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Le ressuscité de La Réunion : la longue route vers la gloire de Dimitri Payet

Une raison qui rend le football si magique, c’est que le chemin vers le sommet est une science magnifique et inexacte. Il y a les chanceux qui deviennent des stars alors qu’ils sont encore des adolescents boutonneux, et qui le restent jusqu’à ce qu’ils aient des cheveux gris. Mais pour chaque Gigi Buffon ou Ryan Giggs, il y a une poignée de footballeurs pros qui ont réalisé leur rêve en prenant le chemin le plus long, et c’est pour cela qu’ils sont d’autant plus fascinants.

Des histoires, il y en a des tonnes : Ian Wright est devenu le recordman de buts marqués pour Arsenal après avoir galéré dans les ligues amateures du sud londonien et après avoir gagné sa vie comme plâtrier. Rickie Lambert a travaillé dans une usine de conditionnement de betteraves avant d’arriver en Premier League. A 15 ans, Papiss Cissé était ambulancier au Sénégal. Le buteur brésilien Grafite vendait des sacs-poubelle dans les rues de São Paulo avant de devenir meilleur buteur de la Bundesliga et joueur de l’année.

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Dimitri Payet a sa place dans cette catégorie de belles histoires du football. A 29 ans, il est désormais bien établi comme l’un des plus talentueux joueurs européens, mais pour en arriver là, il lui a fallu passer par plusieurs désillusions, par des passages en divisions inférieures, et, surtout, par un job de vendeur assistant dans une boutique de prêt-à-porter à Nantes.

Les prestations de Payet durant l’Euro 2016 l’ont définitivement installé sur la scène internationale // PA Image

Payet a grandi à La Réunion. La population de l’île n’excède pas les 900 000 habitants, mais elle a tout de même produit une bonne série de footballeurs pros, tels que Florent Sinama-Pongolle, Laurent Robert ou Didier Agathe. (L’île produit des surfeurs pros à un degré encore plus impressionnant.)

A tout juste 12 ans, le jeune Payet est envoyé en France métropolitaine, au centre de formation du Havre. Quatre ans plus tard, il est renvoyé chez lui, le club ne voulant pas lui offrir de contrat pro à cause de sa taille et de son comportement. « Je n’ai aucun reproche à faire au Havre, a-t-il déclaré l’année dernière. A l’époque je n’étais pas un garçon facile à discipliner. J’étais toujours le premier à faire l’imbécile. Mais j’ai été assez traumatisé par l’expérience et la décision de ne pas me garder. J’ai pensé que mon rêve était terminé. Je voulais juste rester sur mon île et jouer au football là-bas. »

Et pendant quelques temps, c’est exactement ce qu’il a fait. A 16 ans, Dimitri Payet est devenu le plus jeune joueur de la première division de La Réunion, et a illuminé le championnat malgré le fait qu’il se faisait bouger par des mecs qui faisaient deux fois sa taille. De manière assez ironique, il attire alors l’œil de plusieurs recruteurs français. Nantes est le premier club à se manifester et lui offre un contrat stagiaire – même si, ayant eu vent de son mauvais comportement au Havre, les dirigeants insistent pour y mettre une clause de résiliation anticipée. Déjà marqué par une expérience manquée en France métropolitaine, Payet reçoit l’offre avec inquiétude plutôt qu’avec excitation. Il venait de retrouver la joie de jouer devant les spectateurs éparpillés dans les tribunes du championnat réunionnais, et le confort de sa ville natale était plus attrayant qu’un autre voyage dans l’inconnu.

« Je ne voulais même pas qu’on me parle de revenir en France. J’ai eu une dispute là-dessus avec mon père et mon oncle, et ils m’ont convaincu de tenter ma chance une nouvelle fois. J’ai accepté, pour mon père en particulier, parce que le football est sa passion et il n’a jamais eu l’opportunité de partir de La Réunion. »

Un deuxième voyage vers la France a donc suivi (et un temps partiel dans un magasin de vêtements) mais cette fois la promesse du football pro est devenue réalité : Payet a fait ses débuts sous le maillot nantais à 18 ans, et s’est imposé comme un joueur de rotation dans l’équipe première la saison suivante. C’est à partir de là que les choses ont commencé à devenir sérieuses.

Un Payet adolescent tente d’échapper à un jeune Franck Ribéry. // PA Image

Les supporters de West Ham doivent une fière chandelle à Alain Payet, sans qui ils n’auraient pas pu voir jouer le joueur le plus doué techniquement qu’ils aient eu dans leur équipe depuis Joe Cole. Payet partage quelques points communs avec Cole période West Ham : cette exubérance et cette liberté à chaque touche de balle, ces balades chaloupées dans la surface adverse. Il semble donc normal que les deux aient été coéquipiers à une époque : l’ancienne icône de West Ham a même laissé son successeur sur le banc de touche lors de leur saison commune à Lille en 2011-12.

A l’époque, comme c’est le cas pour beaucoup de meneurs de jeu, le gros point noir de Payet est son inconstance. A chaque fois, à Nantes, à Saint-Etienne ou à Lille – c’est-à-dire une fois arrivé au milieu de la vingtaine – Payet a tendance à se faire oublier dans le jeu : c’est un talent décisif qui ne décide alors pas beaucoup de l’issue des matches. Mais lors de ses deux saisons à Marseille, et notamment sous le régime très dur du gourou Marcelo Bielsa, il a éliminé ses imperfections.

« Dimitri n’écoutait pas toujours les conseils de ses entraîneurs et faisait parfois des caprices : il réagissait mal si quelque chose n’allait pas dans son sens. Il pouvait être incroyablement frustrant, raconte Damien Comolli, qui a signé Payet à 20 ans lorsqu’il était directeur technique de Saint-Etienne. Mais Payet a rencontré Bielsa au bon moment. Thierry Henry avait Arsène Wenger, Cristiano Ronaldo peut remercier Sir Alex Ferguson et, pour Dimitri, c’était définitivement Bielsa. »

Payet lui-même est d’accord. « Bielsa m’a laissé en-dehors de l’équipe pendant quelques matches, mais c’était une manière d’être sûr que je reste concentré et que je ne me repose pas sur mes lauriers, a déclaré Payet. Je pense qu’il avait raison parce que cette saison-là, j’ai été très régulier. » Il n’a pas tort : lors de sa seconde saison à Marseille il fut le joueur européen s’étant créé le plus d’occasions.

C’est facile de voir cela comme l’histoire classique de l’enfant capricieux qui apprend un jour l’importance du labeur et de la discipline, et qui en goûte la récompense. Mais c’est vrai : le jeune homme qui répondait à ses entraîneurs et qui donnait des coups de boule à ses coéquipiers (notamment à Blaise Matuidi lorsque les deux jouaient pour Saint-Etienne) est désormais plus connu pour ses coups francs somptueux qui sont le résultat de nombreuses heures d’entraînement.

Et en même temps, il manque une dimension dans cette histoire de la canaille qui apprend à respecter les règles : la chose qui rend Payet si magnétique aujourd’hui, c’est l’espièglerie qui ressort à chaque fois qu’il touche la balle. Payet est peut-être plus mature aujourd’hui dans son comportement, mais il ne prend pour autant toujours pas le football trop au sérieux : pour lui, ça reste au fond un moyen de s’amuser.

Payet a vraiment démontré tout son potentiel à Marseille, sous la tutelle de Bielsa // PA Image

Ce n’est pas surprenant d’apprendre, qu’enfant, Payet a modelé son jeu sur celui d’un certain Brésilien aux dents du bonheur. « Les gens disaient que Ronaldinho aimait humilier les défenseurs mais il était toujours efficace, a déclaré Payet à propos de son idole. La raison pour laquelle je fais partie de ses fans, c’est qu’il faisait le show tout en restant efficace. »

Le point culminant de la carrière de Payet à West Ham pour le moment, c’est évidemment ce coup franc à 30 mètres face à Stretford End en FA Cup la saison dernière. Slaven Bilic l’a défini comme le « but parfait ». Et c’est le plus approprié des hommages que le Français aurait pu faire à son idole brésilienne. Mais au niveau des comparaisons avec Ronaldinho, on parle plus souvent des déhanchés reptiliens de Payet pour passer les défenseurs adverses ainsi que son intarissable envie de petits ponts (le Hollandais Quincy Promes étant le dernier sur la longue liste des victimes) ou de son génie lors de possessions arrêtées. Ce sont des comparaisons qui sont évidemment recevables d’un point de vue stylistique : les deux hommes jouent avec la même malice, les deux sont des showmen-nés, les deux résolvent l’issue des matches avec des moments de grâce.

La carrière de Payet est presque le miroir exact de la trajectoire de son idole : Ronaldinho avait déjà remporté une Coupe du monde et un Ballon d’or à l’âge où Payet a fait ses débuts en équipe de France. Cela montre bien à quel point on peut atteindre le sommet par différents chemins.

Le fait que Dimitri Payet fut l’un des hommes forts de l’équipe de France lors du dernier Euro est aussi symbolique de la nature volatile du potentiel. Alors que les grands espoirs de sa génération, notamment Samir Nasri et Hatem Ben Arfa, avaient été laissés sur le bas-côté après des années de hype, Payet est arrivé en héros après une carrière passée à attendre sa chance. Son but victorieux lors des arrêts de jeu du match contre la Roumanie fut le point culminant d’une carrière internationale qui n’a pas été aussi fluide que son de jeu.

Durant les débuts difficiles de West Ham cette saison, Payet est resté déterminant. // PA Image

Désormais, il rattrape juste le temps perdu. Contrairement à sa réputation, ses deux dernières saisons ont été des modèles de constance : son but absurde en solo contre Middlesbrough fait déjà partie des candidats au plus beau but de la saison. Il aura peut-être 30 ans en mars, mais il a l’air toujours plus dangereux, toujours plus complet, toujours plus sous tension.

Peut-être parce que l’âge n’a apporté qu’une maturité limitée à Payet : il joue toujours avec l’audace espiègle synonyme de la jeunesse. C’est un performeur dans tous les sens du terme. Comme dit une expression qui a fait ses preuves, on paierait pour le voir jouer. « Il fait des choses sur le terrain qui vous font vous lever de votre siège, a un jour déclaré Bilic. C’est ça le football. »

@A_Hess


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