Le prisonnier qui murmurait à l'oreille des grenouilles
Illustration de Dola Sun

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Crime

Le prisonnier qui murmurait à l'oreille des grenouilles

En cabane depuis 17 ans, Joseph tue le temps en s'occupant de tous les animaux qui tombent sous sa main.

Cet article a été publié en collaboration avec le Marshall Project.

Quand je suis arrivé en prison, mon seul compagnon était une tortue.

J'ai entamé ma peine au Menard Correctional Center, un établissement pénitentiaire situé dans le sud de l'Illinois. J'y ai été enfermé entre 2000 et 2002. Les bois environnants accueillaient de nombreux animaux, dont des biches. Celles-ci venaient régulièrement nous observer dans la cour. Je parvenais toujours à me trouver un nouvel animal de compagnie une fois l'été venu : des couleuvres, des grenouilles et des tortues entraient souvent par effraction dans notre cour de promenade. Pendant la nuit, je me mettais à la fenêtre pour apercevoir des ratons laveurs kleptomanes. Ces derniers se réunissaient sur le toit de l'immeuble de stockage, prêts à lancer leur assaut en direction des poubelles.

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Il m'est arrivé de ramener une tortue minuscule dans ma cellule. Elle n'était pas plus large qu'une pièce de 50 centimes. Sa carapace était très foncée, presque noire. Je lui ai fabriqué un aquarium à l'aide de morceaux de polystyrène et de cellophane. Je cachais l'aquarium sous mon lit dès que les gardiens venaient dans ma cellule. Lors de chaque fouille, je dissimulais la petite tortue dans ma main. Les gardes ne manquaient pas de trouver l'aquarium et de le détruire, sans que j'admette pourquoi je m'amusais à fabriquer un tel objet, inutile dans un lieu pareil. Je le reconstruisais inlassablement.

Mes codétenus me demandaient souvent de les laisser jouer avec. Ils ramenaient toujours un petit bout de nourriture que les tortues étaient censées aimer – du moins, c'est ce qu'ils croyaient.

Malheureusement, j'ai été transféré dans une autre prison avant de la voir grandir.

J'ai passé les dix années suivantes dans une prison de très haute sécurité, située à Tamms. Aujourd'hui, elle n'accueille plus aucun détenu. Il ne me serait jamais venu à l'esprit d'évoquer mon espace de promenade sous le terme de « cour ». Celui-ci n'avait rien d'un jardin. Il ressemblait plutôt à une cellule d'isolement, un endroit dans lequel vous n'aviez pas l'autorisation de côtoyer les autres détenus. Je parle d'un espace pas plus grand qu'un garage pour une voiture, entièrement bétonné, avec un grillage en guise de toit.

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Je n'avais pour compagnons qu'un projecteur, une caméra de surveillance ainsi qu'une porte en acier de couleur rouge, surmontée d'un bouton d'appel d'urgence. Si vous le pressiez, vous n'aviez souvent aucune réponse de la part des gardiens – ou alors ils vous menaçaient et vous incitaient fortement à ne pas recommencer.

Heureusement pour moi, des bois bordaient la prison de Tamms. Depuis la fenêtre de ma cellule, je pouvais apercevoir des faucons, des buses, des biches, des moufettes et des ratons laveurs.

Les jours de pluie, des grenouilles escaladaient les murs humides, comme si elles voulaient venir me voir. Une fois que le soleil brillait de nouveau, les murs redevenaient secs et les grenouilles ne pouvaient plus descendre. Elles étaient emprisonnées, tout comme nous.

Il m'arrivait de prendre l'une de ces grenouilles entre mes mains l'espace de quelques minutes. Elles s'habituaient rapidement et n'avaient plus peur de moi après ça. Je pouvais les mettre sur mon épaule et faire le tour de la minuscule cour en dessinant de petits cercles concentriques.

Après dix années passées à l'isolement, je ne supportais plus la présence d'un être vivant dans ma cellule. Je laissais donc les grenouilles repartir dès que je regagnais mes quartiers.

En 2012, j'ai été transféré au Pontiac Correctional Center, dans un ancien couloir de la mort réhabilité dans le cadre d'un tout nouveau programme destiné à me sortir de l'isolement. Pendant les trois premiers mois du programme, j'avais le droit de me promener dans une cour de 2 mètres 50 sur 4 mètres 50.

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Le personnel et mes codétenus m'ont conseillé de ne toucher aucune paroi entourant cet enclos, m'expliquant que d'anciens prisonniers en proie à de sévères troubles mentaux avaient lancé leur merde aux alentours et s'en étaient servis comme d'une arme.

On m'a rapidement transféré dans une autre prison, le Stateville Correctional Center – situé à Crest Hill, dans l'Illinois. J'y réside depuis 2012. Sur place, il n'y a aucun canard, aucun lapin, aucun écureuil. Aucune tortue n'est en vue. Aucune grenouille ne grimpe sur les murs. Seuls un renard et des marmottes me tiennent compagnie.

Je nourris les marmottes quotidiennement. Elles sont devenues incroyablement grosses au fil du temps. Elles connaissent le fonctionnement et les horaires de la prison. Elles ne me prêtent aucune attention lorsque je vais à la cantine. Ce n'est que lorsque je repars qu'elles s'alignent et demandent l'aumône.

J'apprécie de nouveau ces moments, quand je me retrouve en présence d'êtres vivants qui ne sont pas effrayés par ma présence. Eux aussi sont capables de jugement. Ils savent si un homme va leur faire du mal ou non.

Joseph Dole, 40 ans, purge une peine à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. Il a été reconnu coupable de meurtre et de kidnapping lors de son procès. Joseph Dole continue de clamer son innocence.