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Les body hackers sont les tocards de la néo-science

Comme beaucoup d’êtres humains, je redoute la mort. Au point d’y consacrer une importante partie de mes réflexions et d’être prêt à pas mal de concessions éthiques pour m’éviter l’inévitable. Du coup, je comprends que l’on puisse vouloir débarrasser notre code génétique de ce qui y déclencherait cancers, malformations ou maladies génétiques pour rendre nos vies plus longues, plus agréables et plus sereines. En fait, c’est même le chemin naturel de l’évolution de l’espèce humaine. A condition que la poursuite de ce but ne soit pas confiée à n’importe qui.

Car depuis quelques années, le web se remplit des exploits de nombreux body hackers, qui entendent modifier leur propre corps pour l’améliorer, l’augmenter ou en prolonger la durée de vie. Un concept très cyberpunk qui va de l’implantation d’aimants sous la peau aux injections de vaccins faits maison, en passant par des solutions censées permettre de voir dans le noir. Bref, des choses qui, quand elles ne finissent pas mal, ne n’améliorent pas vraiment la condition humaine, ni ne font avancer la médecine.

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« Le body hacking est une discipline très auto-centrée, qui tient plus de la performance et de la provocation, que de la science », explique Thomas Landrain, fondateur du laboratoire participatif La Paillasse, un laboratoire de recherche ouvert et citoyen. Et d’ajouter : « Je n’ai d’ailleurs vu aucun projet issu de cette communauté témoignant d’une volonté de publication, s’appuyant sur de véritables arguments ou visant à devenir reproductible. L’objectif semble surtout être la vente de produits dérivés un peu louches ».

« Certains de ces chercheurs amateurs s’administrent les produits qu’ils élaborent, ce qui constitue un danger pour eux et pour la société » – Roland Moreau, biogénéticien.

Techno-illuminés ou VRP en matos de labo, ils sont surtout dangereux. « Certains de ces chercheurs amateurs s’administrent les produits qu’ils élaborent, ce qui constitue un danger pour eux et pour la société. Surtout si ce genre de pratiques venaient à se propager via les réseaux sociaux », analyse Roland Moreau, médecin biogénéticien, ancien Inspecteur des Affaires sociales et auteur de L’immortalité est pour demain (éditions François Bourin). Heureusement, la mode de l’autogreffe de circuits imprimés n’a pour l’instant pas trouvé un public bien large.

Mais le vrai problème des body hackers est surtout l’ombre qu’ils jettent sur le biohacking. Une discipline qui, comme son nom l’indique, cherche à hacker la biologie de toutes les façons possibles. « En se réappropriant le mot de biohacking, les body hackers lui ont fait beaucoup de mal. Puisque l’on finit par associer des gens sérieux, cherchant à rendre la biologie accessible au plus grand nombre – et des types qui s’enfoncent des aiguilles dans les bras ! », peste Thomas Landrain.

Même les observateurs les plus réfractaires pourront être séduits par les nombreuses initiatives des biohackers : laboratoires citoyens ouverts à tous, application à la biologie de processus techniques issus d’autres secteurs (industrie, programmation, architecture, design…), développement de projets trop peu rentables pour le privé ou pas assez prestigieux pour le monde académique… « Nous sommes aujourd’hui en relation avec les milieux universitaires. Certains chercheurs viennent fréquenter nos laboratoires, y apportent des idées ou laissent libre cours à leur imagination – celle qu’ils ne peuvent pas forcément faire fonctionner dans leurs recherches académiques.

C’est là le plus grand mérite du biohacking : créer une diversification de la pensée » complète Thomas Landrain. « La biologie de synthèse, par exemple, est aujourd’hui porteuse d’immenses espoirs dans des domaines aussi différents que l’oncologie ou l’écologie » rappelle le docteur Moreau, qui se méfie autant des « bio-bricoleurs de garage » qu’il s’enthousiasme pour le potentiel de ces nouvelles disciplines.

« En réalité, l’« Homme bionique » est déjà parmi nous ! » – Roland Moreau, biogénéticien

L’autre souci, c’est que les body hackers ridiculisent le transhumanisme – les transhumanistes y parvenant déjà assez bien tout seuls, mais c’est une autre histoire. En accord plus ou moins conscient avec les principes de cette mouvance, les gourous du body hacking promeuvent des modifications visant à développer les capacités du corps ou à allonger sa durée de vie. Et dans leur enthousiasme, ils oublient que la médecine traditionnelle fait déjà bien mieux que leurs implants magnétiques et autres injections maisons.

« En réalité, l’« Homme bionique » est déjà parmi nous ! En France, des dizaines de milliers de personnes cardiaques sont porteuses d’un pacemaker. Et des milliers de malades parkinsoniens se promènent avec deux électrodes implantées dans leur cerveau, et connectées à un neurostimulateur fixé sous la peau de leur thorax », souligne Roland Moreau. Il poursuit : « Et à un stade expérimental, des électrodes placées sur le crâne ou dans le cerveau humain permettent déjà d’actionner des machines ou des bras artificiels via un ordinateur. Sans oublier les exosquelettes qui permettent dès à présent à des paraplégiques de marcher. » Le body hacker australien qui s’est implanté un pass Navigo dans le bras n’a qu’à bien se tenir.

« La frontière qui sépare la médecine classique du transhumanisme réside uniquement dans leur finalité : la première « répare » les malades, tandis que le second vise à améliorer les humains…» – Roland Moreau, biogénéticien.

La conséquence de tout cela, c’est que la supposée rupture idéologique revendiquée par les adeptes du body hacking n’existe même pas. Tout juste est-elle une variation égoïste de la quête historique de la médecine. « En fin de compte, la frontière qui sépare la médecine classique du transhumanisme réside uniquement dans leur finalité : la première « répare » les malades, tandis que le second vise à améliorer les humains… Jusqu’à leur transformation radicale », résume Roland Moreau.

Bref, il existe donc un monde qui se consacre silencieusement à réaliser ce que les biohackers ne peuvent que promettre à grand renfort de vidéos tapageuses. Artistes, universitaires, esprits libres et biologistes amateurs de tous bords, tous travaillent à résoudre les mystères de la machinerie humaine et tous défrichent les questions éthiques que pose chaque nouvelle percée technique. C’est pour cela qu’il est peut-être temps d’arrêter de se laisser bercer par les illusionnistes augmentés et de raccrocher nos rêves d’une immortalité. De quoi dégager du temps pour pousser la porte d’un labo participatif.

Le travail du photographe Matthieu Gafsou sur le transhumanisme, dont nous avons utilisé une image pour illustrer ce papier, est exposé dans le cadre des Rencontres d’Arles jusqu’au 23 septembre. Découvrez son exposition en visite immersive et en 3 D : https://www.rencontres-arles.c…