Il y a dans les dessins hyperréalistes quelque chose de dérangeant. Une fois passée l’admiration de la prouesse technique, le spectateur se demande pourquoi tout cela n’a pas été fait avec un bête appareil photo. Pourquoi faire compliqué ? Il y a dans les dessins hyperréalistes quelque chose de froid. Sauf lorsqu’il s’agit de ceux de Nicolas Pegon. Les créations au fusain de ce Lyonnais de 32 ans ont la chaleur des corps qu’elles montrent. Même les vanités y sont vivantes sous les douces textures carbonisées. Reste qu’on se pose tout de même beaucoup de questions.
Sans que je ne sache vraiment pourquoi, les dessins de Nicolas Pegon sont un jour apparus sur mon mur Facebook. M’obsédant à chaque fois un peu plus. Comme je ne comprenais pas comment on pouvait passer des heures à rendre le réel en dessin à l’heure où un clic de son téléphone suffit à immortaliser tout et n’importe quoi, j’ai posé quelques questions à Nicolas Pegon.
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Creators : Salut Nicolas, qui es-tu ?
Nicolas Pegon : Je suis un gone qui a toujours eu plus de facilités à s’exprimer par le dessin que par l’écrit ou la parole. J’ai la chance d’avoir une femme qui gagne à peu près bien sa vie, ce qui me permet me consacrer pleinement au dessin. Je travaille tous les jours toute la journée, et heureusement, parce que le dessin est devenu vital pour moi. C’est simple : quand je ne dessine pas, je déprime. Le dessin et un exutoire, un moyen de communication, une religion, une thérapie, une obsession.
C’est quoi ton parcours ?
J’ai toujours dessiné, je n’aimais pas beaucoup l’école alors je dessinais pendant les cours. Au collège, je vendais mes premiers dessins sous le manteau — c’était du porno. Il n’y avait pas internet alors ça marchait pas mal. J’ai commencé à peindre au lycée, et après le bac, j’ai intégré ce qui était l’École d’Arts Appliquésde Lyon. J’y ai décroché un DNAT de Design textile en 2007 tout en continuant à peindre et à faire quelques expos. En 2007, je suis entré comme graphiste dans une petite boîte. En parallèle, j’ai créé une marque de T-shirts en sérigraphie avec deux potes, et je faisais aussi du graphisme en freelance pour des bars de Lyon.
J’avais alors complètement abandonné la création artistique et ça a duré six longues années. En 2012, j’ai tout lâché du jour au lendemain parce que j’en avais marre. Plus rien ne me retenait à Lyon alors j’ai rejoint ma copine dans le sud. Comme on allait être amenés à déménager plusieurs fois pour ses études, j’ai choisi le dessin, qui prend moins de place. D’abord le crayon à papier, ensuite le feutre, le stylo-bille et au bout d’un an, j’ai testé le fusain et là, ce fut un déclic, une véritable histoire d’amour qui dure depuis quatre ans.
Ah ouais, et comment t’en est arrivé à ce style ?
Mes influences sont multiples, elles sont issues de l’histoire de l’art mais aussi d’artistes actuels. C’est très important de savoir se situer artistiquement à la fois avec ce qui a été fait et ce qui se fait aujourd’hui. Je suis aussi influencé par tout ce que je regarde : l’actualité, mes souvenirs photographiques, des événements anecdotiques. Je m’intéresse beaucoup aux petites histoires, en fait, chacun de mes dessins a sa petite histoire. Elle est inaccessible au spectateur mais je me fais un plaisir de la raconter si on me demande.
Je peux citer trois artistes qui ont eu une importance dans mon parcours. Il y a tout d’abord Jean-Michel Basquiat, que j’ai découvert lors d’une rétrospective à Paris en 2003 — ce fut mon premier déclic artistique. C’est à travers son travail que j’ai pris conscience qu’il y a une façon plus pure, plus libre et plus honnête de décrire et de parler de notre monde. Puis, en 2006, l’expo Géricault à Lyon. Je suis tombé amoureux de ce peintre. J’ai dû visiter cette expo une dizaine de fois. Géricault, c’est la viande, l’animalité, la chair.
Pourquoi le fusain ?
J’ai commencé le fusain en 2013 — c’est en partie à cause du souvenir d’une expo de Marco Velk à l’IUFM de Lyon en 2006. J’avais été fasciné par sa maîtrise de l’outil. Aujourd’hui, après quelques années de pratique, je me suis approprié le fusain en autodidacte. J’ai développé une technique très personnelle. Le fusain a un côté charnel, il faut le toucher avec les doigts directement sur le papier pour étaler, frotter, gratter la matière — c’est un contact direct presque érotique que je n’ai pas trouvé avec d’autres outils. Il y a aussi ce noir intense et chaud qu’il est difficile de retrouver avec d’autres matières. Le fusain, c’est le charbon, c’est primaire, ça ramène à une ère tribale, à la terre, à la nature.
Combien de temps ça te prend pour faire un dessin ?
Ça dépend de la complexité et du format du dessin mais en moyenne, je dirais une semaine par dessin, en y passant six à huit heures par jour. Je travaille d’après photos, que j’imprime et que je reproduis en y appliquant ma technique. Il y a un jeu de compréhension et d’interprétation des matières et des textures complexes (comme l’aluminium, l’eau, le feu, la peau, la chevelure…) qui me procure beaucoup de plaisir.
Les sujets représentés sont très variés, comment tu les choisis ?
Bien que, visuellement, mon travail soit très technique et minutieux, c’est au moment de la recherche de mes sujets que l’impulsion, l’émotion, l’imaginaire, la liberté du geste prennent le pas. Je travaille d’après mes propres photos. J’ai toujours mon appareil sur moi, je prends en photo tout ce qui peut faire sens, qui a le potentiel d’interpeller, d’amener le spectateur à se poser des questions ou de modifier sa manière de regarder la réalité.
Quand je vais chez des amis, j’arrive à les convaincre de poser nu, de les maquiller, de les déguiser. Je fais aussi pas mal de volumes, souvent à l’arrache avec du carton, du ruban adhésif, du papier aluminium, des objets trouvés que je repeins, abîme, brûle. Et puis je compose à partir de ces créations, je superpose avec des corps, je mélange et confronte des objets hétéroclites dans des masques, des architectures ou de simples amas informes qui sont ensuite photographiés et stockés.
En général, je laisse dormir toutes ces photos un certain temps pour avoir un regard frais au moment de les découvrir. Ensuite, vient le moment de la sélection à la recherche de la perle, le sujet qui m’interpelle avec la bonne lumière, le bon cadrage ou l’accident, le défaut que je n’attendais pas et qui m’amène sur un chemin que je n’avais pas envisagé pour trouver l’image qui sert mon propos et qui peut arrêter un regard et créer un questionnement. Il y a donc un grand écart entre mon processus de recherche/création et mon processus de fabrication/production.
Comment composes-tu tes séries ?
Ça dépend. Mes séries s’organisent souvent en fonction de l’évolution de mon travail, que ce soit au niveau de la technique ou des thèmes abordés. Comme je travaille beaucoup et de façon instinctive, j’ai tendance à ne pas me focaliser sur une idée en particulier, ça part dans beaucoup de directions. Mes sujets correspondent à des périodes de ma vie, à des états d’esprits et mon évolution technique est, elle aussi, directement liée à ça. Le choix d’arrêter ou plutôt de finir une série et d’en commencer une nouvelle s’impose de lui-même quand je sens que je passe à autre chose naturellement. Dans ma démarche, il y a aussi des séries que je m’impose avec des contraintes thématiques ou formelles dans le cadre de projets d’exposition par exemple.
Ok, un peu comme une sorte de journal intime. Parle-nous de tes projets en cours.
En ce moment, je suis sur la finalisation de dessins pour une double expo/résidence collective : MONSTRARE & Gueules cassées à La Maison de la Fontaine à Brest qui débutera en juillet. Il y aura aussi une expo collective à Montpellier en juillet au MAT sur le thème du cinéma Mondo et une autre à La Galerie à Lyon en janvier 2018.
Merci Nicolas !
Tous les travaux de Nicolas Pegon sont à retrouver sur son site.