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Le spectacle tragique et passionnant d’un Kobe Bryant qui dit stop

Les Los Angeles Lakers ne sont pas une bonne équipe de basket cette saison. Surtout à l’Ouest, où leur objectif est principalement de montrer qu’ils ne sont pas l’équipe la plus nulle de la conférence. Mais même, de manière générale, ils ne sont pas bons du tout.

Mais les Lakers sont quand même une équipe excitante. Quand le meneur rookie hyper-intelligent D’Angelo Russell mène la charge en compagnie de ses jeunes étalons Julius Ranale et Jordan Clarkson, il y a de l’espoir et il y a aussi moyen pour eux de passer dans les Top Ten. Les fans des Lakers, toujours en recherche de titres, après avoir été 16 fois champions NBA, ne sont pas habitués à voir une jeune garde grandir sous leurs yeux. D’habitude, ce sont plutôt des joueurs qui coûtent cher qui sont remplacés par des joueurs qui coûtent encore plus cher. Les supporters les plus patients des Lakers doivent trouver tout de même ça un peu excitant de voir une nouvelle équipe se construire à partir de rien. C’est une nouvelle expérience pour eux.

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Mais pas vraiment en fait. La cause : le mec de 37 ans qui remonte et descend le terrain à côté de ces gosses électriques. Pendant 29,2 minutes de chaque match, les Lakers concentrent leurs phases offensives autour d’une star légendaire qui est désormais l’un des arrières de la ligue les plus lents et les moins athlétiques. Un mec qui rentre ses shoots à 39,2% et garde le ballon pendant de longs moments, avant de se lancer dans une série de feintes de shoots, de crossovers et de feintes de corps ratés. A la fin, il envoie le ballon en direction du panier, rarement dedans. Il a le nombre de shoots tentés le plus haut de son équipe. Il tente environ huit tirs à 3 points en moyenne par match (moyenne la plus élevée de sa carrière, et la cinquième moyenne la plus élevée en NBA cette saison) et n’en rentre que 21%. En comparaison, le MVP Steph Curry tente 10,8 tirs à trois points par match, mais rentre 45% de ses shoots derrière la ligne.

Ce mec, un Hall-of-Famer incontestable pour qui que ce soit, faisait il y a un temps des choses extraordinaires. Il s’éclatait grâce à la magie de son jeu en un contre un et sa confiance en soi pure, intouchable. Pendant plus d’une décennie, il pouvait rentrer tous les tirs qu’il tentait, même les moins bien sentis. Cela lui a fait remporter un trophée de MVP, cinq titres de champions, deux titres de MVP des Finals et 17 sélections au All-Star Game. Seuls deux hommes ont mis plus de points que lui durant une carrière. Il a eu l’une des meilleures carrières dans l’histoire de ce sport. Mais putain aujourd’hui, qu’est-ce qu’il a l’air cuit.

Quand vous avez les réponses au questions que tout le monde se pose. — Photo Noah K. Murray-USA TODAY Sports

Kobe a gardé pendant longtemps un niveau exceptionnel, jusqu’à sa rupture du tendon d’Achille au printemps 2013. Depuis, il traverse avec difficulté les cinq étapes du deuil. Après deux saisons marquées par les blessures et les retours au jeu sporadiques, Kobe est arrivé cette saison bien logé au niveau du stade de la colère et du déni. Son arrogance, autrefois si belle, est devenue un orgueil sombre et destructeur. Il tient la franchise en otage depuis deux saisons – à la fois à cause de son salaire garagantuesque (25 millions de dollars, soit le joueur le mieux payé de NBA cette saison) à la fois à cause de sa gargantuesque arrogance toute « kobénienne ». Durant cette période, les Lakers ont façonné un rôle de super-héros pour un homme dont le physique ne suit plus. Le résultat ressemble à ce qu’on pourrait s’imaginer.

Bryant a montré sa rage contre la lente agonie qu’est sa fin de carrière en se chamaillant avec ESPN à propos de leur classement des meilleurs joueurs NBA, qu’il avait pris comme une attaque personnelle. Il a dit d’un de ses coéquipiers qu’il était « tendre comme du PQ » et s’est engueulé avec le GM des Lakers Mitch Kupchak à cause de l’équipe pas terrible qu’il avait à ses côtés. En filigrane, il insiste sur le fait que, même en regardant le Black Mamba mourir à petit feu devant nos yeux, Kobe est toujours Kobe. Le spectacle n’est pas tout à fait terminé. Son contrat de deux ans et 48 millions de dollars en est le testament.

Le Kobe show sera sur nos écrans pour une nouvelle saison. Mais le début de cette saison, dont on espère qu’elle soit sa dernière, a vu Bryant sombrer dans les derniers stades de la dépression et de l’acceptation. Jamais le dernier pour la demi-mesure, Kobe semble désormais se noyer dans le dégoût de soi le plus total après une succession de matches particulièrement mauvais. Après avoir réalisé un 3 sur 15 au shoot dans une défaite contre les Dallas Mavericks il y a deux semaines, il a déclaré : « Je suis naze. Je suis le 200e meilleur joueur de cette ligue en ce moment. »

Bryant est devenu à la fois dégueulasse à regarder et en même temps fascinant : Kobe, l’assassin vengeur le plus exubérant de sa génération et prince de la franchise la plus légendaire, est devenu un joueur sur le déclin. Sa descente aux enfers est parfois un drame passionnant, parfois une mascarade cruelle et embarrassante. Ce n’est pas poli de regarder un homme sombrer, mais la métamorphose de Kobe, en l’inverse total de ce qu’il était, est aussi fascinant à voir que ses exploits quand il était au meilleur de sa forme.

Quand ta sélection de shoots est au point. — Photo Noah K. Murray-USA TODAY Sports

Regarder Kobe jouer maintenant, c’est le regarder se débattre avec ce qui était jadis sa meilleure arme dans la ligue : son ego surdimensionné et intouchable. Cette confiance en soi ne l’incite pas seulement désormais à prendre des shoots, elle lui fait aussi croire que ces galères sont quand même essentielles dans son rôle de mentor envers les jeunes de l’équipe. « Ils ne veulent pas me voir jouer les matches comme un joueur moyen, ou comme un vieux de la vieille, a expliqué Bryant à CBS Sports. Ils veulent et doivent voir cette concentration, cette intensité, cette énergie, ce dynamisme. C’est comme ça qu’ils apprennent… c’est comme ça qu’ils veulent apprendre. » Ce qui a un jour fait Kobe est en train de le défaire.

Bryant a toujours joué au basket comme s’il était éternel, comme si le temps, la décadence, la défaite n’avaient aucune prise sur lui. C’est pour ça que sa légende vivra longtemps après lui. Mais personne ne vit éternellement. Même le corps et le talent d’un arrière qui a passé deux décennies à donner tout ce qu’il pouvait à la NBA, en ne rechignant jamais à aller au combat.

Dans ce qui devait être à coup sûr son dernier match au Madison Square Garden, il y a deux semaines, le public de New York chantait « MVP » à chaque fois que Bryant se présentait sur la ligne des lancer-francs. Il a shooté à 6 sur 19 dans cette défaite face aux Knicks, avec 2 tirs à trois points réussis sur 10. Randle et Russell ont réussi un 6 sur 19 à eux deux. Les « MVP » chantés étaient plus un hommage qu’autre chose, mais ils étaient tout aussi bruyants. L’homme a beau être en train de mourir en tant qu’athlète, mitraillant à tout va dans ce qui s’annonce une sacrée déliquescence, mais son Eglise continuera à chanter ses louanges pendant encore très, très longtemps.