Le porno, cet océan

Rachida, aka Jessyca Wilson porte une robe du soir des plus fluides et aux pieds des talons Christian Louboutin. Ce sont aussi ses propres habits – le budget du film est limité. Manuel Ferrara vient, lui, d’enfiler un smoking et des chaussures vernies. « Mon costume de porno », me dit-il. Dans une heure environ, tous deux vont libérer la tension accumulée tout au long de cette journée sur le plateau. À les regarder, on sent qu’ils ont envie de faire l’amour. Ça tombe bien, ils vont le faire. « J’ai trop envie d’elle, dit Ferrara. Je l’ai choisie sur vidéo. La scène avec elle, c’est la récompense d’une longue journée de travail. »

Manuel Ferrara est un acteur porno français originaire de Gagny en Seine-Saint-Denis, qui vit à Los Angeles depuis plus de dix ans. Sa série Raw – « son plus grand succès » s’enorgueillit-il –, où Ferrara s’enferme avec une fille et une caméra dans une chambre d’hôtel, marque le sommet du sexe ferrarien. Brut, comme son nom en anglais l’indique.

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Mec de banlieue aujourd’hui âgé de 39 ans, Ferrara collectionne les honneurs outre-Atlantique. Il a gagné les Oscars de la profession, les AVN Awards, dans la catégorie meilleur acteur X, cinq fois d’affilée – un record. Il n’est pas exagéré de dire que Ferrara marquera l’histoire du porno comme Rocco Sifredi, dont il fut autrefois le protégé. S’il existait une carte de téléchargements de ses vidéos, le monde serait criblé de points rouges.

Le porno lui a tout donné. Ferrara, qui a couché avec un nombre de très belles femmes équivalant à l’armée du Danemark, a l’un des taux de frustration sexuelle les plus bas au monde. À Los Angeles, dans le quartier de la Valley où il habite, il vit comme un petit roi, sans extravagance néanmoins. S’il a possédé une Bentley, il roule désormais en Mercedes 500 – « celle de ma meuf ». Peu importe si, submergée par le téléchargement gratuit, la porn industry ressemble à Venise, vouée, un jour ou l’autre, à disparaître au fin fond des eaux de l’Internet. Ferrara, dessalé depuis si longtemps, remontera certainement à la surface.

Lorsque je l’ai rencontré début 2014, à Los Angeles, il tournait une grosse production française dont il est à la fois le réalisateur et l’acteur principal. Le soleil était ardent, le goudron des rues chaud. L’adresse du tournage, digne d’un film de David Lynch – « 12 333 patio road, Hecinas » – m’a été communiquée par texto. C’est loin, aux confins de la vallée de Saint Fernando. S’y rendre en voiture est un délice. Los Angeles est une peau d’autoroutes à six voies, de palmiers, de traces, avec la lumière, au-dessus, éclatée comme un champignon nucléaire.

Derrière les grilles, on devine une villa somptueuse, encombrée, kitsch. Le genre X, qui a sa Mecque ici, possède ses canons – les villas kitsch en sont un, indiscutablement. Tout y est : piscine bleu lagon, lit à baldaquin posé sur une pelouse de faux gazon couleur vert fluo. Des statues incompréhensibles sont posées sur toute la surface de la terrasse : une Vénus de Milo, la réplique d’un personnage de Star Wars.

Assis sur un canapé en forme de bouche rouge vif, les membres de l’équipe technique du film taillent la bavette. Au milieu, vêtu d’une chemise à carreaux roses et d’un pantalon crème, Manuel Ferrara aimante les regards. Son corps est puissant, athlétique, le visage très plastique, faisant inexplicablement penser à Gaston Lagaf. Même cheveux noir jais, même expression rigolarde, et puis, à regarder de plus près, on voit, comme dans un safari, sa bouche fauve, ses mâchoires carrées, son regard exsudant le sexe.

Ferrera dégage aussi un charme à l’ancienne, très français, genre Eddie Constantine, Lino Ventura. Tranquille, viril, avec une indéniable sécurité de corps. Un gentleman – il est d’une gentillesse extrême avec les techniciens et les actrices –, d’une simplicité inversement proportionnelle au décor surchargé. L’intérieur est du même acabit que la terrasse. Escalier de verre, canapé en cuir blanc. Le propriétaire est un chirurgien plastique, de petite taille, au teint olivâtre. Sa femme, elle, a un visage desséché.

Acteur-réalisateur – le film, provisoirement intitulé « La Boîte de Pandore », raconte l’histoire d’un couple dont la femme refuse de s’adonner aux plaisirs de la sodomie, avant, bien sûr, d’y céder –, Ferrara prend une pause bien méritée. Il est le seul maître à bord du tournage qui doit durer trois jours, et pour lequel son producteur, Mark Kramer, a embauché quatre techniciens – un éclairagiste, un régisseur et deux cameramen – et trois actrices, dont celle de la séquence du jour : une brune de 22 ans, Marseillaise, dont le nom de guerre est donc Jessyca Wilson.

« Il y a de moins en moins d’argent dans le porno. Il n’y a plus d’industrie digne de ce nom en Europe », se lamente Ferrara. « Avant, ça marchait fort en France, en Allemagne, en Italie. L’âge d’or est derrière nous. Ce genre de productions comme aujourd’hui devient rare », philosophe-t-il.

Même son de cloche du côté de Kramer. Vêtu d’un costume en jean crasseux, d’une casquette usée jusqu’à la corde, il porte, à cinquante ans passés, des bagues à tête de mort. Il est l’un des derniers producteurs du X. Il a commencé dans le porno en étant chauffeur sur un tournage. Il n’est pas revenu d’où il vient – le quartier de Greenpoint, à Brooklyn, New York – depuis vingt ans.

« Les tournages sont plus courts, les techniciens se font virer », me dit-il. « Il n’y a quasiment plus de contract-girl, ces stars qui signaient des contrats mirobolants avec des compagnies de production pour un nombre de films donné. C’est fini ça. Et puis on en demande plus aux filles, les pratiques sont plus extrêmes, même si elles restent bien sûr mieux payées que les garçons – à l’exception des stars comme Manu. »

Selon Kramer, là où une compagnie de films pornographiques vendait 5 000 exemplaires d’un film, elle n’en vend plus que 1 000 aujourd’hui, au mieux. Les filles, payées en cash, empochent de 900 à 1 000 dollars pour une scène vaginale, 1 200 pour une scène anale. C’est ce que va donc toucher Jessyca ; le double, à peu près, de ce qu’elle aurait touché en France. Elle est ici pour trois mois, la durée de son visa. Sur le tournage, elle déambule les seins nus, en culotte fendue. Son sexe est glabre comme un galet. Elle fume cigarette sur cigarette. Ferrara la regarde passer de loin.

Parce que, selon Ferrara, la lumière du soir est plus belle sur la peau, la scène de sexe doit avoir lieu à la nuit tombée. En attendant, chacun vaque à ses occupations. Ferrara est attentif au moindre détail. Il s’agit de son deuxième film en tant qu’acteur-réalisateur. Une collaboration pérenne avec cette grosse compagnie française pourrait s’ensuivre, Ferrara étant devenu une marque dans le milieu. Il a ainsi tenu à prendre les meilleurs techniciens, dont le cameraman, un Canadien, vieux routier du X, venu de la photographie, et bien sûr, les filles, sublimes. Ferrara parle comme un exilé de longue date, alternant slang américain – « Come on, dude » – et argot français – « Nique sa mère », lâché après s’être cogné contre un mur. Il se lève du canapé et rejoint Jessyca près de la piscine, suivi par Kramer.

« Fais attention au soleil, n’attrape pas une insolation », lui dit-il, avant de passer entre les mains du maquilleur.

Jessyca a le trac pour la scène de ce soir. C’est sa première avec Ferrara. Elle a peur d’avoir mal. C’est une vraie Marseillaise. Elle parle comme on parle là-bas. Parce qu’elle « a des origines », elle se souvient d’avoir été insultée sur le tournage d’un film tourné en Hongrie. Elle vient du milieu libertin. Elle va souvent au Cap d’Agde, l’été, avec son « bébé », un ancien videur. Jessyca est brune, plantée, d’une gentillesse désarmante. Elle ne parle pas anglais.

Elle est suivie comme son ombre par Patrick, un ancien journaliste d’Associated Press, bureau monde arabe, qui réalise désormais des films pornos. Il est là pour le supplément backstage du DVD. 41 ans, teint moite, gentil, libertin de son aveu – « je suis un horizontal comme on dit » – ce passionné d’animaux rêve de réaliser un jour des documentaires animaliers. Remarquable aussi est Chad, le régisseur, un type maigre de 35 ans au visage tordu, vêtu d’un bermuda et d’un T-shirt à l’effigie de Chewbacca. C’est l’homme à tout faire du tournage. Il déplace une statue, réapprovisionne la cuisine en Red Bull et cuisses de poulet, restocke les réserves d’eau. Il a une autre fonction cruciale : balancer les préservatifs au moment des scènes.

« Ferrara est une icône dans le milieu, toutes les filles veulent tourner avec lui. Il marche sur les pas de Rocco, » dit Kramer, qui s’enorgueillit d’avoir mangé avec Sifredi et leurs femmes respectives lors de la Saint Valentin 2014.

C’est Rocco Sifredi, connu pour sa pornographie confinant pour certains à de la barbarie, qui a lancé la carrière américaine de Manuel Ferrara. Il lui a offert un rôle dans le classique Fashionistas, tourné à Los Angeles au début des années 2000 par le réalisateur John Stagliano, aujourd’hui atteint du sida. Il lui a aussi trouvé son nom de scène, Ferrara, en raison de sa forte ressemblance avec Stéphane Ferrara, le boxeur d’origine italienne du 93, dont il est également originaire.

« J’aime pas qu’on dise que j’ai une tête de boxeur. Ça veut dire que je me suis pris des patates », commente Ferrara.

Parce qu’avant d’être un Angelino comblé, Manuel Ferrara s’appelait Manuel Jeannin. Il traînait sur la place Charles de Gaulle de Gagny. Il vient d’un monde disparu, cette banlieue multiculturelle des années 1980, à la Renaud, vue aujourd’hui comme hostile par beaucoup de Français. Ferrara dit grec pour signifier un kebab, énumère les boîtes qu’il écumait « pour soulever les meufs », dont l’Étoile et l’Antarés, à Meaux, en Seine-et-Marne.

À la mort de son père électricien, alors qu’il avait 17 ans – sa mère, Espagnole et femme de ménage, vit toujours à Gagny –, il a vécu une période de trouble, de bagarres. « J’avais un grand frère qui se laissait faire, alors je devais le défendre. » Il s’est fait virer de plusieurs lycées, dont le lycée professionnel d’Aulnay-sous-Bois. « Un mec m’a embrouillé, on s’est battu, il a sorti un couteau, je l’ai étalé. Il était par terre, et je lui mettais des penaltys dans la tête. C’était chaud. » Il est ceinture noire de judo, troisième dan, a en poche un bac F5, et a fait son service militaire dans les quartiers nord de Marseille. Un gars d’un autre temps, qui avant le porno, se destinait à être prof d’éducation physique. Il était inscrit dans une fac de sport, avant qu’il ne réponde à une petite annonce de casting pour un film porno amateur dans le magazine Connexion.

Aujourd’hui, Ferrara retourne en banlieue au moins une fois par an. « Gagny, ça a trop changé – ça craint maintenant. Un jour, il y avait des gamins qui se battaient sous un abribus ; j’ai été obligé d’intervenir, de mettre des patates pour sortir une mémé de là. C’était pas comme ça à mon époque. Maintenant dans le RER, on sent la tension. »

Alors, quand Manuel retourne au pays natal, il se fait discret – casquette et lunettes de soleil – pour éviter les mauvaises surprises. « Une fois, j’étais au centre commercial Rosny 2 avec mes nièces, pour faire les cadeaux de Noël, quand un mec m’aborde en disant “Oh Manuel Ferrara, j’adore comment tu ken les meufs.” J’ai dû le calmer direct. »

Au sujet de la France, Ferrara porte un regard crépusculaire, comme le soir qui descend sur L.A. « Attention, personne n’aime plus la France et Paris que moi – j’adore la France, il y a une culture extraordinaire, mais qui malheureusement, se dégrade. En France, c’est devenu beauf, il suffit de voir les programmes télévisés. » Et Manuel de philosopher : « On apprend beaucoup sur un pays en regardant les programmes télévisés, et à cet égard, la France recopie les États-Unis dans ce qu’ils ont de pire. » Au fil de la discussion, j’apprendrai que Ferrara adore Bernard Pivot. « Je le suis sur Twitter. »

Jessyca a aussi un rapport à la France difficile, sur lequel elle ne souhaite pas s’éterniser. « Ils font rentrer trop de racailles la nuit au Cap d’Agde, c’est ouf. »

On finit de tuer le temps en discutant des chapitres obligés du marasme français actuel : Dieudonné, la politique, etc. « Je n’ai pas voté en 2012, confie Manuel. C’était comme choisir entre la peste et le choléra. » Puis on échange des gentilles blagues sur les mecs de banlieue, comme on faisait jadis des blagues sur les Belges.

Ferrara marche avec les pieds un peu en dedans. Il joue mal les scènes de jeu classiques – son visage a toujours la même mimique – mais une fois venues les scènes de sexe, sa maîtrise du sujet est impressionnante. Sensualité, violence à peine retenue, son abattage est réel. Il semble toujours bouleversé par la vision d’un sein, d’une fesse, comme si le métier n’était toujours pas rentré. Il n’y voit rien de dégradant. Selon lui, ses scènes n’aggravent pas la frustration de ceux qui les regardent. « Le porno soulage les gens », défend-il.

Tandis que la scène bat son plein – Manuel entreprend maintenant très sérieusement Jessyca sur le canapé –, l’éclairagiste joue sur son téléphone portable. Le démonteur du décor, un Latino rescapé des gangs de L.A. dont le père a fait aussi une longue carrière dans le porno, bâille à s’en décrocher la mâchoire. Ferrara alterne les « putain, t’es bonne » et les « fuck », ce dernier substantif revenant le plus souvent dans sa bouche. Jessyca alterne, elle, les « bébé », les « mon cœur » puis un désarmant et tendre « T’es un gourmand, toi. » La langue anglaise, fluide, ultra-efficace – le mot fuck semble indépassable – est bien le langage vernaculaire de la pornographie. Des images se gravent, étrangement peu excitantes. Jessyca, la croupe offerte, ourlant ses lèvres sur le sexe dardé de Ferrara.

Je retrouve Ferrara le surlendemain pour le dernier jour du tournage. Il n’est pas dans son assiette. Il a mangé quelque chose qui a dû mal à passer. Il va pourtant devoir assurer, c’est la scène de groupe. Selon Patrick, chaque film porno obéit à un strict cahier des charges : deux vaginales, une anale, une scène de groupe. Les forces en présence : Jessyca – qui va livrer sa première scène de sodomie – et deux hardeuses américaines, Chanel Preston et Dani Daniels, pour les filles. Côté garçon, Michael Vega, un jeune Américain, blond et fin ; Ramon, un costaud débarqué de La Corogne, en Espagne ; et bien sûr, le maître de cérémonie, Ferrara. La demeure est encore plus sublime que la première, en surplomb de la San Fernando Valley, qui tremble dans la nuit.

« Tu vois, c’est ici que j’ai grandi », raconte Chad, le régisseur qui, aujourd’hui, porte une cape à l’effigie de Wolverine. Chad revient de loin. Le porno l’a sauvé, alors le glauque de l’industrie ne l’atteint pas. « J’ai été SDF, accro à l’héroïne. J’étais un de ces gars qui poussent un caddie. Avec le porno, j’ai remis ma vie dans le bon sens. Je fais tout : trans, vieilles. Quand il faut coucher avec une grosse de 200 kg devant la caméra, c’est moi qu’on appelle », s’enorgueillit-il, en faisant claquer sa langue. Il tourne demain une scène pour 600 dollars. « Je vais prendre le bus pour aller sur la scène de tournage. Je n’ai pas de voiture. » Il me montre sa femme, une blonde avec des seins refaits qui, m’explique-t-il, gagne de l’argent en s’exposant devant une webcam. Une seule chose l’arrête, les junkies. « Un jour, je devais faire une scène avec une fille manifestement camée. Je connais le délire, hein. Son corps était couvert de croûtes. Elle voulait se payer sa dose, alors j’ai refusé. »

En bon fils de pauvre, Ferrara a quant à lui loué une limousine pour l’une des scènes du film. « C’est pas très original, mais au moins ça fait chic. Et puis ça rend le film plus mainstream. » Tout le monde sur le plateau attend la nuit, dont l’arrivée, là encore, va signaler le début du tournage. En attendant, Ramon lit une pièce de théâtre sanglé dans sa veste fluo de motard. Michael, qui a une queue-de-renard accrochée à la taille de son jean slim, raconte qu’il voulait être pompier. Un accident de vélo en a décidé autrement.

L’actrice Dani Daniels, vêtue d’un string microscopique et de vertigineux talons couleur turquoise, discute avec moi avant le début de la scène : « Je viens d’Orange County, en Californie, d’un milieu cool, hippie. Ma mère est ma plus grande fan », me dit-elle. « Je suis venu au porno, d’abord lesbien, parce que je voulais coucher avec des filles sans faire d’effort. Petit à petit j’ai fait du porno hétéro. Mais je ne fais pas tout. Je refuse les scènes anales parce que ça fait mal – sans exclure d’y venir un jour. Ça m’offrirait plus de scènes », explique-t-elle. Lorsque je l’interroge sur sa vie sentimentale, elle lâche tout de go ne pas sortir « avec des civils ». Dans le milieu, on désigne par civils ceux qui ne tournent pas de scènes pornos. Ça fait beaucoup de monde. « Les civils ne sont pas safe niveau MST, tu vois », explique-t-elle, un rien navrée. Kramer m’explique que les acteurs X sont testés tous les quatorze jours. Il a d’ailleurs compilé leurs certificats médicaux dans un épais dossier, avec leurs contrats. « C’est bon les enfants, on peut y aller. Tout le monde est clean », claironne-t-il, avant le début de la scène de groupe.

Je retrouve une dernière fois Ferrara dans un centre de fitness, où il entretient sa forme chaque matin, deux heures durant. Il est vêtu d’une chemise mauve et de son célèbre short à motifs militaires. Les journées de Manuel sont réglées comme du papier à musique. Musculation et basket le matin, le soir est dévolu à s’occuper de ses quatre enfants, dont sa dernière, qu’il a eue avec l’actrice porno américaine Kayden Kross. L’après-midi, il fait du gonzo.

« Je préfère les scènes de gonzo, c’est clair. J’arrive, je baisse le pantalon, et après je rentre chez moi. Le taf me prend une heure ou deux. Les films, c’est trop long. Je tourne trop, presque quotidiennement. Mais bon j’adore faire l’amour, et quand on mange du caviar tous les jours… », me dit-il. Il poursuit, en sueur : « J’ai une vie simple au fond. Je ne sors plus dans les soirées du porno. Quand j’étais jeune, j’y allais ; tout le monde couchait avec tout le monde. Maintenant, je préfère être avec mes enfants. Le week-end, je les passe avec eux dans le parc. J’ai une chienne aussi. Elle peut gambader pendant que les enfants grimpent aux arbres. C’est cool. »

Quand il parle, Ferrara a un regard panoramique, comme sur un tournage. Rien ne lui échappe, ni le fil d’informations à la télé – sur CNN, on voit qu’un pasteur du Mississippi s’est fait piquer par le serpent qu’il brandissait pendant une messe – ni les femmes qui passent. « Elle, je la tue », dit-il, en me montrant une blonde pulpeuse en combinaison de gym.

Un jour il devra dire à ses enfants ce qu’il fait. Cela semble le chagriner. « Il faudra que je le fasse avant qu’un con ne le leur dise », dit-il, sachant qu’il n’a pas le choix. « Au début les parents d’élèves de l’école française pensaient que j’étais un joueur de foot connu, dépêché pour entraîner des équipes de jeunes. Maintenant, ils savent à peu près ce que je fais. Le temps presse. »

Aussi, Ferrara a une hygiène de sportif de haut niveau. Il ne boit pas, ne fume pas, ne se drogue pas. « Si je prends du viagra, je risque de penser que je ne peux plus arriver à faire une scène sans en prendre, donc je n’en prends pas. Les acteurs américains, eux, par contre, y vont à fond. » Il dit écouter Kery James, Orelsan, Oxmo Puccino, NTM, Kool and the Gang et Lionel Richie. Niveau film, Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain le met bien. Il adore sa vie d’aujourd’hui. Il repense à son père qui rentrait exténué de ses journées d’électricien, là-bas à Gagny : « Il partait à 6 heures du mat’, rentrait à 19 h 30. Même dans mes rêves les plus fous, je n’aurais jamais pensé en arriver là. »

Un Latino lui apporte les clés de sa voiture garée sur le parking. Il compte bientôt s’acheter une Tesla, une voiture électrique dernier cri. « Les gamins ne rentraient pas dans la Bentley, alors que dans la Tesla il y a de la place. L’autonomie est de 300 miles. Tu charges la nuit, c’est économique et écolo. 120 000 balles, c’est la classe. » Il en a les moyens.