Drogue

Les Alcooliques Anonymes peuvent compter sur Zoom

Lege stoelen tegen de wand

« Bonjour, je m’appelle Lara et je suis alcoolique. » Une soixantaine de personnes du monde entier participe à ces sessions Zoom des Alcooliques Anonymes (AA). Lara se présente de cette façon trois fois par semaine depuis neuf ans, mais d’habitude, son public est assis en cercle autour d’elle à Berlin. Aujourd’hui, elle fait face à des visages miniatures sur l’écran de son téléphone.

Les réunions des AA sont centrées sur la dépendance à l’alcool. Les membres partagent leurs expériences de vie et leurs espoirs pour l’avenir. Mais en ce moment, un seul sujet monopolise la conversation : le coronavirus et ses effets, qui comprennent l’isolement.

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Pour eux, l’une des conséquences les plus importantes de la pandémie est l’interdiction des rencontres physiques. Le face-à-face est un élément fondamental des AA. Depuis, à Berlin et dans d’autres villes allemandes, de nombreuses réunions sont organisées chaque jour en ligne dans différentes langues.

« L’alcool a un effet anxiolytique. Et nombreux sont ceux qui utilisent actuellement l’alcool pour s’automédicamenter contre l’anxiété » – Ulrike Schneider-Schmid, psychologue

Les Alcooliques Anonymes ont été fondés en 1935 par un courtier en bourse et un chirurgien américains en tant que programme d’assistance dans les hôpitaux américains. Devenu un phénomène mondial, le réseau estime avoir deux millions de membres dans 180 pays. Selon l’organisation, vous devenez membre des AA « quand vous le dites », et bien qu’ils recommandent aux membres d’assister aux réunions régulières, la participation n’est pas surveillée, conformément à la promesse d’anonymat.

Les Alcooliques Anonymes sont omniprésents et bien acceptés aux États-Unis, où les chauffeurs Uber exhibent des « jetons de sobriété » sur les pare-brise et où des célébrités comme Demi Lovato parlent ouvertement de leur dépendance. En comparaison, les Européens ont plus tendance à associer l’alcoolisme à la honte et à la faiblesse. « Le confinement et la diminution des contacts humains sont extrêmement dangereux pour les toxicomanes, s’inquiète Ulrike Schneider-Schmid, psychologue et spécialiste des dépendances basée à Berlin. Le contact avec les autres, avec une communauté, avec un partenaire, ce sont des besoins humains fondamentaux. » Selon elle, ce manque de contact peut avoir des effets négatifs sur le sommeil, les performances cérébrales, et le bien-être physique et mental.

Pour les alcooliques, la communauté des AA peut faire la différence entre la vie et la mort. « Sans les réunions et le programme en 12 étapes [les principes fondamentaux des AA], nous ne pouvons pas rester sobres, dit Petra*, qui a aidé à mettre en place les sessions Zoom. L’alcoolisme est la maladie de la solitude, il fallait donc être rapides. » Plusieurs réunions ont lieu chaque jour, afin que les membres puissent suivrer une routine aussi régulière que possible.

Dans les réunions des AA, de nombreux alcooliques retrouvent les liens qu’ils ont perdus au cours de leur dépendance. Lara dit que lorsqu’elle était au plus bas, elle faisait tout pour ignorer ses sentiments. « J’ai fait beaucoup d’erreurs quand j’étais ivre : j’ai perdu le contrôle, j’ai menti, j’ai nié, j’ai eu honte », dit-elle. Les membres sont encouragés à partager leurs histoires, à faire preuve d’empathie pour les autres et à se sentir à l’aise pour parler ouvertement de leurs addictions.

Aujourd’hui, l’isolement même que les AA tentent de prévenir est activement appliqué par les gouvernements du monde entier. Selon Schneider-Schmid, cela a déjà entraîné une augmentation des rechutes. « Ce n’est pas seulement dû à l’isolement social, dit-elle, la peur joue également un rôle : les médias nous martèlent avec des taux de mortalité chaque minute, les gens perdent leurs emplois, beaucoup ont des soucis financiers. »

Lara est freelance. Ses revenus ont chuté et ses missions ont été annulées. Mais elle est convaincue que tout ira bien, car elle sait qu’elle n’est pas seule et que ses amis du programme la soutiennent.

Mais quel soutien peut-on bien obtenir par le biais d’un écran ? Les membres se font généralement une étreinte au début de la réunion, une étape importante pour établir une connexion. Bien que l’esprit des AA soit toujours présent dans les sessions Zoom, Petra dit qu’il se ressent davantage en personne.

Une crise comme la pandémie de coronavirus peut également pousser les « normies » – c’est comme ça que les AA appellent les personnes sans dépendance – à se tourner vers l’alcool.
« L’alcool a un effet anxiolytique, dit Schneider-Schmid. Et nombreux sont ceux qui utilisent actuellement l’alcool pour s’automédicamenter contre l’anxiété. Dans quelques semaines, je pense qu’il y aura un changement : les infections au coronavirus vont diminuer, et les maladies mentales vont augmenter. »

Mais la pandémie a eu au moins une conséquence positive inattendue pour les AA : les réunions de Lara ont pris de l’ampleur et attirent maintenant des participants du monde entier. Les contacts physiques sont peut-être très limités, mais les alcooliques comme les « normies » peuvent toujours utiliser les principes des AA pour se sentir mieux : il faut aider les autres, prendre les choses comme elles viennent et partager ses sentiments. Quelle que soit la durée de la crise, cela aide Lara à se rappeler qui elle est : « Bonjour, je m’appelle Lara et je suis alcoolique. »

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