Lorsque vous êtes défoncé, la personne assise à vos côtés, votre pote de toujours, peut soudain vous sembler un peu… différent. Votre cerveau a alors tendance à attribuer ce changement dans son apparence à des causes rationnelles.
Dans ces cas-là, vous êtes suffisamment conscient de votre état pour attribuer l’altération de votre perception à la prise de psychotropes. Vous savez que votre ami n’est pas vraiment différent de d’habitude, mais que c’est vous qui le percevez différemment.
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Dans des circonstances exceptionnelles, si vous êtes en plein bad trip ou si vous faites l’expérience d’effets psychotiques, par exemple, vous pourriez déduire que cette personne a été remplacée par son double. Par un imposteur.
Cette sensation peut advenir alors que vous êtes sobre, si vous souffrez de schizophrénie ou avez subi un traumatisme crânien, par exemple. Cela peut également arriver si vous êtes affectés par une maladie extrêmement rare : le syndrome de Capgras.
Qu’est-ce que le syndrome de Capgras ?
Baptisé d’après Joseph Capgras, le médecin français qui a découvert cette maladie, le symptôme affecte des individus qui se sont persuadés qu’un ou plusieurs de leurs proches ont été remplacés par des imposteurs. Aussi nommé Délire d’illusion des sosies de Capgras, le syndrome est rare, et plus volontiers présent chez les schizophrènes.
Je me suis entretenu avec le Dr. Deepak D’Souka, professeur de psychiatrie à Yale, afin de le questionner sur le syndrome en question. Il explique qu’il se caractérise par une faille dans le raisonnement logique sur l’environnement du patient. Lorsqu’une personne schizophrène perçoit une évolution dans l’aspect ou le comportement de quelqu’un qui lui est familier, elle ne va pas mettre à jour ses connaissances sur cette personne afin d’intégrer ces nouveaux changements. Au contraire, elle donner une interprétation radciale à cette évolution en l’attribuant à une substitution pure et simple de la personne en question.
Ce genre de « mauvais » raisonnement est fréquemment associé au diagnostic de schizophrénie, mais peu également apparaître après consommation de drogues ou traumatisme crânien.
D’Souza explique : « Essayez de voir le cerveau comme un système autoroutier ; vous pouvez avoir un accident dans telle ville, qui aura des répercussions sur la fluidité de la circulation dans telle autre. Mais si vous vous contentez d’étudier le trafic dans une seule ville, vous n’aurez qu’un aperçu limité de l’étendue du problème. Dans le cerveau, qui est un vaste réseau, toutes les parties sont connectées les unes aux autres. »
Dans le cas présent, le syndrome de Capgras de ce patient a émergé après un traumatisme crânien dans un accident de voiture.
Causes
Les causes de ce syndrome ne sont pas encore bien comprises. On ne peut pas l’attribuer à des lésions dans une zone spécifique du cerveau. Une étude ayant porté sur 38 patients affectés par Cagras a conclu que le syndrome était corrélé à une maladie neurodégénérative. Elle a également montré que ce n’était pas une condition nécessaire à l’apparition du syndrome, et que « les maladies psychiatriques, les accidents cérébro-vasculaires et l’usage de drogue » pouvaient également y contribuer, notamment l’abus de méthamphétamine.
Les principales définitions du syndrome de Capgras viennent de la psychiatrie et de la neurologie, mais elles sont encore mal assises. Certaines sont mêmes carrément tirées par les cheveux. Une théorie publiée dans une revue psychiatrique japonaise n’hésite pas à attribuer une origine surnaturelle au syndrome, en arguant que la maladie est en fait le symptôme d’un phénomène d’origine métaphysique, et que ceux qui en souffrent existent dans une autre dimension en compagnie de leur clone. Rien que ça.
Un diagnostic difficile
Il est bien plus difficile de diagnostiquer un délire qu’une maladie d’origine virale, bactérienne ou physiologique. « Si quelqu’un tousse, on saura rapidement d’où cela vient, » explique D’Souza.
Le délire et l’hallucination, eux, sont bien plus complexes. Le DSM V (le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de référence) définit le délire comme « des croyances fixes qui sont pas sujettes au changement même en la présence de preuves contradictoires. » Le problème de cette définition, c’est que selon elle, la plupart des supporters de foot pourraient être qualifiés de malades mentaux. Le DSM V prend en compte cela et précise que « la différence entre le délire et l’idée fixe n’est pas toujours facile à établir, et dépend en partie du degré de conviction manifestée par la personne quand lorsque tout lui indique qu’elle se trompe. »
Il est difficile d’induire la psychose chez un singe avant de lui demander de remplir un questionnaire.
De plus, les hallucinations partagées par toute une partie de la population au sein d’une même culture ne sont pas considérés comme des délires. Cela explique pourquoi un séminariste catholique clamant à qui veut l’entendre que Dieu lui a parlé sera considéré comme un jeune homme pieux, et non comme un fou.
Ces difficultés pour établir un diagnostic expliquent peut-être pourquoi le nombre de cas de syndrome de Capgras demeure relativement faible. Par exemple, ce cas clinique évoque une patiente ayant développé un syndrome de Capgras après une récidive de sclérose en plaques. Après avoir sauvagement attaqué son époux, qu’elle prenait pour un imposteur, on l’a amenée aux urgences psychiatriques. Si elle avait simplement été arrêtée par la police, il n’est pas certain qu’elle aurait été diagnostiquée.
La recherche sur la kétamine
Quand j’ai contacté D’Souza afin de l’interroger, il s’est avéré qu’il avait récemment rencontré un cas de Capgras dans son propre laboratoire.
Afin d’observer et d’étudier les mécanismes de la schizophrénie, des chercheurs comme D’Souza ne peuvent se contenter des méthodes expérimentales classiques. Conceptuellement, il n’est pas difficile de concevoir des études sur des maladies d’origine physique comme le diabète ou le cancer. On peut d’ailleurs, dans certains cas, avoir recours à des modèles animaux avant de passer aux tests cliniques. Or, Il est difficile d’induire la psychose chez un singe avant de lui demander de remplir un questionnaire.
Une étude co-dirigée par D’Souza rapporte le premier cas d’un syndrome de Capgras induit temporairement chez un sujet sain. Une étudiante de master de 26 ans sous kétamine (en dose contrôlée) a rapporté une expérience troublante durant laquelle elle s’était persuadé que les membres de son entourage avaient été remplacés par des quasi-clones, un plus âgés et un peu plus gros qu’auparavant. Selon elle le temps avait successivement ralenti et accéléré, tandis qu’elle était saisie par l’angoisses et que ses forces l’abandonnaient.
Cette expérience semble illustrer à la perfection la description clinique de ce que l’on appelle le K-hole, lorsqu’un sujet sous kétamine a le sentiment d’être dissocié de lui-même et du continuum espace-temps. L’étudiante explique encore que son reflet dans le miroir ne semblait pas lui correspondre, et qu’elle contemplait une étrangère qui avait l’air de quelqu’un d’autre, ne s’exprimait pas et ne se comportait pas comme elle l’aurait fait.
Le but des recherches de D’Souza est d’utiliser la kétamine pour induire des symptômes schizophrénoïdes chez des patients sains, puis d’étudier comment atténuer, voire faire disparaître les symptômes en question. « L’idée est de provoquer une forme de schizophrénie de manière temporaire chez un individu en bonne santé, puis de tenter de trouver un médicament capable de le soulager. »
Cette simulation d’un Capgras pourra peut-être nous permettre de mieux comprendre le symptôme. Il n’existe toujours pas de traitement et de thérapie efficace pour lutter contre la maladie à l’heure actuelle. Il est difficile de se faire une idée précise de ce qu’est vraiment le syndrome de Capgras, compte tenu de notre connaissance limitée de sa genèse. Cette incertitude doit nous motiver à poursuivre et à intensifier les efforts placés dans la recherche sur la schizophrénie, qui lui est étroitement liée.