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Les 20 albums des Oh Sees sont tous tarés et différents, voilà par où commencer

Les Oh Sees, c’est le genre de groupe qui, de loin, donne l’impression d’être insaisissable. Il répond à tous les critères du groupe compliqué, que ce soit aussi bien pour les auditeurs de passage que pour les fans hardcore. Ils ont la fâcheuse tendance de changer de nom régulièrement, souvent pour marquer une évolution musicale, mais pas toujours. Et même dans ce deuxième cas, leurs albums sont souvent des mélanges de sonorités extrêmes et diverses, des patchworks sonores composés de garage rock, de punk, de psych, de sons progressifs, de folk ou encore de pop, assemblés comme bon leur semble. Ils sont remarquablement productifs, puisqu’ils ont sorti 20 albums depuis 2003, et le 21e est sorti le 17 août dernier. Mais si l’on se rapproche de cette entité et que l’on accepte l’idée que les Oh Sees ne sont pas un groupe comme on l’entend habituellement, alors les pièces du puzzle s’assemblent et prennent sens.

Formé en 1997 par John Dwyer, guitariste, chanteur et unique membre présent depuis les débuts, le groupe a débuté sous le nom de Orinoka Crash Suite, un nom de plume sous lequel Dwyer sortait ses premiers travaux en solo. S’il n’a publié que quelques morceaux apparus sur des compilations, en 2003, Dwyer changeait de nom pour se faire appeler OCS, un nom qu’il utiliserait pour rendre publics des enregistrements de musique expérimentale faits maison. Les groupes principaux de Dwyer étant Coachwhips et Pink and Brown (un groupe qui ressemble pas mal à The Locust), il était donc facile de voir OCS comme un projet secondaire. Les premières publications du groupe correspondent à l’émergence de la scène freak-folk, mais la matière restait un peu faible. Et ce n’est que lorsque ses principaux projets ont splitté que les Oh Sees ont vraiment commencé les choses sérieuses. En recrutant Brigid Dawson au micro et clavier, et Petey Dammit à la guitare et à la basse, Dwyer avait trouvé des collaborateurs qui savaient tirer le meilleur de lui, et qui allaient faire office de faire-valoir indispensables au fil des années.

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C’est là qu’ils ont commencé à tourner sous le nom de Oh Sees, en collant un The ou Thee juste devant, ou en rassemblant parfois tous les mots en un seul. Ce changement s’est produit au moment où le son du groupe commençait à prendre une direction musicale plus définie. Même s’ils étaient souvent mis dans le même sac que d’autres groupes lo-fi ou garage, il émanait d’eux une frénésie et une envie de changer les choses qui les démarquaient. Encore aujourd’hui, l’enthousiasme qui les pousse à sortir du cadre et à modifier constamment leur approche fait qu’ils continuent d’imposer leur rythme au lieu de se contenter d’une routine toute tracée.

Alors, comment décrypte-t-on un groupe qui a sorti des disques si différents et en changeant de nom plusieurs fois ? En ce qui concerne les Oh Sees, avec une telle richesse de contenu, il vaut mieux accepter leur versatilité et la prendre comme elle vient. Certaines époques ont été plus fructueuses que d’autres – bien qu’ils ne soient jamais restés sur une même lancée très longtemps au cours des 5 dernières années – mais chacune a apporté des briques essentielles à la construction de ce qui allait suivre. Il est tout à fait possible que Dwyer ait déjà 2 ou 3 autres albums dans sa manche, des disques qui imprimeront une nouvelle direction et rendront cette liste caduque en moins de 2, et c’est ce qui nous plaît des Oh Sees. Mais à vrai dire, on n’en sait rien. De toute façon, avec ou sans nous, ils continueront de se foutre des conventions. Ce qui en fait le groupe idéal de tous les weirdos qui écoutent encore du rock.

Les Oh Sees sont des Dieux du Rock

Si les Oh Sees ont commencé comme un groupe de lo-fi, freak-folk expérimental, ce n’est pas la porte d’entrée idéale pour les aborder. Prenons plutôt des chansons avec des bons gros riffs, qui lorgnent vers le punk, le metal et tout ce qui peut être aspiré dans le cyclone. Le groupe a commencé à flirter avec ces sons en 2010 avec la sortie de Warm Slime, mais ils ont vraiment pris forme en 2013 avec l’album Floating Coffin, l’un des préférés des fans, et une excellente porte d’entrée tout à fait autonome sur la carrière du groupe. Mais pour avoir un aperçu de ce qu’ils ont fait pendant la meilleure partie de la décennie, les deux premiers morceaux sont une excellente rampe de lancement vers l’époque moderne des Oh Sees.

Les morceaux « I Come from the Mountain » et « Toe Cutter – Thumb Buster » font partie de ce que le groupe a fait de mieux. Le genre de morceaux qui montrent la personnalité unique du groupe, tout en ayant une structure rock très basique. Le premier est un joyeux chaos de power chords et de mélodies vocales psyché 60’s, qui débute sur un solo de guitare éblouissant qui fait direct office de hook. De l’autre côté, « Toe Cutter – Thumb Buster » emprunte le même genre de riffs qu’on trouve sur les premiers disques de heavy metal, et les replace dans un contexte moderne, passant d’une compo triste à un groove décontracté, un peu comme si Can et Blue Cheer avaient décidé de bosser ensemble. Dwyer contorsionne sa voix de toutes les manières possibles, et Dammit livre une performance frénétique qui envoie la chanson vers le chaos pour finir par tout remettre à sa place.

À partir de Floating Coffin, Dwyer est devenu moins timoré quant à ses envies de rock total. Mutilator Defeated At Last, sorti en 2015, propose un mélange entre sa fascination pour les disques de classique psyché et son bagage punk, lui permettant de tordre ses influences dans tous les sens de manière captivante. « Withered Hand » en est un exemple parfait. Un morceau hardcore sur un tempo moyen qui correspond parfaitement à la voix sauvage de Dwyer. Bien qu’il ait toujours aimé changer de style de chant d’un disque à l’autre – et parfois d’un morceau à l’autre –, ici Dwyer nous montre ce qu’il a dans le ventre en réservant ses falsettos les plus aigus et en visant directement la jugulaire.

Ces albums préparent l’arrivée de A Weird Exits, sorti en 2016, et de Orc, en 2017, qui ont vu le nouveau duo de batteurs du groupe nous offrir leurs compos qui tabassent le plus. Des morceaux comme « Gelatinous Cube » et « Static God » montrent que le groupe est devenu plus ambitieux, mais aussi plus apte à repousser ses limites pour écrire des morceaux qui s’émancipent totalement de sa thèse originale. Et cela se voit encore aujourd’hui avec un morceau comme « Overthrown » qui évoque ce qui aurait pu voir le jour si Judas Priest s’était calmé sur l’acide en écrivant Screaming for Vengeance.

Playlist: “Toe Cutter – Thumb Buster” / “Withered Hand” / “I Come From the Mountain” / “The Dream” / “Overthrown” / “The Static God” / “Animated Violence” / “Ticklish Warrior” / “Gelatinous Cube”

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Les Oh Sees sont des weirdos freak-folk et expérimentaux

De l’autre côté du spectre, on retrouve de la musique essentiellement sortie sous le nom OCS. Ce nom a été utilisé pour sortir 4 albums entre 2003 et 2005, mais il a été ressuscité en 2017 pour Memory of a Cut Off Head, et un album live juste après. Une grande partie des premiers travaux relève de la période quasi folk du groupe, vraiment très lo-fi, où Dwyer travaillait très souvent seul, à quelques rares exceptions près. La majorité de ces productions ne marqueront pas l’histoire, et ressemblent à des morceaux que Dwyer aurait enregistrés dans sa chambre, en prenant soin de capter le moindre embryon d’idée qui pouvait germer dans son cerveau. Mais il y a quand même quelques perles.

Si les meilleurs morceaux de cette période sont sur Thee Hounds of Foggy Notion, un disque capté en live alors que Dwyer jouait avec un vrai groupe, la crème de la production de OCS est sans aucun doute Memory of a Cut Off Head. C’est la version la plus aboutie du son de OCS, l’occasion pour Brigid Dawson de jouer un rôle plus important dans la conception même du disque. Le résultat est un album très ancré dans cette période expérimentale du groupe, mais à la production pour une fois travaillée, et qui donne aux chansons une espèce d’ornementation tout à fait riche en se payant même le luxe d’intégrer un trio de cordes. « Memory of a Cut Off Head » et « The Fool » montrent à quel point Dwyer et Dawson ont pu former un binôme surpuissant, et mettent en lumière le fait que, si des morceaux comme « If I Had a Reason » et « So I Guess We Can’t Hang Out » possèdent un certain charme, le groupe est bien meilleur lorsqu’il n’est pas juste à la recherche du pas de côté.

Playlist: “So I Guess We Can’t Hang Out” / “If I Had a Reason” / “I Need Seed” / “The Fool” / “Memory of a Cut Off Head” / “Holy Smoke” / “The Whipping Continues” / “AA Warm Breeze” / “Sucks Blood”

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Les Oh Sees sont un groupe de pop psyché

La première fois que Dwyer a changé le nom de OCS en Oh Sees, le changement n’était que peu marqué. L’album Sucks Blood de 2007 serait le premier à montrer des signes d’une évolution du groupe ; au cours des années suivantes, Dwyer allait explorer différentes manières de rassembler garage, psych et pop dans un même tonneau. C’est avec Castlemania et Drop qu’il y parviendra. Chacun de ces disques traduit le talent naturel de Dwyer pour écrire de la musique pop et son désir de la distordre sans limite jusqu’à ce qu’elle puisse rentrer dans ses prérogatives.

Des morceaux comme « Camera (Queer Sound) » et « The Lens » ont clairement un pied dans la pop et en adoptent les conventions, mais leur empreinte de classic rock déviant et brumeux fait qu’ils ne succombent jamais à la nostalgie pure. D’autres comme « Candy Clock » et « Minotaur » tendent souvent vers le pastiche, et dévoilent des influences plus heavy qu’à l’accoutumée, tout en restant du bon côté de la barrière, jamais revivaliste ni conservateur. En substance, ces morceaux sont les plus poppy des Oh Sees, même s’ils tirent plus vers The Fugs que vers les Beatles.

Playlist: “Camera (Queer Sound)” / “Candy Clock” / “The Lens” / “Minotaur” / “Sticky Hulks” / “At The End” / “Palace Doctor” / “Hang a Picture” / “Goodnight Baby” / “Put Some Reverb on My Brother”

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Les Oh Sees sont un monstre hybride prog et kraut

À peu près à la même époque où Dwyer est devenu bien moins réfractaire à l’idée de faire des Oh Sees un groupe de rock à proprement parler, il a également commencé à se sentir plus à son aise pour explorer son amour du rock progressif et du krautrock. Sur les albums A Weird Exits et An Odd Entrances, qui forment une espèce de diptyque, Dwyers emmène son groupe vers des territoires plus étendus, déviants et nerdy. Le premier indice trahissant ce déplacement remonte à la sortie de Quadrospazzed ’09, avec le morceau éponyme qui s’étendait sur une face entière du disque. Sur A Weird Exits et An Odd Entrances, de même que sur Orc ou Smote Reverser, le groupe a décidé de pousser ses inclinations psyché naturelles jusqu’à ses derniers retranchements.

En écoutant un morceau comme « Encrypted Bounce » ou « Nervous Tech (Nah John) », il est aisé de constater comment le groupe est devenu une espèce de mémoire vivante de l’histoire du rock. À n’importe quel moment, Dwyer peut embarquer avec lui ses comparses dans tel ou tel style en un simple claquement de doigts, et cela se manifeste dans des chansons qui, comme leur face la plus punk et les plus rapide, est à son meilleur sur leurs derniers albums. Ceci est dû en grande partie à un line-up capable de pousser le répertoire aussi loin que possible. Le bassiste Tim Hellman forme l’ossature de ces morceaux tentaculaires, et Dan Rican et Paul Quattrone offrent des parties de batterie mémorables, chacun remplissant les vides et le complétant sans jamais aucun contretemps. L’album Orc et le Dead Medic EP de l’an dernier étaient de parfaites démonstration de l’unité du groupe, alors qu’il s’agrandissait et devenait un peu étrange, empruntant es sonorités à des groupes comme Neu! et Yes sans pour autant se mettre à péter plus haut que son cul.

Playlist: “Encrypted Bounce” / “C” / “Jammed Exit” / “Jammed Entrance” / “Nervous Tech (Nah John)” / “Warm Slime” / “Keys to the Castle” / “Plastic Plant”

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Les Oh Sees en live

Si les Oh Sees sont un groupe de grande qualité sur disque, ils sont absolument incroyables en concert. Ils ont fort heureusement sorti pas mal de captations live, et étonnamment, chacune d’elles sonne indispensable. Thee Hounds of Foggy Notion capturait leur première période sous son meilleur jour, et les deux derniers lives, tous deux intitulés Live In San Francisco, sont tout sauf mauvais ou quelconques. Le premier met en lumière les plus gros morceaux de rock du groupe ainsi que ceux, plus longs, qui peuvent parfois ressembler à des jam-sessions. Ainsi, ils se permettent parfois d’augmenter la vitesse, notamment sur « The Dream », ou de rallonger le morceau « Contraption » pour en faire une tuerie de 15 minutes. Le second Live In SF est un condensé de lives de OCS dans lesquels ils jouaient principalement des morceaux de Memory of a Cut Off Head.

Ces albums live permettent de comprendre très facilement la manière dont les Oh Sees mélangent et fusionnent leurs divers intérêts. Si l’on s’attache à disséquer leur discographie, il peut paraître assez réducteur de la compartimenter, d’autant que le groupe ne s’est jamais enfermé dans tel ou tel genre sur tout un album. Mais les Live In San Francisco permettent, l’un comme l’autre, de voir comment tout peut coexister en harmonie, et il est conseillé de les écouter en entier. En leur cœur, les Oh Sees sont conçus pour n’être exactement que ce que Dwyer veut qu’ils soient. Mais pas de manière dictatoriale : leurs morceaux sont joyeusement communicatifs et offrent un terrain de jeu à chacun, tout en se laissant le loisir de changer de forme au gré de leurs envies.

Thee Oh Sees jouera ce soir à la Cigale à Paris, dans le cadre du Paris International Festival of Psychedelic Music. Toutes les infos sont disponibles ici.
Leur dernier album, Smote Reverser, est sorti le 17 août dernier sur Castle Face Records.

Cet article a d’abord été publié sur Noisey US.

David Anthony est sur Noisey.