Dans mes proches souvenirs, Le Villejuif Underground est un coucou. Pas l’oiseau, encore moins le salut, plutôt cette vieille carlingue brinquebalante qui n’inspire guère confiance et dans laquelle on n’oserait s’aventurer pour rien au monde. Alors que le groupe n’a même pas derrière lui cinq années d’existence, je me rappelle aux temps qui ont l’air immémoriaux des concerts à 15 dans les caves exiguës de Belleville, du premier show en France de leur chanteur australien Nathan Roche à la fin duquel il tenta mollement, faute d’argent, de vendre sa guitare, ou encore de cette fois, où, croisés lors d’une date sur une péniche « rock » à Lyon qui sentait un mélange de fond de cale et de fond de transpiration, ils me racontaient qu’ils passaient désormais leur temps à se foutre sur la gueule. La veille, ils avaient « égaré » un des membres du groupe à Besançon, leur van pourri avait pour la sempiternelle fois lâché, et Nathan se trimballait désormais avec un bandage de fortune ensanglanté autour du bras – il avait « frappé contre un truc » pendant les balances.
Du coup, alors que s’apprête à sortir leur deuxième album dans une semaine sur Born Bad, When Will The Flies in Deauville Drop? (en écoute juste ci-dessus en avant-première), que personne dans le groupe n’habite désormais plus à Villejuif, que Nathan s’est délocalisé (et marié !) à Marseille, et que traine désormais une vague odeur de respectabilité autour de cette bande d’adorables petits détraqués, on se demande ce qui fait courir (mais surtout, ce qui fait tenir) le groupe le plus excitant de rock en France de ces dernières années – parce qu’au final, il ne s’agit que de ça.
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« C’est pas autant le bordel que ça en a l’air », me dit Antonio (claviers), avachi dans un canapé à la Station Gare des Mines, où le groupe vient de passer une journée promo entouré de bières bon marché et du Bryan’s Magic Tears. « On a l’impression que tout va s’écrouler parce qu’on enregistre tout nous-mêmes et qu’on a été inondés dans notre maison à Villejuif. Mais c’était il y a deux ans. Pleins de choses se sont passées depuis. Aujourd’hui on n’a pas vraiment d’endroit pour enregistrer ni poser notre matos, et pourtant quand on se dit qu’on sort un album il se passe un truc. Ah si, peut-être que ce qui a changé c’est qu’il y a trois ans lorsqu’on avait 3 mots dans Libé on était trop chauds. Alors que maintenant c’est limite normal pour nous. Mais à part ça… »
Tenter de tenir une discussion avec le Villejuif Underground, c’est espérer d’attraper au vol des anges qui passent et des mouches qui pètent. Mélange de silences tenus et de métaphores filées sur des blagues de pets (et des « ça va la journalope ? » lâchés l’air de rien quand l’interlocuteur se présente à eux), le sentier sinueux que tentera de négocier le vaillant journaliste ne ressemblera absolument pas à une interview. Plutôt à quelque chose comme suit :
Antonio : J’écoute que Noir Boy George maintenant, j’écoute plus du tout de rap. Avant j’écoutais PNL, mais ça n’avait rien à voir avec un quelconque goût musical, c’était plutôt un problème mental.
Thomas : J’écoute uniquement le Plastic Ono Band.
Antonio : J’aime bien la house.
Adam : À Harlem je voyais toutes ces vieilles dames et tous ces handicapés qui écoutaient de la house, c’était trop beau, j’en ai même pleuré. Ils avaient pas de bras, pas de dents, pas de jambes, rien. Et ils étaient trop heureux.
Antonio : On devrait trop se mettre à la house en vrai.
Adam : Ouais c’est pour ça que j’ai décidé d’appeler mon prochain projet EDM, pour Eric Dupond-Moretti. Tu veux pas qu’on monte un label ?
Et c’est plutôt une bonne nouvelle : incapable de vendre sa musique convenablement (les mecs s’écharpent devant moi pour savoir s’ils aiment ou non leur nouveau disque – certains le détestent), le groupe donne l’impression d’avoir été posé là complètement par hasard, un ensemble disparate d’individus à qui on aurait donné des instruments, de l’alcool et une baraque au fond de banlieue, et qui aurait accouché accidentellement de morceaux tous aussi miraculeusement affriolants les uns que les autres. En premier lieu, « Le Villejuif Underground », épatant hymne de poche sorti il y a deux ans et hilarant compte rendu des déboires de Nathan pour obtenir un visa en France.
« On ne sait pas trop pourquoi ça marche, mais j’imagine qu’il y a un truc de déracinement auquel les gens s’attachent. On est tous des métèques ! [Rires] Antonio est mexicain et juif d’Algérie par sa mère, Adam est grec, et Nathan est australien et parle à peine français. Et puis on se connait depuis qu’on est gosses, j’imagine qu’il ya un truc qui fait un peu chaud au cœur pour les gens. »
Nathan, justement, ne pipe pas mot durant notre rencontre, s’exprimant plutôt par borborygmes et nous expliquant doctement (lorsqu’il daigne ouvrir des yeux désormais plus rouges que bleus) qu’il a pris des acides la veille et qu’il a passé la journée à picoler. Il symbolise parfaitement l’état d’esprit du Villejuif Underground : avec sa grande carcasse étalée tout du long et son air de ne pas y toucher, c’est le genre de slacker stakhanoviste qu’on ne voit pas venir parce que ses manières de branleur font écran à un talent éclatant. Il suffit d’écouter ses albums sortis en solo avant qu’il ne tienne les rênes de cette locomotive qui menace à tous moments d’imploser. Avec sa voix à la Kevin Ayers et ses paroles absurdes qui trahissent une certaine élégance dans le spleen et la nonchalance, c’est le genre de paradoxe qui habite également son groupe : toujours faux, toujours beau.
C’est une des raisons qui font qu’un groupe comme le Villejuif Undergroud est si précieux aujourd’hui. D’une sincérité totale et presque désarmante imprimée par un humour tellement foireux et de mauvais goût qu’il ferait fuir n’importe quel attaché de presse un tant soit peu censé, le groupe ne cherche jamais à botter en touche, ses haussements d’épaule faisant foi d’une croyance véritable en ce qu’ils font. Antonio : « On est des chevaliers du rock, j’y crois sincèrement à ce truc-là. Personne ne peut nous l’enlever. Avec des mecs comme Bryan’s Magic Tears ou Jessica93, on est comme une confrérie de chevaliers complètement tordus. »
Pour une raison qui échappe (comme souvent chez eux) à la raison, la conversation bifurque d’un seul coup vers Angèle, tandis que Nathan se retourne sur le canap’ et grommèle des trucs incompréhensibles. Antonio : « Je pense pas qu’Angèle dans sa tête se dise ‘ouais je fais de la grosse merde et je la vends à des enculés’. Elle sait juste bien s’y prendre, et si ça marche tant mieux pour elle. Mais nous on en serait incapables. » Et Adam d’ajouter doctement, un sourire faussement carnassier aux lèvres : « Ça veut dire quoi, l’indépendance ? Ben qu’à la fin du mois, tu manges pas [Rires]. Il n’y a aucune fierté pour nous d’être D.I.Y. J’adorerais être une Instagrammeuse. »
Le nouvel album du Villejuif Underground, When Will The Flies in Deauville Drop ?, sortira le 1er février sur Born Bad Records. Vous pouvez le précommander ici.
Le groupe jouera le 8 février à la Souris Verte à Épinal, puis le 9 février au Brise Glace à Annecy, en compagnie de Bryan’s Magic Tears.
Marc-Aurèle Baly est vaguement sur Twitter.