En 1789, au moment de la première investiture de George Washington, ça faisait plus de cent ans que des gens s’échangeaient actions et obligations sous l’ombre bienveillante des arbres de Wall Street.
Les premiers hommes d’affaires américains n’avaient alors que peu de capital et, pour en acquérir, ils se tournaient de l’autre côté de l’Atlantique. Cette activité s’est vite concentrée à Wall Street, parfaitement située, à proximité des ports de New York. Le système était simple : pour lever des fonds, les propriétaires vendaient des parts de leur entreprise, des actions, ou émettaient des bons d’obligations (emprunts qu’ils promettaient de rembourser avec intérêts). Les propriétaires de ces actions et obligations pouvaient ensuite les revendre à d’autres investisseurs, et y empocher un bénéfice.
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De nos jours, le système marche toujours de la même manière – il est simplement plus développé et infiniment plus complexe. Sa fonction demeure la même : disséminer le capital. Mais le système s’est avec le temps institutionnalisé,générant un langage bien à lui, et créant de facto un écosystème dont seuls ceux qui connaissent les flux monétaires sont à même de tirer avantage. Wall Street peut de fait apparaître comme un milieu d’initiés. Mais théoriquement, n’importe qui peut participer. Voici un premier aperçu de ce multivers infini qu’est la finance.
ART : « OK Chuck, on aurait pu acheter un Monet avec tes gains au loto, mais tu as préféré tout jouer en bourse, pensant que tu étais maître dans l’art d’accumuler des actifs.
En fonction de votre interlocuteur, la finance peut être un art, une science, les deux ou rien du tout. D’abord, les sciences dures sont censées être basées sur des hypothèses vérifiables et ce n’est pas le cas des sciences économiques. Comme l’a écrit l’influent Nassim Nicholas Taleb, ancien gérant de fonds d’investissements spéculatifs : « Vous pouvez habiller le charlatanisme d’équations, personne ne vous dira rien. Et pour cause : il ne peut y avoir d’expérimentation scientifique. » Mais la science économique n’est pas non plus un art. Certains managers de hedge funds revendiquent une habileté particulière à produire un rendement supérieur à la normale, mais cette « compétence » repose davantage sur des idées que sur des équations. Nous en restons donc là avec une discipline qui n’est ni une science, ni un art – mais un peu des deux.
« BULLS AND BEARS » : « Le marché était à la hausse avant le scandale à la Cour suprême, mais maintenant qu’on sait que Ruth Bader Ginsburg n’est pas morte, le marché va aller à la baisse. »
Si vous visitez Wall Street, vous remarquerez, à quelques rues de la bourse, une sculpture en bronze de cinq mètres de long représentant un taureau prêt à charger. La statue a été installée à la suite du krach boursier de 1987 et, montré fonçant droit devant, tête baissée et naseaux soufflants, le taureau illustre bien pourquoi il est l’emblème des cours à la hausse. Les actions augmentent souvent à l’unisson, parfois par de grands bonds et sans raison. Si le taureau symbolise le marché à la hausse, l’ours représente le marché à la baisse ; le marché est atone, comme un ours qui hiberne.
CONCEPT DE MONNAIE : « Mon père n’a jamais cru au concept de monnaie. Mais ayant grandi à côté de la forêt, il m’a beaucoup appris sur la sylviculture. »
En prison, les détenus se servent des timbres-poste comme de pièces de monnaie. Cela fonctionne parce que tout le monde s’entend sur le fait qu’un timbre possède une valeur supérieure à un coup de tampon. Si un jour, les prisonniers décidaient que les timbres n’avaient plus de valeur et se mettaient à échanger des cigarettes à la place, le type dans sa cellule dont la taie d’oreiller est pleine de timbres serait floué. Le concept de monnaie est en ce sens une pure construction mentale.
DIVERSIFICATION : « Diversifie tes placements. » –GZA
Il est bon de diversifier vos placements au lieu de les limiter à un seul secteur d’activité. Cela veut dire : des actions américaines, plus d’autres émanant des différentes places boursières. Cela tient à cette idée que les cours évolueront dans des proportions et à des moments différents, assurant ainsi la stabilité de votre portefeuille d’actions.
EQUITY, OU CAPITAUX PROPRES : « J’ai payé 25 euros pour ce T-shirt mais comme Karl Lagerfeld a craché dessus, il en vaut maintenant 160. Mon capital a augmenté de 135 euros. »
Il existe 5 000 entreprises cotées en bourse au États-Unis, d’Apple à Zoro Mining. Celles-ci sont divisées en parts, une sorte de titre participatif. La valeur totale d’une entreprise (sa capitalisation boursière) est calculée en multipliant le nombre d’actions par leur cours actuel.
FEDERAL RESERVE : « Je ne sais pas à quoi sert la Réserve fédérale, mais j’ai lu sur -internet qu’elle m’interdisait de construire un abri souterrain pour protéger ma famille de l’apocalypse. »
La Réserve fédérale est la banque centrale des États-Unis. Elle occupe une place particulière dans l’économie américaine : en plus de servir de banque au gouvernement fédéral, elle tâche d’organiser la croissance économique. Elle s’en occupe en définissant les taux d’intérêt des prêts à court terme en délivrant des crédits aux banques privées. Elle crée donc de l’argent avec du vent.
GOURMANDISE ET ANGOISSE : « Ma gourmandise m’a conduit à investir dans une chaîne de coiffure pour homme mais mon angoisse d’une rentabilité médiocre m’a vite amené à revendre mes parts. »
Il existe deux émotions sur les marchés. Lorsque les cours sont à la hausse, les investisseurs sont tentés de prendre le train en marche pour avoir leur part du gâteau ; quand les cours baissent, ce sont les mêmes qui quittent le navire pour vendre leurs actions.
HEDGE FUND : « J’ai dirigé un hedge fund jusqu’en 2008, puis la récession est arrivée. Aujourd’hui, je tonds des pelouses pour vivre. »
L’idée d’investir dans un hedge fund, ou fonds d’investissement, est inversement proportionnelle à la manière enthousiaste dont les gens en parlent. Les hedge funds sont des entreprises opaques, destinées aux nantis et dirigées par des managers ignobles. Historiquement, ils ont largement échappé à toute réglementation. Lesdits managers emploient donc des méthodes peu catholiques et récupèrent des émoluments indécents.
INDICE : « L’étudiant en économie a fondu en larmes lorsqu’il est tombé sur un indice alternatif qui contredisait sa thèse. »
Wall Street mesure tout, et pour ce faire, il utilise des indicateurs. Le Dow Jones Industrial Average (ou « Dow Jones ») est l’indice le plus réputé – il mesure, seconde après seconde, l’évolution du prix des actions des trente plus gros mastodontes économiques américains. Mais il existe des douzaines d’autres indices moins connus et qui produisent des statistiques sur l’emploi, le marché des obligations ou le secteur privé. Le CAC 40 est quant à lui le principal indice de la bourse de Paris.
JOB : « Votre job pourrait être le début de votre épargne si vous arrêtiez de vous faire livrer à manger tous les soirs. »
Considérant un taux de croissance annuel de 5 %, une personne âgée de 25 ans gagnant 25 000 euros par an peut s’attendre à gagner 2,8 millions d’euros en quarante ans de carrière. À titre de comparaison, le P.-D.G. de Goldman Sachs, Llyod Blankfein a reçu 19 millions d’euros d’indemnités en 2013. Si de tels niveaux de rémunération sont l’apanage d’une minuscule fraction de la population, la plupart des personnes de classe moyenne doivent, eux, faire comme leurs parents : créer et gérer leur plan d’épargne.
KEYNES : « Vos parents sont keynésiens : ils continuent de payer votre loyer afin que vous puissiez poursuivre votre rêve de vivre de la poésie. »
John Maynard Keynes (1883-1946) était un économiste britannique qui a expliqué que l’intervention du gouvernement pouvait relancer l’activité économique d’un pays en période de difficulté. Les plans de relance économique en réponse à la crise de 2008 sont de bons exemples d’économie keynésienne.
LIQUIDITÉ : « Je n’arrive pas à trouver quelqu’un qui va me prendre cette action de Coca-Cola. Je suppose qu’elle n’est pas assez liquide. »
Une liquidité est un actif pouvant être converti en argent liquide. Un compte en banque fournit des liquidités parce que vous pouvez le convertir quand vous le souhaitez en argent liquide depuis le DAB le plus proche. Un bien immobilier n’est pas une liquidité : il peut valoir un million d’euros, mais le convertir en argent liquide peut prendre des années. Les actions sont considérées comme hautement liquides. 55 millions de parts d’Apple changent de mains chaque jour : les titres d’Apple ont donc une très haute liquidité.
MARCHÉ : « Le marché dicte sa loi. Tôt ou tard, il y aura une demande pour un revival néo-metal. »
Le cours des actions tend à suivre le modèle suivant : ils augmentent quelques années, atteignant un pic, reculent, stagnent puis croissent à nouveau. Ces cycles du marché sont liés aux cycles de l’économie : hausse de l’emploi et intensification des échanges commerciaux, pic, puis récession – la contraction du marché peut durer six mois ou plus. Les deux plus fortes contractions de ces cent dernières années ont été la Grande Dépression des années 1930 et la récession de 2007-2009.
« NOISE IN THE SYSTEM » : « J’ai tiré profit du noise in the system pour grappiller les données dont j’avais besoin et prouver empiriquement que Seinfield devrait de nouveau passer à la télévision. »
Wall Street prospère sur un parterre de données – données économiques, données du marché mais également données des entreprises et des gouvernements. Tous les jours une quantité considérable de données s’amoncelle par-dessus une pile déjà ahurissante de données existantes. Ajoutez à cela un flot constant d’informations et d’opinions provenant de la presse financière, et vous obtenez un système
extrêmement noisy.
OPTIONS : « Norm Macdonald a posé une option sur les droits de la sitcom tirée de mon Tumblr. Depuis, Les Chats qui ressemblent à Christine Lagarde reste coincé au stade de développement. »
Une option est un contrat qui donne au tenant le droit de faire quelque chose – ou de ne rien faire – pendant un temps donné. Les deux formes les plus courantes sont les options d’achat et de vente d’actions. Pour une petite partie du prix de l’action, vous pouvez prendre une option d’achat, laquelle sera levée au bout d’un certain temps – après cela, l’option n’aura plus la moindre valeur.
PRODUITS : « Je n’ai pas réussi à déterminer quel produit me convenait le mieux et j’ai fini avec un fonds mutuel dans le secteur du fromage. »
Au-delà des simples actions et obligations, il existe d’autres moyens d’investir. Les fonds mutuels sont des portefeuilles préconçus gérés par des professionnels et pensés pour convenir aux investisseurs lambda. Les fonds indiciels sont identiques mais, tandis que la majorité des fonds mutuels sont gérés, les fonds indiciels sont le plus souvent programmés pour suivre un indice. Ils sont aussi moins chers à acquérir. Les sociétés de courtage sont les lieux où ces produits d’investissement sont achetés. Morgan Stanley et Merrill Lynch (propriété de la Bank of America) offrent toutes deux différents services financiers qui emploient des vendeurs grassement payés, dont le job est de placer les produits que leur société a dans son répertoire.
« QUANTITATIVE EASING » : « Grâce au quantitative easing, ma banque a eu à nouveau l’argent nécessaire pour faire des prêts. Dommage que j’aie choisi de vivre le restant de mes jours dans un abri souterrain. »
Lorsque l’Occident a plongé dans la récession en 2008, l’action menée par la Federal Reserve (FED) visant à des liquidités dans le système bancaire fut un exemple de quantitative easing (QE). Cela a impliqué de racheter des milliers de milliards d’actifs de banques et eu pour effet de fournir aux banques l’argent frais qui leur était nécessaire pour augmenter leurs réserves d’argent liquide. Au travers de trois séries de QE, la FED a irrigué l’économie de quelque 3 500 millions d’euros.
RISQUE ET RÉCOMPENSE : « J’ai tout risqué en investissant dans une ligne de sacoches d’iPad faites à partir de vieilles fringues de Bernard Madoff. Ma récompense fut de perdre tout mon argent. »
Une des rares règles de l’investissement universellement admises : risque et récompense doivent plus ou moins s’accorder. Posséder une action de multinationale est souvent rentable, mais l’entreprise peut aussi bien faire faillite. Au contraire, une entreprise moins bien établie a plus de chance de mettre la clef sous la porte mais la possibilité qu’elle devienne le nouvel Apple existe aussi, vous transformant du jour au lendemain en homme riche. Les obligations sons considérées comme plus sûres, mais offrent des avantages plus limités.
« SECURITIES AND EXCHANGE COMMISSION » : « Bien que ce soit leur boulot, la SEC a ignoré mes relances leur suppliant de me laisser contrôler le système de Ponzi imaginé par Madoff. »
La Securities and Exchange Commission (l’équivalent américain de l’Autorité des marchés financiers) est une agence fédérale chargée de faire respecter les lois de sécurité financière. En plus de superviser les investissements sur les marchés, sa tâche est de protéger les investisseurs en contraignant les entreprises cotées en bourse à divulguer publiquement toutes les informations financières les concernant.
TACTIQUE VS. STRATÉGIE : « L’an dernier, j’ai investi tactiquement et passé mes journées à faire des transactions. Puis, j’ai décidé d’investir stratégiquement et de disposer de plus de temps pour promener mon chien. »
Les investissements modernes sont régis par deux méthodes : l’une est tactique et implique de nombreuses transactions à court terme afin de répondre en direct au marché. La seconde, stratégique, est davantage une approche du genre « fais-le et n’y pense plus ». Les partisans de l’investissement tactique affirment que les mouvements aux bons moments sont moins risqués. Les militants de l’autre théorie signalent que les nombreuses transactions ont tendance à augmenter les coûts pour l’investisseur.
UNITED STATES OF AMERICA : « Les États-Unis d’Amérique demeurent la place forte d’une économie de plus en plus globalisée. »
Les USA représentent moins de 5 % de la population mondiale mais pèsent 49 % des valeurs boursières globales. La Grande-Bretagne et le Japon arrivent seconds avec 8 % chacun. La Chine se contente de 2 %.
VANGUARD : « J’ai acheté un portefeuille chez Vanguard et utilisé l’argent que j’avais économisé en frais de commission pour acheter à mon chien un collier incrusté de diamants. »
Selon l’Institut des fonds d’investis-sement, il existait, en 2013, 801 sociétés de fonds mutuels d’investissements en activité abritant les fonds de quelque 15 000 individus. La plus grande, Vanguard Group, est domiciliée en Pennsylvanie. Vanguard vend des fonds d’investissement sans frais, et pour cause, ils n’embauchent pas de courtiers. D’habitude, les fonds d’investissements mutuels prélèvent des frais pour payer les commissions de leurs courtiers, coût supplémentaire invariablement supporté par l’investisseur.
WORLDWIDE : « L’économie mondiale fut impactée par la famine irlandaise car celle-ci a conduit les Irlandais à émigrer, perturbant les marchés du travail européens et américains. »
Pendant des siècles, l’économie de chaque pays était perçue comme une entité autonome. Ce n’est que récemment que nous avons compris qu’il n’en était rien. Pour donner un exemple de cette interdépendance, la Chine détient 1 000 milliards d’euros de dette publique américaine et sa main-d’œuvre à faible coût produit une part significative des biens que les USA consomment. Mais si la Chine arrêtait d’acheter des bons du trésor US ou de vendre de l’électronique – ou si les États-Unis n’achetaient plus ses produits –, les deux pays devraient faire face à de sérieux problèmes.
CHROMOSOME X : « Longtemps, il n’y a pas eu de toilettes pour femmes chez Goldman Sachs parce que seuls des humains disposant d’un chromosome Y y travaillaient. »
Difficile de le nier : il y a plus d’hommes que de femmes à Wall Street. Aussi, il n’y a aucune femme P.-D.G. parmi les principales institutions financières et seulement 17 % de femmes sont cadres dans ces sociétés. Mais il ne s’agit pas que d’une discrimination sexuée : 65 % de la classe d’âge arrivante était WASP, contre 29 % d’Asiatiques et 6 % de Noirs ou Latinos.
« YIELD », OU RENDEMENT : « La valeur d’un couple de bovins est estimée à 800 euros ; son rendement en production laitière était de 320 euros par trimestre. »
Il existe deux éléments pour juger d’un retour sur investissement : la revalorisation du capital et son rendement. Une action de Costco s’échangeait autour de 90 euros l’année dernière alors qu’au moment où j’écris, sa valeur était de 102 euros – exprimant donc une revalorisation de 12 euros. Le rendement est le résultat dégagé par un actif ; il s’exprime sous la forme de dividende dans le cas d’actions, ou d’intérêts pour des obligations. Les dividendes versés au trimestre dernier par Costco étaient de 28,5 cents par part. Avec le prix d’une part à 102 euros et des dividendes de 28,5 cents, le rendement annuel des dividendes est donc de 1,1 %. Faites un rapide calcul et vous vous trouvez avec un retour sur investissement de 13,14 euros, soit 14,6 %.
ZUCCOTTI PARK : « Pourquoi tes bottes sont-elles pleines de boue ?
– Je suis allé au Zuccotti Park protester avec les 99 % ! »
C’est le parc de Manhattan où les manifestants d’Occupy Wall Street ont établi leur camp afin de dénoncer les inégalités de revenus aux USA – et le système financier en général. Le campement se présentait comme un lieu aux antipodes philosophiques de Wall Street : n’importe qui y était le bienvenu, et, au lieu d’offrir un vocabulaire technique de connaisseurs, il résonnait de slogans scandés à la face du pouvoir. Il est d’ailleurs important de rappeler que Wall Street n’est en aucun cas une chose abstraite : c’est un lieu de pouvoir, où les actions affectent directement la vie de vrais individus.