VICE News regroupe ses articles sur la crise migratoire mondiale sur son blog « Migrants ».
Les trois premiers bateaux à rapatrier des migrants de Grèce vers la Turquie sont arrivés ce lundi matin dans le port turc de Dikili, avec à leurs bords au moins deux Syriens parmi les 200 personnes présentes sur les embarcations.
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Comme le prévoit un accord controversé signé entre l’Union européenne et la Turquie, Ankara va récupérer tous les migrants qui entrent en Grèce illégalement, dont les Syriens. En échange, l’UE s’est engagée à accueillir des milliers de réfugiés syriens directement depuis la Turquie.
En complément, l’UE va dédommager la Turquie, offrir aux ressortissants turcs la possibilité de venir en Europe plus facilement, et va regarder d’un meilleur oeil la candidature de la Turquie pour son entrée dans l’Union.
La Turquie devrait ensuite renvoyer les migrants vers leurs pays d’origine respectifs — ce qui pourrait représenter, dans certains cas, une violation de la clause de non-refoulement prévue dans le droit international. En effet, il est impossible de renvoyer chez eux des gens qui risquent d’y être persécutés.
La grande majorité des 161 migrants arrivés sur les deux premiers bateaux de ce matin (qui arrivaient de l’île grecque de Lesbos) sont originaires du Pakistan, du Bangladesh et du Maroc. Ils étaient déjà en cours d’expulsion, avant que l’accord entre l’UE et la Turquie ne soit adopté. Sur les deux ressortissants syriens à bord, l’un serait une femme qui aurait pris le bateau volontairement.
Le troisième bateau à arriver au port de Dikili venait de l’île grecque de Chios. 66 personnes — principalement des Afghans — étaient à bord d’après un garde-côte qui s’est entretenu avec Reuters.
Le ministre des Affaires étrangères turc, Volkan Bozkir, a déclaré ce lundi que les migrants syriens rapatriés depuis la Grèce seront envoyés vers Osmaniye — une ville du sud de la Turquie.
Lors d’une interview avec Haberturk TV, Bozkir a aussi précisé que des Syriens récupérés dans des camps turcs seraient transférés en Allemagne, où ils seront ensuite dispatchés dans divers pays de l’UE.
Dans le même temps, les autorités allemandes ont fait savoir qu’un premier groupe de 16 migrants syriens était arrivé en Allemagne depuis la Turquie — dans le cadre l’accord UE-Turquie.
L’objectif de cet accord est de décourager les migrants qui souhaitent se lancer dans la périlleuse traversée de la Méditerranée dans des embarcations de fortune et ainsi de mettre à mal le business des passeurs, qui ont alimenté la plus grosse vague migratoire que l’Europe a connue depuis la Seconde guerre mondiale.
Quelques heures après le départ du premier bateau de « revenants » depuis l’île de Lesbos, les gardes-côtes grecs ont secouru au moins deux canots pneumatiques qui faisaient le trajet inverse. Plus de 50 migrants étaient présents sur ces embarcations de fortune — dont des enfants et une femme en chaise roulante — à destination de l’île de Lesbos.
« On va juste tenter notre chance. C’est notre futur qui est en jeu. Dans tous les cas on est déjà morts, » explique Firaz, un kurde syrien de 31 ans de la province d’Hasakah, qui voyageait avec son cousin sur un des deux petits canots pneumatiques.
Quand on lui demande s’il est au courant du fait que les autorités grecques renvoient les gens vers la Turquie, il déclare : « J’ai entendu ça pour les Iraniens, les Afghans. Mais il ne me semble pas qu’ils renvoient les Syriens vers la Turquie… Au moins j’ai fait ce que j’ai pu. Je suis vivant. Voilà. »
Un groupe de 47 hommes (majoritairement pakistanais) a aussi été intercepté par les garde-côtes turcs ce lundi. Ils ont été emmenés à un centre de détention près du port de Dikili, d’après un témoin interrogé par Reuters.
L’accord prévoit que l’UE réinstalle des milliers de réfugiés syriens directement depuis la Turquie — un pour chaque Syrien rapatrié depuis les îles grecques. La police allemande a annoncé que les premiers réfugiés syriens concernés par l’accord étaient arrivés ce lundi par avion.
L’une des dispositions clés de l’accord, qui veut que tous « les migrants illégaux » (dont les demandeurs d’asile) soient renvoyés vers la Turquie, a été largement critiquée par les défenseurs des droits humains. Ils estiment que la Turquie n’est pas un exemple pour ce qui est du respect des droits des réfugiés. Amnesty International assure que les autorités turques ont renvoyé de force des centaines de réfugiés syriens dans leur pays pourtant en proie à la guerre civile. L’Observatoire syrien pour les droits de l’homme indique de son côté que des soldats turcs ont tué des gens le long de la frontière syrienne.
« Cet accord [entre l’UE et la Turquie] repose sur le postulat que la Turquie est un pays tiers sûr, ce qui n’est pas le cas, » expliquait la semaine dernière à VICE News, Gauri Van Gulik, directeur Europe d’Amnesty.
Quelques heures après la mise en place de l’accord, le 20 mars à minuit, Amnesty a révélé qu’un groupe d’Afghans a été forcé par les autorités turques de signer des documents et d’embarquer à bord d’un avion à destination de Kaboul.
Avec le nouvel accord, tous les migrants qui sont arrivés après la deadline ont techniquement la possibilité de déposer une demande d’asile en Europe. Mais, l’accord précise que leur demande peut être jugée « inadmissible » s’ils viennent d’un « pays tiers sûr » ou d’un pays d’origine où ils reçoivent une « protection suffisante ».
Puisque la plupart des migrants arrivent en Europe via la Turquie — qui devrait bientôt obtenir le titre de pays sûr pour les demandeurs d’asile, malgré les inquiétudes des ONG — cela signifie que de nombreux nouveaux arrivants en Europe vont être rapatriés vers la Turquie.
À Dikili, quelques dizaines d’officiels de la police et de l’immigration attendaient devant une petite tente blanche posée en bordure du quai, alors que les migrants descendaient du bateau un par un, avant d’être photographiés et d’avoir leurs empreintes relevées.
Les rapatriés de Lesbos venaient majoritairement du Pakistan ou du Bangladesh. Ils n’avaient pas déposé de demande d’asile, a expliqué Ewa Moncure, une porte-parole de l’agence de protection des frontières européennes, Frontex.
Interrogée sur la possibilité que des Syriens soient renvoyés, elle a répondu : « À un moment oui, mais je ne sais pas quand. »
Le ministre des Affaires étrangères turc, Volcan Bozkir, a assuré qu’il n’y avait pas de Syriens dans le premier bateau venant de Grèce — mais que quand ils commenceraient à arriver, ils seraient envoyés vers la ville Osmaniye, à 40 kilomètres de la frontière syrienne.
Pour les Non-Syriens, la Turquie les renverra automatiquement vers leurs pays d’origine, a fait savoir Bozkir dans son interview avec Haberturk.
La Turquie nie maltraiter les migrants et assure qu’elle remplit les obligations fixées par les normes internationales. L’UE voulait lancer ce programme le plus rapidement possible, malgré diverses réserves, à cause de la puissante pression politique exercée dans le nord de l’Europe — afin de décourager les migrants de tenter le voyage.
De petites manifestations de mécontentement se sont fait entendre alors que les premiers retours s’organisaient.
À Lesbos, un petit groupe de manifestants scandaient « Honte à vous ! » quand le bateau rapatriant les migrants s’est mis à glisser sur la mer Égée en direction de la Turquie. Des sauveteurs volontaires à bord d’un petit bateau naviguant à proximité ont déroulé une bannière sur laquelle on pouvait lire : « Des ferries pour une traversée sûre, pas pour le rapatriement. »
Chaque migrant était accompagné à Lesbos par un officier de Frontex en civil. Ils avaient été dépêchés sur place pendant la nuit depuis le centre de détention de l’île. Des unités de la police antiémeute grecque étaient aussi présentes à bord des bateaux.
Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et des groupes de défense des droits humains ont déclaré que l’accord entre l’UE et la Turquie manquait de garanties juridiques. Amnesty a estimé qu’il s’agissait d’un « coup historique porté aux droits de l’homme, » et a envoyé des observateurs à Lesbos et Chios ce lundi.
Plus de 3 300 migrants sont sur l’île de Lesbos. Près de 2 600 personnes sont détenues au centre Moria — un ensemble tentaculaire de conteneurs. Soit 600 personnes de plus que sa capacité maximale. À Moria, ils seraient 2 000 à avoir demandé l’asile, d’après le HCR.
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