L’ONU et d’autres groupes de défense des droits de l’homme ont fait état d’au moins cinq agressions d’albinos en Tanzanie en moins de deux semaines en août.
Le 5 août dernier, trois hommes armés de machettes ont coupé l’avant-bras droit d’une jeune fille de 15 ans dans l’ouest du pays, dans la région de Tabora. Sa famille a été menacée de mort et n’a pas pu crier à l’aide. Plus tard dans la même journée, les agresseurs ont attaqué son oncle, lui aussi atteint d’albinisme, et qui a réussi à prendre la fuite.
Videos by VICE
Les trois hommes ont finalement été arrêtés. Parmi eux figurait un docteur local qui a déclaré aux autorités qu’ils avaient amputé le bras de l’adolescente parce que des acheteurs étaient prêts à payer jusqu’à 600 dollars pour l’obtenir.
Le 14 août dernier, le corps mutilé d’un jeune albinos a été retrouvé dans des marais aux environs de Dar es Salam. Des photos de la victime, partagées sur les réseaux sociaux montrent qu’une grande partie de sa peau avait été découpée de son torse, et qu’un trou avait été creusé dans son abdomen.
Deux jours plus tard, deux hommes ont attaqué une femme de 35 ans atteinte d’albinisme dans un petit village de Tabora. Ils ont tué son mari qui tentait de la défendre, avant de sectionner la partie inférieure de son bras gauche, puis ils ont pris la fuite.
« La stigmatisation et la discrimination sont inouïes »
Bien que ces actes de mutilation soient largement condamnés dans le pays, dans certaines zones isolées on croit encore que les corps atteints d’albinisme renferment des pouvoirs mystiques ou magiques.
« En Afrique Sub-saharienne, il y a une croyance importante dans la sorcellerie, qui implique souvent des parties du corps », explique à VICE News Peter Ash, à la tête du groupe de droits pour les albinos « Under the Same Sun». « C’est le cas dans la région depuis longtemps, bien avant la colonisation. C’est une pratique culturelle, historique et spirituelle profondément ancrée ».
Dans certaines régions des Grands Lacs de l’Est de l’Afrique, des membres de l’ONU ont eu accès à des témoignages racontant que des chercheurs d’or utilisent des amulettes faites d’os d’albinos pour avoir plus de chance, et que des pêcheurs font de même pour faire une plus grosse prise.
Depuis 1998 « Under the same sun » a recensé 332 agressions d’albinos dans 24 pays africains, dont 147 seulement en Tanzanie. D’après Peter Ash, ce chiffre ne représente qu’une petite partie des agressions qui ont lieu sur le continent. La plupart d’entre elles ont lieu dans des zones rurales et ne sont pas signalées. Une enquête est rarement menée.
On recense plus de cas d’albinisme en Afrique que dans le reste du monde. En Tanzanie, une personne sur 1400 est atteinte de cette maladie, ce qui représente environ 35 000 personnes dans le pays. En général, le taux d’albinisme est plutôt d’une sur 20 000 personnes.
Les personnes atteintes d’albinisme, que l’on appelle albinos, naissent avec un déficit de mélanine. Ceux qui ont un déficit total de pigmentation ont la peau et les cheveux extrêmement pâles, et leurs yeux sont généralement bleus clairs. Cet état physique est généralement dû aux gênes récessifs des parents. L’albinisme en Afrique entraîne le risque de développer un cancer de la peau, et le manque de pigmentation peut entraîner des problèmes de vue.
75 000 dollars pour un corps
Les membres découpés sur les albinos sont régulièrement vendus des centaines de dollars, et des corps entiers peuvent coûter jusqu’à 75 000 dollars dans un pays ou le salaire moyen est de moins de 600 dollars. Le bruit court en Tanzanie, comme ailleurs en Afrique que ce sont des membres de la classe politique ou des hommes d’affaires qui sont à l’origine de la demande. On a recensé une hausse des attaques dans plusieurs pays avant les élections, certains candidats faisant appel à des médecins pour augmenter leurs chances de victoire.
« Des docteurs-sorciers ont longtemps eu une influence importante dans de nombreuses communautés, mais à présent ils essaient de faire de l’argent au lieu d’être les sages praticiens respectés qu’ils étaient », dit Peter Ash. « Maintenant ce sont des entrepreneurs.»
« Ils sont rejetés par leur famille et leur communauté, ils n’ont pas accès au services de santé ou d’éducation. C’est un cercle vicieux de discrimination et de pauvreté »
La Tanzanie est souvent décrit comme l’épicentre de ce phénomène macabre. Dans le pays, 93% des chrétiens et des musulmans disent croire en la sorcellerie, selon un rapport du Pew research center, un think tank américain. En 2008, un reportage de la BBC avait horrifié la communauté internationale.
Comme les voisins, ou la famille sont souvent impliqués dans les attaques contre les albinos, la police fait face à de nombreux obstacles, même quand ils enquêtent sur un crime. Les familles enterrent souvent les albinos avec une pierre tombale vierge, parce qu’ils ont peur que leurs tombes soient attaquées et des membres de leur corps arrachés.
Avec l’augmentation des agressions ces dernières années, le gouvernement tanzanien a créé des places pour les enfants atteints d’albinisme dans des écoles pour enfants en difficulté – une mesure de ségrégation pour certains.
« C’est une mesure d’urgence qui est devenue une solution à long terme », explique à VICE News Alicia Londono, une membre de l’ONU récemment rentrée de Tanzanie. « Les conditions y sont terribles. Beaucoup des enfants ont déjà des signes de cancer de la peau, mais les équipes ne sont pas formées pour soigner cette maladie », ajouta-t-elle.
Plus de la moitié de ces écoles accueillent désormais des enfants albinos. Alicia Londono décrit ces établissements comme des « décharges », où les familles se débarrassent de la progéniture dont ils ne veulent pas, et où les enfants font face à des risques de violence et d’abus sexuels.
« Ils sont rejetés par leur famille et leur communauté, ils n’ont pas accès au services de santé ou d’éducation », ajoute-t-elle. « C’est un cercle vicieux de discrimination et de pauvreté.”
Ikponwosa Ero, une chercheuse du Nigéria atteinte d’albinisme et qui travaille pour « Under the same sun ». Elle a confirmé à VICE News que la vie de tous les jours pour les enfants atteints de cette maladie est extrêmement difficile.
« La stigmatisation et la discrimination sont inouïes, » rapporte-t-elle. « En plus d’attaques physiques, la souffrance dont sont victimes ces enfants dépasse l’entendement. Ils sont rejetés de l’école, mis au ban de la société. Je n’avais pas le droit de sortir la nuit sans être accompagnée par un membre de ma famille, et j’avais toujours en tête qu’une attaque rituelle était pouvait m’attendre au coin de la rue.»
Les militants et les membres de l’ONU pensent que des mesures de sensibilisation du grand public au sujet de l’albinisme aideront à combattre les attaques contre les albinos et leur assureront un meilleur accès au services de santé. Alicia Londono pense que ce ne sera pas facile.
« Tout le monde, des autorités que j’ai pu rencontrer jusqu’au chauffeur de taxi font allusion aux croyances associées aux albinos, pensent qu’ils sont inhumains », conclut-elle.
Suivez Samuel Oakford on Twitter: @samueloakford