane, la boxe à mains nues, ce sport réputé violent et sanglant, évoque quelques références, dont le film Snatch, de Guy Ritchie, dans lequel Brad Pitt joue le rôle d’un gitan bastonneur à l’accent imbitable, ou encore le documentaire de la BBC sur les combats en Irlande.

Mais loin des mythes, des légendes et des fantasmes, à quoi ressemble la vie d’un boxeur spécialisé dans les combats à mains nues ? VICE Sports a posé la question à Decca Heggie.

Salut Decca, pour commencer, est-ce que tu peux nous expliquer comment tu as découvert le monde de la boxe “bareknuckles” ?
De 19 à 29 ans, j’étais complètement accro à toute une batterie de drogues. J’allais droit dans le mur. Puis un jour, je tombe sur un de ces combats de gitans qui font un carton sur Youtube et j’écris aux organisateurs pour leur dire : ” Je pourrais tellement battre ces mecs.” Puis je n’y ai plus repensé. Mais deux jours plus tard, mon père reçoit un coup de fil. On me propose un combat dans le jardin de Dave Courtney ( un gangster célèbre, ndlr). J’ai dit oui, et j’ai gagné. C’est parti de là.

Quand tu dis accro, tu étais accro à quel point et à quoi ?
A un point vraiment hardcore. J’ai frôlé la mort plusieurs fois, notamment après une overdose de cocaïne en 2013. A l’époque, ma vie se résumait à ça : de longues journées à ne rien faire, si ce n’est descendre une bouteille de whisky en me droguant jusqu’au soir. C’était vraiment une période sombre, j’ai failli ne jamais en revenir.

Plus jeune, tu te faisais victimiser par les autres gamins. Est-ce que tu penses qu’une part de la colère que tu as en toi vient de cette période ?
Quand j’étais gamin, effectivement les autres enfants un peu plus âgés que moi s’amusaient à m’attacher aux arbres et à me donner des surnoms horribles. Ils m’ont rendu littéralement dingue. J’ai été atteint de dysmorphophobie et de dépression. C’est un terreau fertile pour faire naître une rage sourde en n’importe quel gamin. A 15 ans, je ne sais pas ce qu’il s’est passé en moi, mais quelque chose s’est débloqué. Pour la première fois, j’ai répliqué quand j’ai pris un coup. Et j’ai gagné. C’est là que je me suis rendu compte que je pouvais me battre, et me battre plutôt bien. A partir de ce moment, à chaque fois que je me suis battu, j’ai pensé à tous les moments où j’ai été maltraité, ma motivation s’en est trouvée décuplée, mon agressivité aussi.

Tes bourreaux de l’époque doivent regretter de t’avoir maltraité aujourd’hui…
Il y a deux mois, j’ai croisé l’un d’entre eux en ville, il marchait avec son chien. Il est SDF aujourd’hui. Je l’ai alpagué, puis je suis allé acheter de la bouffe et une couverture pour lui. Je lui ai dit que je lui pardonnais et qu’il avait contribué à faire de moi l’homme que je suis aujourd’hui. Je n’ai jamais frappé un homme à terre. Quand quelqu’un se retrouve aussi bas, tu lui tends la main et tu l’aides à se relever, quoi qu’il ait fait.

En quoi est-ce que la boxe à mains nues diffère de la boxe anglaise moderne ?
Les techniques de combat sont très éloignées. Par exemple, quand je me défends, j’utilise ma tête. Si mon adversaire tente d’envoyer un coup, je pare avec ma tête. Il y aura de très bonnes chances qu’il se casse la main sur mon crâne. J’ai plein de petites astuces dans le genre, comme dans un combat très rapproché où je donne des coups de genou contre ceux de mon adversaire, ce qui le déséquilibre. Je ne peux pas toutes vous les donner, mais j’ai plein d’astuces.

C’est vrai que le visage peut-être une arme étonnamment efficace. Est-ce que tu fais particulièrement attention à ne pas frapper telle ou telle partie qui pourrait te blesser la main ?
Tu peux effectivement viser certaines parties du corps ou du visage sans problème, et c’est vrai qu’il y en a d’autres que tu dois absolument éviter. Ne frappe jamais le crâne, comme je l’ai expliqué tu vas te casser la main. En revanche, les mâchoires, c’est un endroit stratégique à viser. Il faut réapprendre le rapport à la boxe à mains nues, et déjà comprendre que c’est la boxe la moins dangereuse qui soit. Personne n’est jamais mort dans ces combats, alors que si tu mets des gants pour te battre, ça augmente les dommages causés au corps. La tête prend cher, alors qu’à mains nues, elle est moins vulnérable.

Quelle est l’ambiance dans le milieu de la boxe à mains nues ? Je n’ai que Snatch en tête pour m’imaginer à quoi ça peut ressembler…
Ca suffit largement pour avoir une idée, parce que c’est exactement comme ça. Mes trois premiers combats à mains nues étaient illégaux. Le premier s’est tenu dans le jardin du gangster dont je vous parlais, ensuite je suis parti aux Etats-Unis pour mes deux autres matches. Je les ai tous remportés. La boxe à mains nues a toujours trempé dans un milieu louche, interlope, souvent même dans l’illégalité. Ca attire pas forcément les meilleures personnes. Je ne conseille pas aux gamins de se frotter à ce microcosme. Ma famille a reçu des menaces de mort en 2013. La communauté gitane n’appréciait pas que je sois le numéro un de la discipline en Grande-Bretagne. Ils l’ont pris personnellement. Les menaces de mort, ça me faisait flipper. Ca m’a fait comprendre que ce n’était vraiment pas un monde rassurant.

Comment penses-tu que ce sport peut évoluer à l’avenir ?
La boxe à mains nues a tout pour devenir le nouvel UFC dans les dix années à venir. Et c’est ce qui va se passer, j’en suis sûr. Ca va prendre une ampleur démesurée. Au début des années 90, l’UFC était aussi confidentiel que la boxe à mains nues aujourd’hui et maintenant regardez, c’est un business qui pèse un demi-milliard de dollars ! On va suivre la même trajectoire parce que, qu’on le veuille ou non, tout le monde aime les bastons un peu chaudes. Surtout en Chine, d’ailleurs c’est là que je vais faire mon prochain combat.

Ok, merci Decca et bonne chance !