Les champignons hallucinogènes ont pas mal de de défauts : leur dosage est compliqué, ils ont mauvais goût, ils sont difficiles à digérer… Heureusement, grâce aux efforts de Janis Fricke, Felix Blei et Dirk Hoffmeister, les trips fourrés aux maux de ventre ne seront peut-être bientôt plus qu’un lointain souvenir.
Dans un article publié ce mois-ci par la revue allemande Angewandte Chemie, ces trois chercheurs de l’Université d’Iéna décrivent comment ils ont réussi la première synthèse enzymatique de la psilocybine, la molécule qui confère leurs propriétés hallucinogènes aux champignons type psylocibes.
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Fricke, Blei et Hoffmeister expliquent pourquoi cette découverte est importante dès l’introduction de leur article. “Au vu de l’intérêt renouvelé de l’industrie pharmaceutique pour la psilocybine, écrivent-ils, nos résultats serviront peut-être de base à la production biotechnologique de la molécule.” Cela signifie que les chercheurs vont peut-être enfin avoir accès à de grandes quantités de psilocybine pure.
Comme la MDMA, la psilocybine a un problème de réputation : son usage récréatif est si célèbre et décrié qu’il fait oublier qu’elle a peut-être des propriétés thérapeutiques. Plusieurs études suggèrent en effet que la molécule est efficace contre la dépression, l’anxiété et le tabagisme. Son temps d’action relativement court intéresse aussi les scientifiques.
Évidemment, les recherches sur l’utilisation médicale de la psilocybine ne peuvent pas être réalisées à l’aide de champignons cueillis dans les champs. Les doses administrées aux cobayes doivent être soigneusement mesurées et suivies ; il faut du produit pur, synthétisé en laboratoire. Le problème, c’est que la psilocybine est difficile à obtenir de cette façon.
La psilocybine a été isolée et synthétisée pour la première fois en 1958 par Albert Hoffman, le découvreur du LSD. Depuis, beaucoup de chimistes ont essayé de créer la molécule sur une paillasse. Les stratégies de synthèse qu’ils ont inventées sont si complexes et coûteuses que les dealers ne les ont jamais adoptées. Après tout, la phosphorylation au tetrabenzyl pyrophosphate est moins accessible que la cueillette.
Si Fricke, Blei et Hoffmeister ont pu dépasser ces recettes compliquées, c’est parce qu’il ont découvert la biosynthèse de la psylocibine, c’est-à-dire la manière dont les psylocibes produisent naturellement la molécule hallucinogène.
Pour percer ce secret vieux de plusieurs décennies, les trois chercheurs ont dû séquencer le génome de deux espèces de champignons, Psilocybe cubensis et Psilocybe cyanescens. Ce processus long et difficile leur a permis d’identifier les gènes qui engendrent les quatre enzymes responsables de la production de psilocybine au naturel. Après avoir confirmé leur ordre d’action, ils ont utilisé trois d’entre elles pour synthétiser la molécule “au cours d’une réaction en récipient unique”.
Plusieurs scientifiques ont déjà salué la réussite du trio de l’université d’Iéna. “Ces travaux ouvrent la voie au développement d’un procédé de fermentation pour cette drogue psychédélique d’origine fongique, à l’histoire et à la pharmacologie fascinante”, a déclaré la professeure de chimie Courtney Aldrich au Chemical and Engineering News.
Jon S. Thorson, un spécialiste de la chimie des produits naturels de l’université du Kentucky, a ajouté que la méthode Fricke-Blei-Hoffmeister et ses analogues “pourraient servir d’alternatives intéressantes aux stratégies synthétiques existantes”.
En France, les champignons hallucinogènes sont considérés commes des produits stupéfiants ; le simple fait d’en gober un peut vous coûter 3 750 euros et vous envoyer en prison pour un an. Les politiques ont tant de mal à parler de drogue qu’il ne sera sans doute jamais question de les légaliser. Par contre, grâce à Fricke, Blei et Hoffmeister, vous avalerez peut-être des comprimés à la psilocybine plutôt que du Prozac quand vous aurez 50 ans. Chouette alors !