L’expert en tableaux parisien Éric Turquin en est persuadé : le tableau retrouvé en avril 2014 dans le grenier d’une maison de la région toulousaine est bien un original du Caravage — un peintre italien des XVIe et XVIIe siècles, connu entre autres pour Les Tricheurs. L’oeuvre est estimée à 120 millions d’euros.
Lors d’une conférence de presse tenue ce mardi matin, Turquin a déclaré, « Ce n’est pas une copie. Ce Caravage peint à la serpe, sans correction, est authentique, » avant d’ajouter qu’il « n’y a pas de consensus et qu’il n’y aura pas de consensus [quant à l’origine de l’oeuvre] — Caravage a toujours été controversé. »
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L’expert n’est pas le seul à penser que cette oeuvre de Michelangelo Merisi (le vrai nom du Caravage) pourrait bien être un original. Le ministère de la Culture français avait interdit la sortie du territoire du tableau dès le 25 mars dernier, estimant que l’oeuvre « méritait d’être retenue sur le territoire comme un jalon très important du caravagisme, dont le parcours et l’attribution restent encore à approfondir. »
Ce tableau intitulé Judith tranchant la tête d’Holopherne est une représentation d’une scène de l’Ancien Testament. On y voit Judith (une héroïne juive) en train de trancher la gorge d’un général ennemi (après l’avoir séduit) pour empêcher l’invasion assyrienne — tout ça sous les yeux de sa servante.
Le Caravage avait peint une première version de cette scène, qui est aujourd’hui conservée à la Galleria nazionale d’arte antica de Rome. Mais plusieurs lettres faisaient état d’une seconde représentation de l’opposition entre Judith et Holopherne peinte par le Caravage.
L’existence de ce deuxième tableau était aussi étayée par une copie d’époque de ce tableau par Louis Finson (un peintre et copiste contemporain du Caravage) qui est aujourd’hui exposée au Palais Zevallos à Naples.
Pour Éric Turquin, la découverte de ce tableau a été « le plus beau moment de sa carrière ». En effet, Le Caravage a laissé derrière lui seulement 64 oeuvres contre plus de 420 oeuvres peintes pour des maîtres comme Rembrandt.
Un dégât des eaux à 120 millions d’euros
C’est après un dégât des eaux en 2014, que les propriétaires d’une maison de la région de Toulouse vont mettre la main sur le tableau dévoilé ce mardi à la presse. Pour accéder au toit afin de régler la fuite, les propriétaires cassent une porte et tombent sur le tableau stocké dans un débarras depuis au moins 150 ans, d’après Éric Turquin.
Pour Turquin, c’est le côté sanguinolent de l’oeuvre qui aurait motivé les anciens propriétaires de la demeure toulousaine à remiser le tableau dans le grenier — ce qui a permis de la conserver dans un excellent état.
La maison dans laquelle le tableau a été retrouvé date du XVIIe siècle, comme l’oeuvre du Caravage (datée entre 1600 et 1610). Les propriétaires comptent parmi leurs ancêtres un officier napoléonien, qui aurait pu faire l’acquisition de l’œuvre lors de ses voyages selon Turquin.
La famille propriétaire de la maison et du tableau du Caravage avait déjà vendu il y a quelques années un autre tableau de maître espagnol d’après La Tribune de l’Art.
Des spécialistes divisés
La découverte de ce tableau avait lancé un vif débat entre les plus grands connaisseurs du Caravage, dont certains sont tenus par un devoir de réserve à cause de leur appartenance à des musées.
Dans un article du Quotidien de l’Art, plusieurs experts se prononcent sur l’origine de l’oeuvre dont l’expert italien Gianni Papi qui pense que le tableau est en réalité de Louis Finson.
De son côté, Mina Gregori, professeur émérite à l’université de Florence, a déclaré « être face au meilleur tableau italien réapparu au cours des trente dernières années, mais elle n’a pas reconnu pour autant la main de Caravage, » peut-on lire dans le quotidien spécialisé.
Bruno Arciprete, l’un des restaurateurs spécialistes de Caravage, interrogé par Le Quotidien de l’Art estime que le tableau est à « 90 pour cent de Caravage ». Enfin, Nicola Spinosa, qui collabore avec le cabinet d’Éric Turquin, est persuadé que le tableau est « peint comme seul Caravage le faisait dans ces années-là. »
L’État français a désormais trente mois pour racheter le tableau, s’il estime que le tableau est authentique. C’est notamment ce que souhaite le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, qui « demande que ce trésor, dès son authentification définitive, puisse demeurer sur le territoire national afin d’être notamment exposé au public. »
Si l’État français ne se porte pas acquéreur, il pourra ensuite être vendu dans le monde entier.
Photographie de l’oeuvre en question par Studio Sebert.
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