Les banques vous manipulent. C’est illégal… ou pas?

Étouffés par la pression de leurs patrons, des employés des grandes banques canadiennes manipulent sciemment leurs clients dans le seul but d’atteindre des objectifs de vente agressifs, révèle une série de reportages de CBC.

Alertée par cette situation, l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC) a choisi de devancer de deux mois son examen des pratiques des banques, son troisième du genre. L’enquête devrait donc débuter en avril, et le rapport sera rendu en juin.

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Au menu : évaluer les pratiques commerciales des institutions financières du pays, et émettre certaines recommandations. Si l’on met à jour des pratiques qui vont à l’encontre de la loi, les banques pourraient être sanctionnées jusqu’à hauteur de 500 000 $.

Que font les banques, exactement?

Dans un premier reportage de CBC, sous le couvert de l’anonymat, trois employés de la banque TD dénoncent des pratiques manquant d’éthique. Il est question de pressions énormes pour vendre des produits dont les clients n’ont pas besoin.

Dans un reportage subséquent, des centaines d’anciens et d’actuels employés de la TD ont contacté l’équipe d’enquête Go Public, allant plus loin encore. Certains ont admis avoir violé la Loi fédérale sur les banques pour atteindre leurs objectifs. L’un d’eux avoue notamment avoir augmenté les limites de crédit de ses clients de quelques milliers de dollars, sans les en avertir. Une autre indique avoir investi les fonds d’un client dans un portefeuille qui n’était pas adapté à ses besoins.

Un ex-employé avoue pour sa part avoir prétendu que des risques financiers liés à certains investissements étaient moins élevés qu’en réalité, pour bonifier ses ventes trimestrielles. « On me demandait toujours de joindre des produits ou des services non nécessaires à la vente originale, juste pour augmenter mes points de ventes – et de m’en ficher que le client puisse se le payer ou non », ajoute-t-il.

Tout cela à cause des exigences de leurs supérieurs.

Quelque chose de pourri au royaume des banques

Depuis, la boîte de courriels de l’équipe d’enquête Go Public a été inondée de témoignages d’autres employés de TD, mais aussi des banques RBC, BMO, CIBC et la Banque Scotia. Au total, ils ont reçu plus de 1000 courriels. Et les constats sont accablants : tricheries, manipulation et même mensonges semblent pratique courante.

« La gestion est constamment sur votre dos, a dit un conseiller financier de la Banque Scotia. Ils veulent que tu atteignes tes chiffres, et ils s’en foutent de la façon dont tu y arrives. »

Un courtier d’assurance à TD, en Ontario, assure qu’ils se sont « fait dire très clairement d’inventer de fausses histoires (mentir) pour vendre des produits ». Un conseiller financier de la RBC renchérit : « Nous le faisons tous. »

Dans le reportage de CBC, un employé de la BMO à Calgary dit avoir quitté il y a deux mois, après une attaque de panique. Sa patronne l’avait menacé de nuire à sa carrière s’il ne vendait pas suffisamment. Elle l’a incité à tromper les clients, notamment en n’avertissant pas ceux qui voulaient investir 40 000$ et plus que les marchés étaient en baisse, pour ne pas qu’ils se tournent vers des placements garantis moins profitables pour la banque. Sa supérieure lui aurait aussi demandé de fixer des taux d’intérêt élevés aux prêts hypothécaires et aux marges de crédit, sans dire aux clients que ces taux étaient négociables.

Légal ou pas légal?

Il y a des pratiques décrites dans les reportages de CBC qui sont illégales, assure la commissaire adjointe de l’ACFC, Brigitte Goulard. Mais pas toutes.

La banque n’a pas le droit de vendre un produit ou d’augmenter la limite de crédit d’un client sans avoir son consentement écrit. Ça, c’est très clair dans la loi. Elle n’a pas non plus le droit de lui vendre un produit ou un service sans lui avoir donné toutes les informations sur les frais, règlements et pénalités qui y sont associés.

Par contre, c’est tout à fait légal d’offrir à un client un forfait plus cher que celui qui comblerait ses besoins, sans lui mentionner cette autre alternative. Elle peut aussi très bien fixer des taux d’intérêt élevés, sans dire au client que ces taux sont négociables. Tant que toutes les informations relatives aux produits sont données de manière adéquate selon le cadre de la loi, la pratique est acceptable.

Il est également légal de faire pression sur les employés pour qu’ils atteignent leurs objectifs de vente. Néanmoins, il est illégal pour un patron de demander à son employé de mentir au client, par exemple en lui sommant de ne révéler un frais rattaché au produit. « Ça dépend de si le mensonge est relié à une disposition légale », précise Goulard.

Mais, si la commande du patron n’est pas éthique et qu’elle demeure sans tache au vu de la loi, il n’y a pas moyen de l’empêcher pour le moment. « C’est certainement pas correct. Mais est-ce que nous, comme agence, on peut y faire quelque chose? On va pouvoir en faire un rapport dans notre examen, mais on ne peut pas sanctionner la banque pour quelque chose qui n’est pas éthique, mais pas illégale. »

En ce qui a trait aux placements, les pratiques ne seront pas évaluées par l’ACFC, car la législation à ce chapitre est d’ordre provincial, indique-t-on.

Au Québec, l’Autorité des marchés financiers (AMF) surveille les conseillers, mais pas les pratiques des banques. Il y a un principe de « know your client » qui est appliqué, en vertu duquel un conseiller doit proposer des investissements qui correspondent au profil de son client (ex. : sa tolérance au risque, son âge, ses responsabilités familiales, ses objectifs de retraite…). Mais ce principe n’a pas force de loi. Et un conseiller n’est pas un prophète, explique-t-on à l’AMF, il ne peut pas être tenu responsable de la baisse des marchés. On indique cependant que toute l’information concernant la situation du marché doit être donnée au client.

Peut-on alors cacher les risques associés à un placement à un investisseur potentiel? « Si quelqu’un est en mesure de dire qu’il n’a jamais voulu d’un produit comme ça, ça pourrait être pris en considération », explique le porte-parole Sylvain Théberge, qui ajoute que le client mécontent peut alors porter plainte auprès de l’AMF.

Il se pourrait également que les pratiques décrites dans les reportages de CBC soient illégales au Québec, si l’on regarde du côté de l’Office de la protection du consommateur (OPC). « S’il s’avérait qu’une banque fasse des représentations fausses ou trompeuses ou encore, passait sous silence un fait important, ces gestes pourraient être sanctionnés en vertu de la Loi sur la protection du consommateur », tranche Charles Tremblay, responsable des communications à l’OPC.

« Les consommateurs qui souhaitent se plaindre au sujet des pratiques commerciales de leur banque sont invités à communiquer avec l’OPC », informe-t-il.

Mieux comprendre les entreprises que sont les banques

Pour Brigitte Goulard, il est important de mieux éduquer les consommateurs face aux banques, qui sont « une entreprise commerciale comme toutes les autres. »

« Je pense que, des fois, les consommateurs oublient que les banques sont là pour vendre un produit. Les consommateurs doivent s’assurer, quand ils sont assis avec un conseiller, qu’ils savent ce qu’ils recherchent, qu’ils ne vont pas se laisser tenter par des lignes de crédit trop élevées pour leurs moyens. »

Il n’y a rien dans la Loi sur les banques qui indique que l’institution financière ait l’obligation de s’assurer que le client achète un produit qu’il peut se payer, qui est bon pour lui, qui ne lui causera pas de problème.

« Des fois, je pense que les gens croient “Oh, la banque ne m’offrirait pas ce produit si elle ne pensait que je ne serais pas capable de le repayer.” C’est à la personne d’évaluer si elle est capable de rembourser sa dette. Il y a quand même un certain fardeau de responsabilités sur l’individu », insiste la commissaire adjointe de l’ACFC.

Elle invite les consommateurs à se renseigner adéquatement sur les finances et les produits offerts par les banques sur le site de l’Agence.