Les Derniers jours de l’Allemagne de l’Est

Cofondateur de l’agence photo Ostkreuz et légende du photojournalisme allemand, Harald Hauswald a passé les années 1980 entouré de militants communistes, de punks, de Trabant et d’habitants louches de la République démocratique allemande. Interviewé par VICE il y a quelques mois sur sa série consacrée aux hooligans de l’Allemagne de l’Est, on a voulu en savoir plus sur son ressenti sur les derniers instants du pays dont il est originaire, avant la chute du Mur de Berlin et l’effondrement du Bloc soviétique.

Toutes les photos sont de Harald Hauswald/Ostkreuz

Les derniers jours de l’Allemagne de l’Est ont été très surprenants. Tout était en mouvement – les événements comme l’atmosphère qui régnait.

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La révolte sociale qui prenait forme parmi la population avait pour but de réformer la République démocratique allemande. Après 28 ans à vivre reclus, les gens commençaient enfin à réagir. Cependant, personne n’avait jamais imaginé que le Mur viendrait à tomber si vite.

J’ai surtout été impressionné par la grande manifestation du 4 novembre 1989 – cinq jours avant la chute du Mur – à Alexanderplatz, à Berlin-Est. On ne sait pas encore vraiment s’il y avait ce jour-là 500 000 ou un million de personnes présentes. C’était le premier grand soulèvement depuis le 17 juin 1953, date à laquelle une grande insurrection de plusieurs semaines avait commencé en Allemagne de l’Est. C’était néanmoins la première fois qu’il y avait tant de monde et que l’État se retrouvait dans l’incapacité de réagir.

Ce qui se passait à Leipzig au même moment était tout aussi touchant. Environ 70 000 personnes manifestaient pacifiquement. Un ou deux jours plus tard, l’événement était retransmis sur une chaîne de télé de l’Ouest, dans une émission appelée « Kontraste » – des journalistes avaient fait passer la cassette en contrebande de l’Est à l’Ouest. Ce jour-là, la police avait décidé de ne pas tirer. C’était la première marche révolutionnaire totalement pacifique à être organisée en Allemagne !

De cette époque, je garde en tête plusieurs images. D’abord, celle de Hans-Dietrich Genscher, vice-chancelier de l’époque, qui, le 30 septembre 1989, depuis l’ambassade ouest-allemande à Prague, là où 4 500 citoyens est-allemands s’étaient réfugiés et réclamaient le droit de quitter le pays, a annoncé : « Nous sommes venus à vous pour vous annoncer qu’aujourd’hui, votre départ… [a été rendu possible – la fin de la phrase a été inaudible en raison des cris de joie de la foule, NDLR]. » Cet événement montre que la RDA était à bout de souffle. J’ai aussi été marqué par certaines images capturées plus à l’Est, quand les gens traversaient les lignes de barbelés à la frontière entre la Hongrie et l’Autriche, très souvent au péril de leur vie – en vingt-deux années d’existence, sur les 13 500 personnes qui ont tenté de franchir ce rideau de fer, seulement 300 d’entre elles ont réussi à passer à l’Ouest.

Je ne suis pas du tout nostalgique de la période communiste, même si je suis heureux d’en avoir fait partie. Le système en lui-même était pourri, mais les gens étaient géniaux. Un certain nombre de mes amitiés sont nées à cette période et durent encore. C’est à cette époque que j’ai rencontré Sibylle Bergemann et Ute et Werner Mahler, avec lesquels j’ai cofondé l’agence Ostkreuz, du nom de la célèbre gare berlinoise, et le photographe Arno Fischer, avec lequel j’ai collaboré.

La chute du Mur n’a pas eu de grande incidence sur mon travail de photographe. Néanmoins, si le droit à l’image existait dans la RDA, la plupart des gens n’y prêtaient pas attention. Aujourd’hui, on doit prendre plus de précaution. Mis à part ça, il n’y a pas vraiment eu de différence – à part sur le coût de la vie, qui a beaucoup augmenté.

Ce jour-là, le 9 novembre 1989, dès le matin, je suis allé avec ma copine à l’Invalidenstraße. J’ai demandé au garde posté à la frontière si on pouvait aller à Berlin-Ouest, pour simplement boire une bière. Il nous a répondu d’un ton enjoué : « Oui, bien sûr ! » Les gens vivants à l’Ouest voulaient eux aussi traverser. Il y avait beaucoup de monde des deux côtés. Une fois à Berlin-Ouest, la première personne que j’ai vue était un vieil ami qui avait quitté l’Est treize ans plus tôt. Il voulait traverser la frontière pour rendre visite à son frère. Je suis ensuite allé dans un bar qui servait gratuitement de la bière jusqu’au lendemain matin avec un autre ami croisé par hasard.

Cet événement historique signifiait beaucoup pour moi. J’ai tout de suite su qu’on allait enfin trouver la liberté. Je savais que j’allais désormais pouvoir faire ce que je voulais sans être suivi par la police est-allemande ou la Stasi. J’ai voulu profiter pleinement de cette liberté, ce qui m’a poussé à voyager à travers le monde durant l’année 1990, parfois pour organiser des expositions. Après ce 9 novembre 1989, l’Allemagne et une partie de ses habitants allaient enfin pouvoir vivre normalement.

Retrouvez Harald Hauswald sur son site et à Marseille, à la Friche la Belle de Mai, du 6 février au 10 avril prochain, à l’occasion d’une rétrospective consacrée à l’agence Ostkreuz.

Propos rapportés par Glenn Cloarec.