« Pendant mes règles, je ne fais rien parce que j’ai mal », résume Katia. Ses menstruations lui gâchent la vie. « Certains cycles, c’est l’enfer sur Terre. Je les appréhende. J’ai peur d’emmerder le monde », explique la jeune graphiste de 27 ans. Pendant des années, Katia a serré les dents, renoncé à une partie de sa vie sociale et souffert pendant ses relations sexuelles. À vingt ans, elle interroge un médecin qui lève les yeux au ciel. « C’est un truc qui s’appelle l’endométriose, mais je ne vais pas vous embêter avec ça », lâche le praticien dans un haussement d’épaules. Visiblement, la souffrance de Katia n’éveille pas son intérêt. Elle attendra six ans avant d’apprendre qu’elle est effectivement atteinte d’une endométriose.
Quand une femme a ses règles, l’endomètre, c’est-à-dire la muqueuse qui tapisse la cavité utérine, desquame. En clair : l’utérus se contracte et le sang est chassé à travers le col de l’utérus dans le vagin. Un petit peu de ce sang passe dans les trompes et arrive dans le ventre. C’est un phénomène fréquent qui s’observe chez 90 % des femmes. Chez celles qui sont atteintes d’endométriose, ces cellules ne sont pas détruites par l’organisme et vont s’implanter sur les organes voisins. Elle subissent ensuite tous les mois les mêmes stimulations que l’endomètre. « On ne sait pas très bien pourquoi » , reconnaît le Professeur Chapron de l’hôpital Cochin à Paris, l’une des références sur la question. Au téléphone, le médecin se montre concis, on ressent dans sa voix une pointe de déception.
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Combien de femmes souffrent d’endométriose ? Les associations de patientes brandissent des chiffres. « Ce sont des estimations. En réalité, on n’en sait rien et de façon générale on a peu d’études », nous prévient Marina Kvaskoff, épidémiologiste à l’Inserm. Une seule étude menée entre 2007 et 2009 aux États-Unis permet d’estimer la prévalence de l’endométriose dans la population générale. D’après cette étude, 11 % des femmes auraient une endométriose non diagnostiquée. « Comme on ne détecte pas forcément bien toutes les lésions par IRM, c’est très certainement sous-estimé », commente Marine Kvaskoff.
« C’est depuis toujours. Les douleurs sont là depuis mes premières règles. C’était quelque chose de normal pour moi » – Carine
Ce que l’on connaît mieux, ce sont les conséquences de l’endométriose. En proliférant et en saignant, les cellules de l’endomètre qui colonisent les organes des malades sont à l’origine de kystes et de nodules sur les zones concernées. L’appareil digestif ainsi que la vessie sont le plus souvent touchés en premiers lieux par l’endométriose. Pour les femmes qui en souffrent, les douleurs chroniques qui accompagnent les cycles menstruels deviennent insupportables.
« C’est depuis toujours. Les douleurs sont là depuis mes premières règles. C’était quelque chose de normal pour moi », se souvient Carine*, une infirmière de 42 ans. Alors qu’elle touche plusieurs millions de femmes, l’endométriose reste taboue. Dans une société dirigée par les hommes, on admet comme normal qu’une femme souffre le martyre pendant ses règles. Les médecins prennent rarement au sérieux la douleur féminine et celles qui s’en plaignent sont accusées de se montrer trop douillettes. « On m’a beaucoup dit que c’était dans ma tête et que la douleur n’était pas réelle. Que les règles abondantes n’étaient pas un problème… », raconte Lucile, 32 ans . « On m’a mis sous pilule à 16 ans parce que je ratais les cours. J’avais mes règles toutes les trois semaines et ça durait une semaine », poursuit-elle.
Lucile n’est pourtant pas un cas isolé. « Il y a un manque d’écoute des patientes, confirme Marina Kvaskoff. Si on n’est pas du tout à l’écoute des symptômes en pensant que les douleurs de règle ce n’est pas grave, que c’est normal, le diagnostic ne peut pas être posé ». Marina Kvaskoff et le professeur Chapron s’accordent pour dire que de petites douleurs pendant les règles qui passent facilement avec un anti-inflammatoire sont un phénomène courant. Une douleur qui aurait un impact sur la qualité de vie quotidienne des femmes n’a en revanche rien de normal. « L’entourage banalise aussi ces symptômes », déplore Marina Kvaskoff.
« La maladie n’est pas facile à détecter. Il faut une formation particulière notamment en radiologie. Tous les médecins et les radiologues ne sont pas armés pour faire ce diagnostic » – Marina Kvaskoff
Alors que Lucile présentait tous les symptômes qui auraient permis de diagnostiquer l’endométriose, personne n’a jugé bon de s’interroger. « Vous êtes jolie et on ne peut pas tout avoir », lui lâchera même un gynécologue qu’elle questionnait sur ses douleurs pendant les rapports sexuels. Lucile restera longtemps persuadée d’être confrontée à un problème psychosomatique avant d’être diagnostiquée à 28 ans. « Je peux vous dire que quand j’ai su que j’avais quelque chose, ça m’a fait du bien qu’il y ait des mots à mettre dessus », confie-t-elle.
Carine a dû s’accrocher pour être diagnostiquée. Elle a 38 ans en 2014, quand une douleur atroce l’empêche de bouger. Elle consulte son médecin traitant, puis les urgences gynécologiques. « Le diagnostic était loin d’être posé. J’avais un kyste énorme sur l’ovaire droit, à gauche ce n’était pas chouette non plus. Après ça a été un combat. J’ai dû consulter par moi-même ». De sa propre initiative, elle multiplie les examens qui la conduisent à découvrir son endométriose. « La maladie n’est pas facile à détecter. Il faut une formation particulière notamment en radiologie. Tous les médecins et les radiologues ne sont pas armés pour faire ce diagnostic », explique Marina Kvaskoff. De son côté, Katia a dû se documenter par elle même pour se forger une conviction et arracher le diagnostic aux médecins.
Le gynécologue que Katia décide de consulter est une vraie pointure sur l’endométriose. L’homme ne prend pas de gants. Il évoque brièvement la pilule contraceptive avant de préconiser une solution chirurgicale. « C’est 8 heures sur le billard et deux semaines d’arrêt de travail. On vous enlève un bout d’intestin et un bout de vagin », lui balance le grand professeur sans autre forme d’explication. Il joint le geste à la parole et mime une règle avec ses doigts. Désarmée face à la désinvolture du médecin, la jeune femme n’en est pas moins atterrée. « Moi ce que je comprends, c’est qu’on va me découper comme un saucisson et me mettre une poche à caca qu’on ne pourra peut-être pas m’enlever », observe-t-elle. Peu encline à servir de cobaye au clinicien, Katia change d’hôpital. Elle se fait prescrire une pilule par un praticien plus mesuré. Objectif : tenter d’arrêter la maladie avant d’envisager une opération.
Si elle est diagnostiquée à temps, l’endométriose peut être contenue et les douleurs stoppées. Zoé*, la fille de Carine a quinze ans et étudie en seconde pro. Footballeuse et plutôt casse-cou, elle n’est pas du genre à se plaindre. Depuis un an, sa mère a dû la récupérer tous les deux mois au collège, tordue de douleur. L’échographie vaginale n’est pas possible pour Zoé qui n’a jamais eu de rapports sexuels et devra se contenter d’antidouleurs légers. Quand les symptômes s’aggravent, Carine décide de prendre les choses en main. Il y a un an d’attente pour se faire diagnostiquer par un spécialiste de l’hôpital Saint-Joseph. Carine se tourne vers le privé pour obtenir une première consultation gynécologique et un IRM dans des délais raisonnables. Le diagnostic tombe comme un couperet. Zoé a un début d’endométriose.
Deux jours après son IRM, nous rencontrons Zoé devant un bol de céréales à Châtenay-Malabry dans les Hauts-de-Seine. L’air poupon, la jeune adolescente tente de prendre la mesure de ce qui l’attend. Elle interroge sa mère : « Ça veut dire que toute ma vie ce sera la pilule ? » Zoé attend un rendez-vous chez une gynécologue spécialisée pour lui trouver une pilule adaptée qu’elle prendra en continu pour le reste de son existence. « Tu pourras faire des pauses », s’efforce de la rassurer Carine. « Vu comment j’ai mal, je ne pense pas », rétorque l’ado.
Les mentalités évoluent lentement. Le quotidien de Zoé devenait très compliqué. « À l’école, quand je dis que j’ai mal, on me répond que j’abuse. Les profs ne me laissent pas sortir pour aller à l’infirmerie ». Récemment, elle a refusé d’aller en sortie parce qu’il n’y avait pas de toilettes. Les professeurs ne l’ont pas prise au sérieux : « Ils m’ont dit que si je ne voulais pas participer je n’avais qu’à porter le matériel. Ils m’ont parlé comme à une chienne. Comme si c’était de ma faute si j’avais mal ».
Le diagnostic va permettre à la jeune fille d’expliquer sa situation. « J’ai pas honte moi ! », clame Zoé. « J’en ai parlé à mes potes. Je dis clairement que si j’ai tout le temps mal au ventre c’est parce que je suis malade ». Quand nous la rencontrons, Lucile appuie les propos de Zoé : « Ce n’est pas parce que ça touche à l’intimité que l’on ne doit pas en parler ou être gêné. C’est parce que l’on en parle pas assez qu’il y a ces errances de diagnostics ».
* Certains prénoms ont été modifiés
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