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L’édition génétique pourrait déclencher la prochaine guerre froide

Si le magazine Time a désigné Donald Trump “personnalité de l’année”, la deuxième place de ce prestigieux classement est revenue aux pionniers de l’édition de génome qui ont découvert CRISPR. Peu d’innovations offrent autant de perspectives que la capacité de modifier notre propre génome et de transformer fondamentalement ce que nous sommes. Certains experts vont même jusqu’à affirmer que l’édition du génome pourrait nous permettre de soigner toutes les maladies et d’accéder à la santé absolue pour tous.

Contrairement à d’autres avancées scientifiques majeures – comme l’explosion de la première bombe atomique au Nouveau-Mexique en 1945 – la technologie d’édition génétique n’a pas d’effets dangereux immédiats. Pourtant, elle promet de créer autant de dissensions au sein de l’humanité que 70 ans de prolifération nucléaire. D’un côté, il y a la Chine séculaire et ses scientifiques qui mènent la révolution génétique, modifiant ouvertement le génome dans l’espoir d’améliorer la race humaine. De l’autre, on trouve le gouvernement américain, qui sera bientôt dirigés par des conservateurs chrétiens qui affirment que l’Homme devrait demeurer tel que Dieu l’a créé.

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La technologie d’édition génétique n’a pas d’effets dangereux immédiats. Pourtant, elle promet de créer autant de dissensions au sein de l’humanité que 70 ans de prolifération nucléaire.

C’est dans cette opposition que germent les graines d’un grand conflit futur, qui se traduira à coup sûr par des manifestations de masse, des émeutes, et même une guerre civile – tout ce que je décris dans mon roman The Transhumanist Wager, dans lequel un gouvernement intégriste interdit des pans entiers de la recherche scientifique au nom du conservatisme. Géopolitiquement, c’est assez simple : si la Chine (ou un autre pays) décide d’accroître l’intelligence de ses enfants grâce à la manipulation génétique (ce qui sera possible d’ici 5 à 10 ans, selon mes estimations), et que les Etats-Unis décident de rester “naturels” pour respecter la volonté supposée de Dieu, un conflit majeur à l’échelle de l’espèce humaine éclatera rapidement. Si ce scénario vous paraît trop bizarre, pensez simplement à l’équipe d’athlétisme russe exclue des JO 2016 pour soupçons de dopage.

Il est tout à fait possible de de telles accusations et tentatives d’”exclusion” surviennent entre la Chine et les Etats-Unis à plus grande échelle – entre leurs travailleurs, leurs politiciens, leurs peuples, leurs artistes, leurs médias. Je me demande si les Etats-Unis – dont 70% des habitants se définissent comme chrétiens – accepteront de traiter avec des êtres qui se sont modifiés scientifiquement pour être plus intelligents et efficaces.

On imagine à peine quel impact cela aurait aussi sur le racisme et les politiques d’immigration. Les Etats-Unis fermeront-ils leurs frontières ? Interdiront-ils leur marché du travail et leurs écoles aux étrangers pour rester “purs”, humains “à l’ancienne” ? Cesseront-ils d’échanger, de nouer des liens, et même de fonder des familles avec des individus modifiés ?

Autrement dit, l’édition génétique déclenchera-t-elle une nouvelle guerre froide ? Une guerre de dénonciations et de remontrances, où des gens se feront traiter de mutants, de cyborgs et de transhumanistes. Imaginez le jeu Deus Ex, mais avec des individus modifiés récupérant tous les meilleurs jobs.

Si l’on sait ce qui peut arriver si les Etats-Unis rejettent la plus grande avancée scientifique du siècle, que peut-on faire pour l’éviter ?

Premièrement – et c’est un voeu pieux, puisque 100% du Congrès et de la Cour Suprême des Etats-Unis sont profondément religieux – nous pourrions accepter cette technologie et devenir meilleurs que les Chinois. C’est l’option que je défends. Oui, ça finira par nous amener à un stade où on ressemblera tous à des personnages de Star Wars et Star trek, mais après tout, on aime aussi ces films précisément parce qu’on espère un jour parvenir à ce niveau de développement scientifique. Et de toute façon, notre espèce devra bien évoluer à terme, pour peu que nous ne nous éteignions pas d’ici là au cours d’une guerre nucléaire ou d’une catastrophe environnementale.

Deuxième scénario possible : les Etats-Unis pourraient se concentrer davantage sur la technologie, et moins sur la biologie et la génétique. Au cours de ma récente tournée de 4 mois à travers le pays (à bord de mon Immortality Bus), j’ai découvert que les conservateurs étaient ouverts à l’idée d’utiliser des accessoires ou des casques susceptibles de les rendre plus intelligents, alors qu’ils n’accepteraient jamais de modifier leur cerveau, contrairement aux Chinois. Les Etats-Unis pourraient donc développer des technologies capables de compenser les modifications biologiques opérées par d’autres nations. Pour moi, ce serait un bon compromis si le premier scénario s’avérait impossible.

Une troisième voie – qui représente une sorte de cauchemar transhumaniste – consisterait à établir un traité de non-modification à l’échelle internationale, sur le modèle des Accords de Paris sur les changement climatique ou de l’interdiction des armes chimiques. Les plus grands pays du monde, sentant venir les problèmes liés à l’édition génétique, pourraient s’unir pour interdire les recherches dans ce domaine.

The front desk of BGI-Tianjin. BGI is one of the leading genetic research companies in China and the world, and is actively pursuing the genetic basis of human intelligence. Image: Wei ta – Imaginechina/Associated Press

Dans une certaine mesure, c’est déjà ce qui se passe, puisqu’à l’instant où le monde a réalisé que les Chinois avaient déjà mené des expériences sur le génome humain, certains ont appelé à cesser ces pratiques immédiatement. Cette réaction n’est pas sans rappeler celle de George W. Bush face aux cellules souches, quand ses convictions religieuses l’ont poussé à couper les financements de la recherche dans ce domaine aux Etats-Unis. On sait depuis que les cellules souches ont un rôle majeur à jouer dans le domaine de la médecine au cours des prochaines décennies, et ces années perdues ont potentiellement affecté des millions de vies.

Si la troisième option – un moratoire général ou partiel sur l’édition génétique – venait à triompher, elle nuirait certainement beaucoup à l’innovation. Ce qui est formidable avec l’édition génétique, c’est qu’on peut en faire des choses incroyables, comme potentiellement guérir le cancer, stopper le vieillissement, améliorer nos organes, et en finir avec le handicap. Sans aller jusqu’à nous rendre surhumains, nous pouvons tout simplement nous rendre plus résistants et mieux adaptés à notre planète, surtout à l’heure où son environnement se transforme.

Par ailleurs, je ne pense pas que la troisième option puisse fonctionner à long terme. Plus que jamais, la science est entre les mains des individus, qui peuvent se procurer d’incroyables kits de dépistage et d’analyse biologique sur eBay pour moins de 1000$ – ainsi que des ordinateurs parfaitement capables d’analyser de gros flux de données. Des citoyens-chercheurs pourraient tout simplement créer la technologie d’édition génétique eux-mêmes, et tout faire de leur côté – ce qui serait plus dangereux que si le gouvernement surveillait le processus.

Personnellement, je vote pour le premier scénario. Livrons-nous à une bonne vieille compétition scientifique avec la Chine, et faisons-le librement. Voyons quel pays est capable de proposer les meilleures améliorations à ces citoyens, et partageons ensuite ce que nous aurons créé de mieux pour faire en sorte que les peuples soient aussi égaux que possibles. Si nous nous fermons à ce genre de science radicale, nous pourrions nous retrouver pris dans un nouveau genre de guerre froide touchant au coeur de ce qu’est notre espèce, et nous risquons de sacrifier une nouvelle génération.

Zoltan Istvan est futuriste, auteur de The Transhumanist Wager, et il était le candidat du Parti Transhumaniste à l’élection présidentielle américaine de 2016. Il écrit régulièrement pour Motherboard, dans lesquels il imagine notre futur posthumain.