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L’entre-deux de James Harden : la star des Rockets à l’approche d’une nouvelle saison

En ce week-end d’août, James Harden prend des poses pour un photographe au dernier étage de l’Institut du monde arabe. L’étage et la terrasse de l’institut culturel du 5e arrondissement de Paris ont été privatisés pendant deux jours par son sponsor Adidas. La marque aux trois bandes ramène régulièrement des superstars NBA dans la capitale : en 2013, c’était Derrick Rose, l’an dernier Damian Lillard. Cette année, c’est la barbe la plus célèbre de NBA qui vient promouvoir son “Project Harden”, préambule à la sortie de la sneaker mise au point par l’arrière des Rockets. En bas de l’immeuble, ce sont des dizaines de jeunes fans de NBA qui font le pied de grue. Certains pensent pouvoir décrocher des selfies avec The Beard en prenant l’ascenseur, avant de se faire gentiment rabrouer par le service de sécurité : l’événement est réservé à la presse.

Que ce soit avec son air blasé, les yeux mi-clos ou quand son visage s’allume pour la séance photo, James Harden a toujours l’air sorti tout droit d’un cartoon. Cela a bien évidemment à voir avec sa barbe, sa marque déposée qui lui assure d’avance un second rôle au casting d’un éventuel Space Jam 2. Harden en personne, c’est aussi un chill en toutes circonstances parfois traversé de mimiques de mec un peu chelou. Soit un bon client pour l’exercice promotionnel.

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C’est aussi une traduction de son comportement sur un parquet. Harden est la régularité même au niveau individuel, traversant les saisons en augmentant à chaque fois ses stats, avec son jeu agressif et vicieux, un jeu bizarre surtout basé sur sa capacité à provoquer des fautes. « C’est un boxeur, disait de lui Jason Terry, son désormais ex-coéquipier, à Sports Illustrated. Il vous fait perdre l’équilibre, vous pousse à l’erreur et en profite. » L’arrière des Rockets a ciselé son jeu au fil des années pour le rendre d’une efficacité presque cynique : après sa saison rookie, il est devenu maître de l’Euro Step en un été, a modelé son step back jumper sur celui de Paul Pierce.

« C’est en regardant Manu Ginobili ou Dwyane Wade que j’ai appris à utiliser l’Euro Step, raconte-t-il à la vingtaine de journalistes présents pour cette conférence de presse Adidas. Il faut toujours trouver de nouveaux moves en NBA. C’est la meilleure ligue du monde, donc c’est indispensable de constamment travailler sur son jeu. » Travailler comme un artisan de l’attaque, en scoreur obsédé qu’il est. Car en défense, c’est une autre affaire.

James Harden lors du premier tour des play-offs NBA en avril 2016 face aux Golden State Warriors. Crédit : Reuters.

Le travail défensif d’Harden, c’est le reproche facile que lui font systématiquement ses détracteurs. A chaque fois que le nom de James Harden est prononcé dans le monde, il y aura toujours quelqu’un pour parler de ses errements défensifs.

Le monde entier lui rabâchant cela à longueur de journées, Harden sait bien qu’il sera attendu la saison prochaine de ce côté-là du terrain. Après un exercice décevant, criblé de blessures et de mésententes, Houston doit faire mieux que sa 8e place de la conférence ouest. Pour cela, Daryl Morey, le GM des Rockets, a fait venir Mike D’Antoni, coach expérimenté sans club depuis son piteux passage aux Lakers, mais surtout connu pour ses flamboyants Suns du milieu des années 2000. Avec lui sont arrivés Eric Gordon et Ryan Anderson qui auront à tenir les rôles de bons lieutenants auprès du franchise player qu’est James Harden. Lui a resigné une extension de contrat de 4 ans et 118 millions de dollars. Plutôt que d’aller dans le sens des superteams type Golden State, Houston a choisi d’être rationnel et de servir au mieux sa star.

Pour être à la hauteur le 25 octobre prochain, date de reprise de la NBA, Harden a donc fait l’impasse sur les JO. A la place, il a fréquenté les parquets de la Drew League, compétition mêlant pros et amateurs qui a lieu tous les étés dans le quartier de South Central à Los Angeles. C’est là-bas que The Beard a fait ses classes, avant, et après avoir été drafté en NBA. Il y a affronté Kobe Bryant en 2011, dans un match qui est resté dans la légende du tournoi. C’est une compétition où on ne lui fera pas de cadeaux. Cette année, il s’y est embrouillé avec un spectateur qui lui reprochait ses floppings. On a aussi pu voir qu’il soignait peut-être un peu trop sa défense, empêchant par erreur (ou pour déconner ?) un de ses coéquipiers de shooter sur une attaque.

« Je me fiche d’avoir des choses à prouver parce que j’ai grandi comme ça, racontait-il au magazine Slam en janvier dernier. Pour moi, c’est juste aller sur le terrain, et faire ce que j’ai à faire. C’est comme ça que j’ai été élevé. C’est une des raisons pour lesquelles je joue toujours en Drew League, même si c’est ma septième année en NBA. Parce que je n’oublierai jamais d’où je viens et comment j’ai appris à jouer au basket. Je devais toujours me battre, pour garder ce que j’avais ou pour aller chercher ce que je voulais. »

James Harden n’a rien à prouver et cela se voit sur le terrain de streetball de Glacière, sous le métro aérien, en ce dimanche matin. Adidas a réuni quelques jeunes joueurs pour une séance photo avec l’arrière des Rockets, et celui-ci leur plante quelques paniers sans trop se fatiguer. Un step-back en tête de raquette vaut même à un des gamins de se retrouver dans le vent, ayant à peine le temps de relever la tête pour voir le ballon rentrer dans l’arceau. Cinq minutes plus tard, Harden remet sa capuche et quitte les lieux sous les yeux d’une bonne dizaine de personnes.

Ensuite, direction la passerelle Simone-de-Beauvoir. Là, il pose encore cinq minutes devant un panorama de carte postale. Des passants observent l’attroupement en demandant des précisions sur ce supposément très célèbre “James Ardennes”.

L’après-midi, retour à l’Institut du monde arabe : il est juge d’un tournoi de un-contre-un entre des espoirs du basket français. Un tournoi relevé où ça chambre pas mal, surtout quand le freestyler Séan Garnier débarque pour mettre des petits ponts aux jeunes basketteurs. Judicaël, 19 ans et de légers airs de Scottie Pippen a été éliminé dès son premier un-contre-un, mais se sent tout de même privilégié de pouvoir démontrer ses qualités sous les yeux d’un joueur NBA. « En plus, j’ai son maillot ». Louis Rucklin, espoir de la SIG Strasbourg et des équipes de France de jeunes, voit en lui un exemple : « En temps qu’arrière, c’est une référence. Même si je suis plus fan de Lillard et Westbrook vu que je suis meneur, je m’inspire d’Harden pour sa force en un-contre-un avec sa capacité à provoquer des fautes notamment. » Le vainqueur du tournoi, l’espoir de Nanterre Maxence Dadiet, n’aura pas la chance de défier The Beard mais repartira tout de même avec un maillot des Rockets et la promesse d’un voyage à Houston.

C’est la deuxième fois qu’Harden vient à Paris, si l’on en croit son interview sur Facebook Live pour L’Equipe. De la ville, il n’en profitera que superficiellement, histoire de s’en « inspirer » dans l’élaboration de ses prochaines collaborations avec Adidas. La France n’est qu’une courte étape dans son été. Il en profitera pour chanter les louanges de Tony Parker, « une légende qui a tellement donné, pas seulement pour la France, mais aussi pour la NBA ».

Le vendredi, il avait rencontré une autre superstar française, Paul Pogba, à l’issue de son premier match sous le maillot de Manchester United. Une rencontre entre les deux stars Adidas qui a donné lieu à des tirs croisés de tweets et posts Instagram. « C’est un de mes gars, dira-t-il le lendemain à l’Institut du monde arabe. Voir Pogba, Zlatan, le public d’Old Trafford… C’était une super expérience pour moi. » L’homme s’y connaît plutôt bien en football, résultat de plusieurs heures par semaine à jouer compulsivement à FIFA. C’est ce qu’il fera d’ailleurs quelques minutes après sa conférence de presse en défiant son ex-coéquipier de lycée Greg Howell, membre de l’entourage qui le suit partout. Il prend la Juve (sans mise à jour, Pogba y est toujours), son pote le Borussia Dortmund.

C’est avec Howell et ses autre potes d’enfance de Compton qu’il passe le plus clair de son temps libre. ESPN révélait ainsi dans un long portrait à quel point Harden avait gardé sa singularité en restant attaché à ses amis de lycée, cultivant par exemple entre eux un argot incompréhensible pour tous les gens extérieurs à leur crew. C’est aussi avec eux que l’arrière hirsute a mis au point sa fameuse célébration de cuistot “stir the pot” : « C’est un geste qui est venu comme ça, en faisant des matches de streetball dans les parcs avec mes potes. » Un geste qui participe pour beaucoup aussi à sa notoriété : décrivez à un profane de NBA “le basketteur avec la barbe et la célébration de cuisinier”, et il verra immédiatement de qui vous parlez.

Pas étonnant alors qu’Adidas lui ait fait signer un contrat à 200 millions de dollars sur 13 ans l’an dernier pour le débaucher de chez Nike. A l’époque, Harden sortait de sa meilleure saison en termes d’impact sur la Ligue : une place en finale de conférence, perdue contre les Warriors, et un titre de MVP décerné par l’Association des joueurs. Il terminera deuxième au classement de MVP décerné par la NBA, assez loin derrière Stephen Curry.

James Harden en décembre 2014. Crédit : Reuters.

Alors autant dire que la piètre saison des Rockets qui vient de s’achever a déçu pas mal de monde, Harden pour commencer. Lui a beau avoir amélioré ses stats dans tous les domaines, il a aussi trop joué en soliste pour espérer mieux qu’un premier tour de play-offs. Pour preuve : avec pourtant une moyenne à 29 points par match, il ne fait partie d’aucune All NBA team. Alors pour se préparer pour la saison prochaine, il a déjà réuni ses coéquipiers pour des entraînements de “pré-pré-saison”. Cela se fait dans toutes les franchises, mais il n’est pas si courant que l’initiative vienne de la star de l’équipe. « James fait tout, a ainsi déclaré son coéquipier Corey Brewer à NBC. Il montre qu’il veut être le leader. C’est le franchise player. Il a signé la prolongation. Donc c’est son équipe, et il fait tout ce qu’il faut pour qu’on ait une chance de gagner des titres. »

« On va étonner beaucoup de monde cette saison, à commencer par moi ». Les yeux mi-clos se font plus perçants quand il parle de ses espoirs pour la saison à venir. Exercice d’auto-persuasion ou confiance inébranlable de sportif chevronné, on est entre les deux. Il parle de « rester concentré tout au long de la saison », mais son ultime objectif personnel reste le même : devenir membre du club des 50-40-90 comme il le confiait à ESPN, soit 50% de réussite à deux points, 40% à trois points et 90% aux lancers sur une saison. Six joueurs NBA l’ont déjà réussi par le passé.

Après avoir loué les progrès de son jeune coéquipier Clint Capela, qu’il pense capable de remplacer sans problèmes Dwight Howard (« Il est incroyable, c’est en train de devenir un homme »), Harden annonce sans ciller : « On va aller chercher le titre. On va montrer aux gens qu’ils ont tort. »

Un objectif qui peut faire sourire, mais à quoi servirait d’attaquer une saison NBA sans croire que la bague est à portée de doigt ? Dans tous les cas, James Harden n’en a que faire des critiques, qui se font pourtant de plus en plus pressantes au fil des mois. Il a une formule toute faite pour cela, mais qui correspond bien à sa mentalité de joueur imperméable aux regards extérieurs : « Si vous n’avez pas de haters, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas. » James Harden en a beaucoup, c’est que ça doit plutôt bien marcher pour lui.