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Les chasseurs de matière noire espèrent que 2017 sera leur année

Cela fait bizarre de réaliser que seul 5% de l’univers est constitué du genre de matière que nous connaissons et comprenons – qu’il s’agisse des planètes et des étoiles, des arbres et des animaux, ou de votre table à manger.

Un quart de l’univers est composé de matière noire. On pense que c’est ce qui lie les galaxies les unes aux autres, et on dit parfois que c’est le “squelette” de l’univers, mais on ne l’a jamais détectée directement. Les scientifiques pensent qu’ils peuvent apercevoir des traces de matière noire dans la façon dont les galaxies tournent, mais ils ne savent toujours pas vraiment ce que c’est (la majorité de l’univers, à hauteur de 70%, est constituée d’énergie noire, une force mystérieuse qui traverse l’espace et le temps. On la connaît encore moins bien que la matière noire.)

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Si nous parvenions à confirmer l’existence de la matière noire, cela bouleverserait notre vision de l’univers. 2016 a été une année riche en déceptions dans ce domaine, puisque des recherches importantes n’ont obtenu aucun résultat probant. La plupart cherchent désespérément des WIMP – “weakly interacting massive particles“, ou “particules massives interagissant faiblement” – les prétendantes les plus probables au titre de particules de matière noire.

Image: Ben Ruby

2017 pourrait bien être l’année où nous en saisirons enfin une. Et si nous n’y parvenons pas, il sera peut-être temps d’envisager que nos théories sur la matière noire sont erronées – que nous cherchons aux mauvais endroits, avec des instruments inadaptés. Peut-être que la matière noire, quelle qu’elle soit, s’avèrera encore plus étrange et étonnante que nous ne l’avions prévu. Peut-être n’est-ce pas une WIMP, mais un autre type de particule bizarre.

Et puis il y a une autre possibilité : que la matière noire n’existe pas, qu’elle ne soit qu’une illusion, une chimère. Si c’est le cas, il faudra alors nous demander si nous ne sommes pas totalement passés à côté de ce que l’univers cherche à nous dire.

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Dans les profondeurs d’une mine située près de Sudbury, au nord de l’Ontario, on trouve le SNOLAB, un vaste laboratoire souterrain où des scientifiques réalisent de nombreuses expériences, dont certaines visent à trouver de la matière noire. Souvent comparé au repaire d’un méchant de James Bond, il s’agit d’un bâtiment ultra propre et doté de la plus haute technologie. Grâce aux deux kilomètres de roche situés au-dessus du labo qui protègent ses détecteurs des radiations cosmiques, ceux-ci peuvent passer au crible des particules de matière provenant d’étoiles mourantes ou du Soleil : des travaux menés ici ont été récompensés par le prix Nobel de physique en 2015.

Un scientifique travaille sur DEAP-3600, un outil de recherche de matière noire au SNOLAB. Image: SNOLAB

J’ai récemment rendu visite au SNOLAB. Pour y entrer, j’ai dû revêtir une tenue de mineur (y compris un casque et une lampe frontale), grimper dans une cage en métal qui s’est enfoncée dans les profondeurs de la Terre, et marcher ensuite environ un kilomètre pour atteindre le bâtiment, qui est encore plus propre qu’une salle d’opération – un sacré contraste par rapport à la mine de nickel qui nous entourait.

Après ce long trajet à travers la mine, quiconque souhaite pénétrer à l’intérieur du SNOLAB doit se déshabiller, prendre une douche (avec du savon et du shampooing), et enfiler des vêtements non-pelucheux ainsi qu’un filet à cheveux. La moindre poussière provenant de la mine, qui est naturellement radioactive, peut contaminer les expériences.

Une fois arrivée à l’intérieur, j’ai rencontré le chercheur Ken Clark, un physicien fort sympathique à la barbe blonde tirant vers le roux. Comme moi, il portait des lunettes de sécurité et un casque. Ken Clark a travaillé sur des projets importants en matière de détection de matière noire, tels que CDMS et LUX, et collabore sur le projet de détecteur IceCube situé au Pôle Sud en Antarctique. Il fait désormais partie de PICO, un projet de recherche de matière noire qui vise spécifiquement la particule WIMP. Le projet a été lancé en 2013 quand deux autres collaborations, PICASSO et COUPP, ont fusionné.

Une image multi-bulles d’un neutron se dispersant à l’intérieur du détecteur PICO. Image: PICO Collaboration

PICO est un détecteur à bulles : un réservoir rempli d’un fréon liquide en état de surchauffe. Si de la matière noire entrait en contact avec le noyau d’une autre particule au sein du détecteur, une petite bulle devrait se former. La matière noire circule à travers la Terre et passe à travers nos corps, donc elle n’aurait aucun mal à parvenir jusqu’au réacteur situé sous terre, malgré les kilomètres de pierre situés au-dessus. Mais c’est aussi là qu’est le défi : on pense que la matière noire n’interagit que rarement avec la matière “normale”, voire pas du tout, et elle est donc très difficile à saisir.

Clark pense que nous trouverons sans doute de la matière noire d’ici un an ou deux. “C’est une période très excitante“, dit-il.

D’autres projets de recherche doivent être lancés prochainement, explique-t-il, et ceux qui existent déjà sont de plus en plus performants. En 2017, Clark pense que nous aurons probablement de nouveaux résultats intéressants provenant de PICO, de DEAP (un autre détecteur, présent lui aussi au sein du SNOLAB), ainsi que de l’ambitieux projet chinois PandaX et d’un autre baptisé XENON1T et situé en Italie. D’autres seront opérationnels en 2018.

Si les modèles sont justes, on devrait voir quelque chose d’ici peu“, m’assure Richard.

Un scientifique travaille sur le DEAP-3600. Image: DEAP Collaboration

Mais rien ne garantit que des résultats finiront par émerger, et pour l’heure la quête de WIMP s’avère infructueuse. Cet été, par exemple, le détecteur LUX – qui utilise du xénon liquide dans une mine du Dakota du Sud – a annoncé n’avoir aperçu aucune WIMP, après plus d’un an de recherche.

J’ai passé un coup de fil à Lisa Randall, chercheuse en physique théorique et professeure à Harvard, pour lui demander si elle pensait que nous avions des chances de trouver de la matière noire dans les deux prochaines années.

Je dirais plutôt l’inverse“, dit-elle. Selon elle, si la matière noire est effectivement une WIMP, ces projets pourraient la découvrir prochainement ; “mais ce n’est qu’une possibilité parmi d’autres“, ajoute-t-elle.

La WIMP est “l’option la plus facile à creuser“, poursuit Randall : cette particule théorique s’intègre parfaitement dans le modèle standard de la physique des particules, qui vise à expliquer comment les éléments constitutifs de notre univers interagissent. Et les scientifiques sont capables d’inventer des moyens de traquer les WIMP, ce qui n’est pas le cas pour d’autres théories plus alambiquées, qu’il est difficile de soumettre à l’expérience.

GIF: Ben Ruby

Et si ce n’est pas une WIMP ? s’interroge Randall. Pourrions-nous tout de même en apprendre davantage sur la matière noire ?

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D’autres chercheurs envisagent des stratégies différentes pour venir à bout de ce puzzle.

Leslie Rosenberg, professeur de physique à l’Université de Washington à Seattle, travaille sur l’Axion Dark Matter Experiment, ou ADMX, qui vise à chercher une particule théorique baptisée axion, dont on pense qu’elle est bien plus légère qu’une WIMP. D’autres projets actuellement en développement un peu partout dans le monde cherchent également à l’identifier ; mais l’ADMX est le projet le plus ambitieux à ce jour.

Peut-être avons-nous totalement tort de croire que la matière noire existe

L’ADMX, qui fait appel à une cavité micro-ondes située à l’intérieur d’un énorme aimant supraconducteur, était à l’origine un projet collaboratif lancé au milieu des années 90. Il tourne à plein régime depuis environ un an, selon Rosenberg, et va continuer à s’améliorer à mesure que l’équipe continue à le modifier. Il espère que lui et son équipe découvriront bientôt quelque chose : la prochaine échéance viendra à l’été 2017.

Les axions sont liés dans notre galaxie, dit Rosenberg. Il doit y en avoir un bon paquet, et nous dépendons de ça pour notre signal.”

Les axions relèvent encore de la partie “mainstream” des théories sur la matière noire. D’autres sont beaucoup plus étranges.

Personnellement, je suis séduite par l’idée que la matière noire puisse échapper totalement au modèle standard, me dit Randall. L’une des possibilités serait qu’il existe un tout autre type de particule. Peut-être qu’elle interagit avec elle-même grâce à sa propre lumière, un photon noir.”

La première carte de la Voie Lactée réalisée par Gaia, basée sur des données collectées entre juillet 2014 et septembre 2015. Image: ESA/Gaia/DPAC

Randall pense que l’une des meilleures façons d’en apprendre davantage sur la matière noire serait d’étudier la structure des galaxies, et de regarder comment fonctionne l’univers, pour comprendre comment il interagit avec lui-même. La mission Gaia de l’Agence Spatiale Européenne, qui réalise une carte en trois dimensions de plus d’un milliard d’étoiles, pourrait nous y aider, dit-elle.

Asimina Arvanitaki, chercheuse en physique théorique au Perimeter Institute for Theoretical Physics, m’a expliqué par Skype que la matière noire était peut-être détectable grâce à des détecteurs à masse résonnante, qu’on utilise pour détecter les ondes gravitationnelles. Ces oscillations de la courbure de l’espace-temps ont été détectées pour la première fois en 2016, cent ans après qu’Albert Einstein ait prédit leur existence.

Il se peut aussi que la matière noire se comporte comme une vague, “piégée par la gravité et oscillant à une fréquence définie par la masse“, dit-elle.

Ce qui est amusant, c’est qu’on pourrait peut-être même entendre la matière noire, affirme Arvanitaki, en fonction de la fréquence.”

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Depuis des millions d’années, les humains ont inventé des moyens de plus en plus ingénieux d’explorer le monde qui nous entoure, de Copernic et Kepler jusqu’aux milliers de chercheurs impliqués dans la chasse au boson de Higgs au LHC et à tous ceux qui étudient actuellement l’infinie diversité des exoplanètes qui peuplent notre galaxie.

Grâce à eux, notre perspective a changé. Quand nous levons les yeux au ciel aujourd’hui, nous savons que chaque étoile que nous voyons accueille au moins une planète dans son orbite. La toute première exoplanète confirmée n’a été annoncée qu’il y a deux décennies.

La nature a encore beaucoup de surprises en réserve pour nous.

L’amas de la Balle, formé par la collision de deux amas de galaxies, contient certaines des preuves les plus probantes de l’existence de la matière noire. Image: X-ray: NASA/CXC/CfA/M.Markevitch et al.; Optical: NASA/STScI; Magellan/U.Arizona/D.Clowe et al.; Lensing Map: NASA/STScI; ESO WFI; Magellan/U.Arizona/D.Clowe et al.

Il est possible que la matière noire ne soit pas une particule du tout, m’explique Richard Clark. Certains théoriciens affirment qu’il n’y a pas de matière noire. Pour eux, c’est juste que nous ne comprenons pas comment fonctionne la gravité à grande échelle. Si c’est le cas, nous avons totalement tort et nous perdons notre temps.”

Clark et les autres chasseurs de matière noire poursuivent leurs recherches. Si elle existe bel et bien, “alors nous ne sommes même pas faits de ce qui constitue l’essentiel de l’univers“, me dit Rosenberg. Et si, en fait, ce n’était pas la matière noire qui était étrange, mais nous ?