Le premier antifa du Red Star

VICE et le Red Star se sont associés pour suivre la saison des Vert et Blanc de Saint-Ouen sur et hors des terrains, auprès des joueurs, du staff, des supporters et de tous ceux qui gravitent autour de ce club historique du foot français. Aujourd’hui, on évoque un footballeur-résistant dont la mémoire est encore présente dans le travées de Bauer.


« Le Red Star ce n’est pas que du football. C’est aussi toute l’histoire qu’il y a derrière », affirme Gaby, 22 ans, en regardant un entraînement depuis le bord de la pelouse du stade Bauer. Et dans la riche histoire du club de Saint-Ouen, il y a un homme dont la mémoire a été honorée dimanche 25 février dans le salon Jules Rimet de l’enceinte audonienne. Il s’agit de Rino Della Negra, joueur audonien au cours de la saison 1942-1943, mais aussi et surtout résistant au sein du réseau des Francs-tireurs et partisans de la Main d’œuvre immigrée (FTP-MOI) dirigé par Missak Manouchian. L’ailier droit italien est mort fusillé par les nazis le 21 février 1944, à l’âge de 21 ans.

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Le kop honore aussi la mémoire de Rino Della Negra à chaque match à domicile du Red Star

Les membres du collectif Red Star Bauer ont organisé l’événement dans la fraîcheur d’un dimanche hivernal. Des supporters du club et des sympathisants de la cause antifasciste sont aussi présents. Max Poux, 82 ans, est assis sur une chaise. « J’ai connu le Red Star en 1960 et j’ai été témoin de toutes les époques », se remémore-t-il. Mais son attachement va au-delà des années de supportérisme : « Je suis ancien combattant moi-même. J’ai combattu en Algérie et au Maroc. » Pas la même guerre, mais des horreurs similaires. Deux générations en dessous, Lucas, 22 ans, est membre du collectif Red Star Bauer : « Je suis là pour les valeurs que ça représente. Je peux m’identifier à Rino Della Negra, je suis un immigré. » La mère de Lucas, Diana, poursuit : « Mon père était Républicain à Madrid et aujourd’hui, on perpétue une tradition. » Une tradition qui se perpétue dans les travées de Bauer, à chaque match à domicile du Red Star. Le kop entonne une chanson en l’honneur du résistant avec qui les supporters partagent des valeurs communes.

Max Poux, 82 ans et près de 60 années à suivre le Red Star.

Tout le monde s’assoit. Les discours débutent. Le président du collectif Red Star Bauer, Vincent Chutet-Mézence, rappelle que « Rino » ne fut pas le seul du Red Star à tomber sous les balles. Les noms s’égrènent. Il y eut aussi « Julien Verbrughe en 1916, René Fenouillère en 1916, Jacques Mairesse en 1940, … ». Le journaliste et écrivain Mickaël Correia, auteur du livre Une histoire populaire du football, prend la parole. Il évoque le sports en l’Allemagne, sous le régime nazi. Hitler ne goûtait pas tellement le football, agacé par les défaites de l’équipe allemande de l’époque. La résistance fut aussi « le refus de faire le salut nazi pendant les manifestations sportives. »

Né d’un père italien briquetier qui se déplaçait au gré des chantiers, Rino Della Negra arrive à 3 ans à Argenteuil, dans le Val d’Oise. Le quartier Mazagran, où sa famille s’installe, compte déjà de nombreux italiens antifascistes. Dès 14 ans, il travaille à l’usine Chausson d’Asnières. Mais il est aussi doué pour le foot. Le Red Star l’intègre dans ses rangs. Alors auréolé de son dernier titre de champion de France, le club avait déjà ses têtes d’affiche et le footballeur-résistant n’a jamais eu les honneurs de l’équipe première.

Vincent Chutet-Mézence évoque Rino Della Negra et tous les morts au combat, dans le salon Jules Rimet du stade Bauer.

Mais Rino est appelé au travail forcé en Allemagne. Il refuse et entre dans la résistance au sein du groupe Manouchian, qui a commis 92 attentats en six mois – et dont le dernier membre Arsène Tchakarian est décédé samedi 4 août. Rino participe notamment à l’exécution du général allemand Von Apt, le 7 juin 1943, ou encore à l’attaque du siège central du parti fasciste italien le 10 juin. Mais le 12 novembre 1943, l’attaque d’un fourgon blindé allemand, rue La Fayette à Paris, tourne mal. Rino Della Negra est blessé, puis fait prisonnier à la prison du Cherche-Midi. Il est fusillé au Mont-Valérien le 21 février 1943. Sa sœur viendra reconnaître le corps. Elle comprendra l’horreur de la torture qu’il a endurée.

Le collectif et les sympathisants sortent du club-house, gerbes de fleurs à la main. Ils tendent un drapeau à l’effigie de Rino Della Negra et déposent les bouquets les uns après les autres sous une stèle fixée au mur de la billetterie du stade Bauer. Trois choristes entament le chant des partisans. Une femme lève le point. Le vent entre sous les habits et glace les os. En aparté, François, 65 ans, rappelle que « ce combat est toujours d’actualité. Il y a un renouveau du repli sur soi, de la xénophobie et du rejet de l’autre sous toutes ses formes. » Le sort réservé aux réfugiés installés à quelques centaines de mètres de là, à Porte de Clignancourt, est là pour le rappeler.

Les gerbes de fleurs sont déposées à l’entrée du stade, en dessous d’un plaque commémorative, installée en 2004, qui rappelle que Rino Della Negra s’est battu contre les nazis.
Un devoir de mémoire qui se perpétue tous les ans.

Si vous voulez découvrir les différents travaux de Yann, c’est par ici.