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Les deux premières BD consacrées au rap français ont Alkpote pour personnage principal, ça vous étonne ?

À l’exception des multiples références aux mangas insérées depuis toujours dans les textes, rap français et bande-dessinée ont rarement eu de grandes affinités. Hormis quelques tentatives peu convaincantes, la France n’a jamais connu de véritable bande-dessinée hip-hop long-format à la Ed Piskor… Jusqu’à aujourd’hui. Coïncidence assez folle, alors que la première bédé consacrée au rap français est sortie la semaine dernière, avec Alkpote en personnage principal, une deuxième projet BD est sur le point de voir le jour, par un auteur différent… mais avec le même protagoniste !

La première s’intitule Les Incroyables Aventures de John Hash, et elle est l’œuvre du duo Wild Sketch, actif en tant qu’illustrateurs dans le rap français depuis une bonne dizaine d’années, notamment auprès du label indépendant Le Gouffre. Grands fans d’Alkpote, les deux dessinateurs préparent leur coup depuis sept ans, et viennent enfin de publier leur œuvre en édition limitée. Evidemment, sept ans, c’est long, mais les mecs dessinent absolument tout à la main, et il suffit de jeter un coup d’œil à une seule planche pour comprendre l’ampleur de la tâche.

La seconde s’appelle Le Pilote et elle est l’œuvre de Singe Mongol, grand redresseur de torts devant l’éternel et instigateur du projet Ténébreuse Musique, cet album commun entre Alkpote et Butter Bullets, qui a vu le jour en 2015. Sa BD raconte, entre autres, les coulisses de la création de Ténébreuse Musique et son travail est très différent de celui de Wild Sketch : le dessin est beaucoup moins détaillé, moins coloré, volontairement naïf, et tout est encré avec une tablette sur ordinateur.

Pourquoi donc deux bandes-dessinées sur le rap, au même moment, avec Alkpote comme personnage principal ? Pour tenter de répondre à cette question vaguement intéressante, j’ai donc pris le temps d’interroger d’une part le duo Wild Sketch, et d’autre part Singe Mongol au sujet de leurs motivations, de l’influence d’Alkpote sur leur œuvre et sur leur vie en général, tout en prenant le temps de s’arrêter sur des détails techniques que j’ai fait semblant de comprendre en hochant la tête et en plissant les yeux.


Acte I : Wild Sketch, auteurs des Incroyables Aventures de John Hash

Noisey : Vous fonctionnez en binôme depuis longtemps ?
Wild Sketch : Depuis le début. C’est notre première bande-dessinée, un chantier considérable qui nous a pris 7 ans en tout.

Je me souviens avoir vu vos dessins il y a déjà de nombreuses années. Alkpote en Terminator, l’Unité de Feu transposée dans le monde de Dragon Ball…

T’as bonne mémoire et t’es une preuve qu’on avait de l’avance ! On avait fait pas mal de dessins à l’époque, dans différents styles, selon nos envies et nos inspirations, en se calquant sur l’univers des rappeurs, leurs lyrics, etc. Avec le temps, on s’est dit qu’on pourrait en exploiter certains pour servir d’intercalaires dans la bande-dessinée. Ça donne l’équivalent d’une fausse publicité quand tu tournes les pages, un pastiche d’un autre comics, comme dans les Marvel. Sur une dizaine d’années, on a donc gardé quelques planches, qui sont devenues des chapitres et on a divulgué certaines de ces planches pour de la promo.

Qu’est ce qui vous a inspiré quand vous avez commencé à grimmer Alkpote et Katana en personnages de mangas ou de cinéma ?
Wild Sketch, ça vient des dessins Marvel avec le Wu-Tang. Quand on a vu Ghostface Killah en Marvel, on s’est dit : il faut ça en France ! Mais les mecs dormaient tous… On a donc apporté cette imagerie BD/comics qui n’existait pas dans le rap français avant, mais qui était présente dans les lyrics de l’U2F. Et dix ans plus tard, je vois l’effet qu’on a eu sur le paysage, ça se fait de plus en plus. Quand Medine se met en Bane, Maitre Gims en Chevalier du Zodiaque, PNL en Dragon Ball, Demi-Portion qui fait Dragon Rash… C’était nous les premiers à mettre des rappeurs sur Namek.

En dehors, vos métiers respectifs sont en rapport avec ce projet ?
Alors, moi je suis artiste-peintre à temps plein sous le nom SOCK. Mon collègue, par contre, est intérimaire, il n’a jamais franchi le pas du professionnalisme… Pourtant, c’est lui qui a le plus de potentiel dans les doigts. En gros, je tiens un peu la structure tout seul depuis pas mal d’années et il a un rôle de conseiller, il est très impliqué quand on bosse sur de gros dessins, il m’aide pour certains projets, mais il est globalement plus en retrait.

Vos dessins, et particulièrement les planches des Incroyables aventures de John Hash, me font beaucoup penser au graffiti. Vous venez de cette culture ?
Je suis graffeur, oui. D’ailleurs, je trouve que de nos jours, trop peu de monde dans la bande dessinée le revendique. Mon collègue est dessinateur, à la base, on s’est associé parce que j’étais très bon en lettres et lui en dessin. On a commencé à dessiner ensemble, à entrapercevoir nos potentiels respectifs, et on s’est rapidement rendu compte que là où il était fort, j’étais mauvais, et vice-versa. On se complétait donc plutôt pas mal. On a passé une année ensemble dans une école à Montpellier, et comme on habitait ensemble, on faisait tout le temps des dessins. On est vite passé du format A4 au format raisin, les plus gros formats papier.

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Justement, vous avez fonctionné comment sur cette bande-dessinée ? Tout est fait sur papier, et ensuite vous numérisez ?
On a une ligne directrice très brute et très directe, et on est parmi les seuls à défendre cette position : on défend un travail artisanal, fait à la main. Aucune intervention de l’ordinateur, on travaille à deux mains, on n’utilise ni Photoshop, ni Illustrator, ni rien du tout. On est contre les graphistes, on défend le travail artisanal face à la prépondérance de l’informatique dans les visuels actuels, qui sont froids et dénaturés.

J’imagine que c’est beaucoup plus de travail.
Oui, beaucoup plus de travail, de temps, d’argent, mais le rendu est sans appel. Si demain tu mets 100 personnes devant un tableau de la Renaissance et les 100 mêmes personnes devant un tableau digital des mecs qui font les story-boards pour Star Wars, 90 % iront vers la toile de la Renaissance, elle va te faire vibrer parce qu’elle a incorporé une partie de l’âme de l’artiste, une énergie. Ok, les mecs qui bossent sur ordinateur sont très forts, mais à partir du moment où tu utilises une tablette graphique, ça met un prisme qui refroidit l’artiste et qui dénature sa patte. En gros, ça rend tout le monde pareil et ça aide à tricher. NIQUE CES GRAPHISTES EN CARTON !

Pour entrer un peu dans la technique – chose que je ne maitrise pas du tout – vous utilisez quel genre d’outils ?
C’est du marqueur à alcool, ce qu’on appelle du Pantone. On dessine sur du Canson ou layout, et on mélange ensuite toutes sortes de techniques : du feutre, du stylo, parfois du marqueur style Posca par dessus. Etant donné qu’on bosse dessus depuis 7 ans, il y a des planches sur lesquelles on est passé, repassé, et re-repassé. Bombes, acryliques, aquarelles, crayons, toutes techniques confondues du moment que ça aide à parvenir au résultat escompté.

Comment on bosse une bande-dessinée à quatre mains, comment on s’organise ?
On a écrit le scénario à deux. Mon collègue a fait le plus gros du dessin encré et les trois quarts de l’ossature de la bédé. Moi, j’étais sur toutes les typos, la colorisation, la mise en page… Quand je finissais une planche, il repassait par-dessus et vice-versa. Dans le dessin, très peu d’artistes acceptent que quelqu’un d’autre repasse par-dessus leur travail. Nous, on n’a pas ce blocage. Ça nous rend considérablement plus forts. Comme si on avait les potalas de la fusion dans DBZ.

En terme de style, c’est très fouillé, ça regorge de détails, d’ombres, tout est entièrement coloré.
Voilà, et en plus de ça on a mélangé les styles de dessins. On s’est amusé à faire des pastiches, comme le faux Tintin, du Sin City, des affiches de films. Je suis donc content que tu le remarques, parce que c’est vraiment ce qu’on a voulu faire : mettre une surdose d’informations dans cette bande-dessinée, en faire un cocktail, un feu d’artifice de saveurs.

Ce côté feu d’artifice, c’est quelque chose qu’on retrouve dans la musique d’Alkpote : ça part dans tous les sens -parfois il y en a presque trop-, il y a tout un tas de petits détails et de références, de backs qui semblent insignifiants mais qui ont leur importance. Vos dessins, c’est la transposition de tout ça ?
C’est justement pour ça qu’on l’a choisi comme personnage principal : un seize d’Alk, c’est deux lignes de conscient, deux lignes de porno, deux lignes sur le quartier, deux sur la famille, 2 name-droppings… C’est l’un des rares à avoir cette malléabilité dans l’image et puis, c’est déjà tout un cinéma à la base [Rires]. On a essayé de restitué cette façon de partir un peu dans tous les sens, très bonne analyse.

Son univers, ses multiples références, j’imagine que ça doit être particulièrement intéressant à retranscrire visuellement.
Exactement, il y a de tout en termes de références, un vrai régal. On s’est lancé dans le milieu du rap français, en tant qu’illustrateurs, il y a huit ans, et depuis, on a continué à collaborer uniquement avec des gens avec qui on avait des affinités, et qui restaient entiers – dans le sens où beaucoup se donnent une image qui est loin de leur personne. Alkpote a toujours été honnête, il a toujours dit qu’il faisait du divertissement. Il a toujours su prendre du recul sur la musique. Et puis, en termes d’imagerie, quand tu dis : « J’ramène entre les dents le string de Fanny Ardant »…

C’est très visuel, oui.
C’est le meilleur pour ça ! Et puis, on voulait aussi introniser sa carrière. Quand on a fait le tour du rap français avec notre portfolio et qu’on essayait de proposer nos services à tout le monde, à chaque fois qu’un rappeur voyait le dessin de la tête d’Alk et Katana, il nous disait «oh putain, ces deux là y sont trop chauds ». De l’Est à l’Ouest, ils faisaient l’unanimité. On s’est dit qu’ils étaient tous fans en cachette et qu’aucun n’osait le dire publiquement. C’est assez ironique, parce que le featuring avec Alkpote est l’une des cases à cocher pour entrer dans le rap-game. Ils y sont tous passés. Et ça continue, il des centaines d’enfants illégitimes dans ce rap de merde.

Tu as suivi son actu de très près pendant ces sept dernières années. Tu as l’impression que les regards sur lui ont changé, dans le milieu du rap ?
À partir du moment ou le mot « Pute » est devenu la virgule, les choses ont changé… Je pense aussi que Vald a été décisif. Une fois qu’il a présenté Alkpote à sa fan-base de gens qui ne connaissaient rien au rap, ils ont vu débarquer le patron, quoi. Après, personnellement je pense que Weedim n’a pas été une bonne influence. D’ailleurs, je pense que c’est pas une bonne influence pour la musique en général. Quand tu vois qu’il nous ramène Biffty dans le paysage rap français, on peut pas le remercier pour ça.

Je peux comprendre que tu sois pas fan de Weedim, mais tu pourrais aussi le voir comme un mal nécessaire, un mec qui a sorti Alk de sa léthargie et l’a poussé à redevenir très productif.
Oui, il l’a aidé énormément, il l’a stimulé, il lui a même écrit des refrains. Après on l’a dédicacé dans la BD et j’ai un dicton : « Si t’es debout, en train de faire quelque chose, même si c’est de travers, je respecte ! » Parce qu’avec le nombre de gens assis à rien foutre de leurs dix doigts… Par contre Alk n’est pas entré en léthargie : c’est un mercenaire qui produit contre salaire.

Bon, de toute façon ils ne bossent plus ensemble en ce moment, donc on ne va pas s’éterniser là-dessus [observez la finesse du journaliste qui cherche à éviter la crise diplomatique avec un beatmaker qu’il apprécie]. Reparlons un peu de la bande-dessinée : tous les dialogues sont des lyrics d’Alkpote.
Principalement oui, mais pas seulement. C’est une manière de souligner ce qu’il a fait de mieux dans sa carrière, les plus belles images ou assonances, et aussi parce qu’on écrit ça pour ses fans. On voulait qu’en lisant les bulles, le lecteur ait les gimmicks de certains morceaux qui lui reviennent en tête, qu’il entende les backs. On a fait une compilation de ses lyrics dans un ordre chronologique, c’est à dire que dans les premières pages, ce sont ses premiers textes, ses premiers freestyles-bafouillage avec Katana au début des années 2000, et ça finit avec L’Orgasmixtape et les textes les plus récents. On s’est buté des heures entières à ses textes. Y’a des mecs qui avaient fait des mixtapes sur internet, la série des « Bande de putains », il y avait au moins 25 volumes. Des heures d’orgie …

Je me rappelle de ce truc, c’était mixé par Vincenzo. Aujourd’hui, un autre mec a repris le flambeau, Eddie Le Loup.
C’est fou, la quantité de musique produite par Alkpote… Quand il va mourir, on va se poser deux secondes, on va réfléchir, et on va se dire « ah oui, quand même ! ». On est des nazis d’Alkpote, on a analysé toute sa création musicale. Pour nous, l’Unité de Feu a complètement révolutionné le rap français. Les combinaisons en passe-passe qu’ils ont sorti à l’époque, c’était incroyable.

Tu te retrouves toujours autant dans sa musique aujourd’hui ?
Dès qu’il interprète c’est mieux, un peu comme le Rat Luciano à Marseille ! Je peux te citer quelques morceaux récents qui nous ont marqué : « Vomissure », « Pluie Diluvienne », un vrai chef d’oeuvre, « Pyramide »… Ecoute, c’est nous qui l’avons mis sur la piste des reptiliens. Ce délire vient de Wild Sketch, que ce soit pour lui ou pour Valentin, d’ailleurs. J’suis aussi rappeur à mes heures perdues, et avec notre groupe Crime sans C, c’est un sujet qu’on a abordé il y a de nombreuses années, forcément ça me parle.

Comment on crée un scénario cohérent avec des dialogues qui sont des lyrics ? Tu écris le scénario en amont, et tu y intègres les textes d’Alk au fur et à mesure ?
Non, on a d’abord écrit le scénario, puis on a greffé ses lyrics à l’histoire. En gros, le personnage de John Hash a besoin de sa dose de drogue quotidienne, et il se balade à travers différents univers en répétant ses lyrics, en balançant des rimes, comme un MC. C’est pas forcément en rapport avec ce qui est en train de se passer, il fait juste sa tambouille dans son coin. Et Alk a mis également la main à la patte pour les textes à la fin de la bande-dessinée.

À quel moment vous avez commencé à parler de ce projet de bande dessinée à Alkpote ? C’est vous qui l’avez contacté pour lui en parler ?
Alors, pour la petite anecdote, le premier qui nous a appelé pour travailler avec lui, c’était Seth Gueko. Il nous a fait faire la pochette des fils de Jack Mess, qui n’a finalement jamais été exploitée par l’équipe de Néochrome. On était donc plutôt proche de Néochrome, et on s’est dit qu’il fallait qu’on en profite pour parler à Atef de cette idée qu’on a toujours eu. Il a kiffé tout de suite, d’ailleurs on a fait Les Marches de l’Empereur dans la foulée. Un sombre épisode dans lequel on annonce, il y a 7 ans, que ça arrive… Alors qu’à l’époque, on n’est pas du tout prêts et on ne pense pas du tout que ça va prendre autant de temps ! Bon, j’ai lu des interviews de dessinateurs qui disaient que leur première BD leur avait pris entre 5 et 8 ans.

Ah ouais, finalement vous êtes dans les temps.
On est dans les temps, et puis comme c’était la première fois, on a tout appris au fur et à mesure.

Pourquoi vous faites une édition limitée à 1500 exemplaires ? C’est l’idée de produire un objet un peu collector ?
C’est ça… Et le manque de budget, aussi ! Mais on ne veut pas être Carrefour. On préfère te fournir dix grammes de première presse que deux kilos de para. Et puis de toute façon, c’est une BD pour adultes, interdite aux moins de 18 ans. D’autant qu’on tient un truc important qui transcende le rap : la BD est faite-main. Comme je te l’ai dit tout à l’heure, défendre le travail artisanal, c’est vraiment une conviction qui nous est propre. Dans le monde de la BD, il doit peut-être y en avoir une dizaine par an, au maximum. Une bande d’érudits qui défendent le truc… Nous, on a un produit défendable internationalement.

Il y a donc l’objectif de toucher des gens qui ne connaissent pas forcément Alkpote, mais qui vont s’intéresser à ton projet uniquement pour le dessin ?
Ouai, complètement, le paroxysme du rappeur en super héros du futur peut toucher toute la culture hip-hop. Et ce qui est lourd, c’est que le personnage de notre bédé existe dans l’alter-égo d’Atef, qui est Alkpote. Tu peux retrouver les caractéristiques de notre personnage dans les clips, les interviews, les chansons d’Alkpote.

Et pourquoi spécifiquement John Hash, et pas l’un de ses multiples autres alias ?
D’une part parce qu’il le dit beaucoup dans ses textes, c’est devenu son deuxième prénom, et d’autre part parce que c’est aussi le nom du personnage principal de Terminator. On a sorti notre BD lundi à 18h18, heure à laquelle tous les missiles nucléaires de Skynet furent dirigés contre l’humanité. Et ce héros est amené à sauver le monde… Le parallèle avec Terminator, c’est qu’on peut tous être le changement qu’attend l’humanité. Une seule personne peut changer le monde, lutter contre le transhumanisme, la croyance que la machine améliore l’homme. L’idée de la BD, c’est que chacun peut être John Connor ou Sarah Connor. Tu es John Hash, et si tu entends ce message c’est que tu es la Résistance.

Il y a donc un message philosophique derrière tout ça.
Voila, et je dirais même spirituel, si tu lis le truc attentivement. On a essayé de mettre en place plusieurs niveaux de lecture, des détails, des choses que tu ne remarques pas forcément au premier coup d’œil. Il faut rester trois heures devant certaines planches avant de tout voir.

Et puis, surtout, dans votre histoire, c’est Alkpote qui sauve le monde. C’est incroyable.
C’est ça ! [Rires] Mais il faut bien comprendre que ça pourrait aussi être toi, ou n’importe qui d’autre. C’est la même chose que dans le cinéma hollywoodien… De la même manière qu’ils utilisent leurs super-productions pour formater les gens, on utilise leurs codes pour faire le contraire : aider à ouvrir certaines consciences en divertissant.

La suite, c’est quoi ?
On prépare la bande originale de la BD. Inch a fait la musique, Alk a enregistré le morceau et on prépare de belles images pour illustrer le tout en vidéo. Il y aura peut-être aussi un EP Les aventures de John Hash, d’autres goodies inattendus. Pleins de projets avec Le gouffre et de nouvelles collabs.

Merci les mecs. Suite à cette interview de Wild Sketch, j’aurais pu laisser les choses en l’état et vous laisser vous démerder pour trouver des infos au sujet de la deuxième bande-dessinée évoquée dans cet article, mais j’ai l’amour du travail bien fait, et je suis donc allé interroger Singe Mongol au sujet de son œuvre un brin dérangeante.


Acte II : Singe Mongol, auteurs de Le Pilote

Noisey : Déjà, pourquoi ce pseudo ?
Singe Mongol : Quand j’ai commencé à dessiner, en 2013, et que j’ai voulu poster mon premier dessin sur les réseaux sociaux, il a fallu que je trouve un pseudo. À l’époque, j’adorais le Roi Heenok et le fait qu’il ait défini sa musique comme du rap mongol… Je mettais ce mot à toutes les sauces. Pour moi, il y avait le cinéma mongol, la musique mongole, la philosophie mongole, l’art mongol – qui correspond en réalité à l’art brut. C’est peut-être péjoratif pour les gens originaires de Mongolie ou pour les trisomiques.

Ah, ça commence bien.
Je trouvais que ce mot définissait très bien ce penchant non-intellectuel de la culture, donc il fallait qu’il soit dans mon pseudonyme. J’ai pensé à Chien Mongol, mais comme tout le monde m’appelait L’Enfant Singe, j’ai opté pour Singe Mongol. Au début j’hésitais à le garder, mais finalement je l’aime bien, et je trouve que ça sonne pas trop mal.

Tu m’as dit que ton premier dessin datait de 2013, c’est finalement assez récent.
La première fois que j’ai dessiné en voulant publier, c’était en avril 2013.

Avant ça, tu dessinais pas ?
Je dessinais comme tout le monde, sur mes cahiers au lycée, mais sans aucune prétention artistique. J’ai fait une école d’arts, mais j’ai eu des cours de dessin uniquement deux heures par semaine pendant un an. Rien de poussé, on prenait un magazine, on dessinait un portrait, fin de l’histoire. Finalement, je suis en train d’apprendre par moi-même. C’est pas toujours facile d’avoir confiance en son trait.

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Qu’est ce qui fait que tu t’es lancé, en 2013 ?
En CE2, je suis tombé sur Franquin, ça a été mon premier choc culturel. C’est la première fois que j’ai eu envie de m’intéresser à quelque chose. J’ai lu tout ce que Franquin avait fait, puis j’ai découvert Spirou. J’ai lu énormément de bande-dessinée à cette époque, c’était quasiment le seul média auquel j’avais accès. En école primaire, on allait toutes les semaines à la bibliothèque et je prenais uniquement de la bande-dessinée. Plus tard, quand je suis arrivé au lycée, j’ai découvert Lewis Trondheim, mais aussi les mangas comme Akira. Beaucoup de BD indépendante française et japonaise. Parmi les français, j’ai été particulièrement marqué par Lewis Trondheim et Joann Sfar. Ils dessinaient des moments de vie, ils s’en battaient les couilles que leurs dessins soient conventionnels, précis… Ils faisaient des dessins très naïfs, ils avaient une manière simple de raconter des choses simples, et ça m’a beaucoup touché. J’ai envie d’être dans la continuité de cette scène, mais je pense qu’il leur manquait quelque chose : un côté plus agressif, ce truc de sous-culture. C’est ce que j’aimerais apporter là-dedans. Je ne sais pas si j’en serai capable, mais j’essaye.

Le rap en tant qu’élément central de ta bande-dessinée, c’est dans le but d’apporter ces choses-là ?
Voila, je veux apporter du rap, de la drogue, du sexe. J’essaye de le faire intelligemment, je suis pas certain d’arriver à ce que je voudrais exactement. Je me sens pas au niveau de mon exigence, mais je sens quand même une amélioration, au fur et à mesure.

Pour que les lecteurs comprennent bien : tu es sur ton premier long-format, qui raconte d’une part ton parcours d’auditeur de rap, et d’autre part ta rencontre avec Alkpote et Butter Bullets, qui aboutit sur la conception de l’album Ténébreuse Musique, dont tu es l’instigateur.
C’est ça. Au début, je m’étais posé comme objectif de faire 100 pages de 6 cases. C’était en 2015, j’avais eu la chance de devenir chômeur et j’étais décidé à prendre deux ans pour faire ce que j’avais vraiment envie de faire.

Pourquoi tu as instinctivement commencé à dessiner Alkpote, et pas autre chose ?
Je me suis posé la question… Je crois qu’il n’y a que ça qui me stimulait, je me sentais proche de son univers. Au boulot, j’avais besoin de m’évader par la musique. J’étais dans mon bureau, avec mes écouteurs. Au début, j’écoutais énormément de choses violentes, mais plutôt sur la scène rock : le punk hardcore des années 80, Slayer, beaucoup de Power Violence… Puis un ami m’a fait découvrir du rap américain vraiment débile : Lil B, avec le morceau « Woo Woo Swag ». C’était tellement primitif, tellement facile, j’avais l’impression de pouvoir le faire. Instantanément, j’ai eu envie de m’intéresser à cette culture. Gucci Mane, Chief Keef, A$ap Rocky, UGK, Three Six Mafia… J’ai eu accès à tout ce rap sans intellectualisation, c’est à la fois très violent, très drôle. C’est une comédie noire bien tournée, il y a un truc euphorique que j’aime beaucoup. Et à côté, ça reste très musical, très recherché et puis le côté dangereux et violent reste important.

Tu te souviens de ta découverte d’Alkpote et Butter Bullets ?
Je les ai découvert tous les deux avec le morceau « Chiens ». C’était exactement tout ce que j’aimais dans le rap américain, mais en français. Et contrairement à un Booba ou un Aelpéacha, ce n’était pas « on refait le même truc que les ricains » mais « on a le même esprit, et on le fait à notre manière. » Alk, c’est un laboratoire, et Butter Bullets c’est des gens qui maîtrisent des références incroyables. Je pourrais discuter de musique pendant des heures avec Sidisid. Il m’a fait découvrir WestSide Gunn, un espèce de débile qui parle d’Hitler et de Fashion Week tout le temps, je trouve ça incroyable.

Et niveau dessin, quelles sont tes influences ?
Trondheim, Morgan Navarro, ce sont vraiment des auteurs qui m’ont marqué. Trondheim, c’est un mec qui ne savait pas dessiner. Un jour, il s’est dit : je vais faire une bédé de 500 pages, et je vais apprendre à la dessiner en la faisant. J’ai un peu la même démarche, même si j’aimerais faire moins de 200 pages. J’aime aussi énormément la bande-dessinée américaine, comme Buddy Bradley de Peter Bagge. J’aime leur esprit. Et je m’intéresse aussi beaucoup aux japonais qui s’inspirent de la bande-dessinée française, comme Taiyō Matsumoto, Atsushi Kaneko… C’est incroyable, ils sont une culture bande-dessinée avec beaucoup plus d’entertainment qu’ici, mais ils s’inspirent de choses qu’on fait ici, et qui ne s’exportent pas du tout. Ils ont créé une espèce de sous-culture de la bande-dessinée française, et ils se réapproprient ce qu’on fait. Et ce qui en ressort, c’est vraiment génial. Je peux te citer aussi Tezuka et Otomo, qui ont été super importants pour moi. Akira, ça a été un choc.

Donc, le côté naïf de ton dessin, ce n’est pas uniquement parce qu’à la base tu ne sais pas dessiner.
Non, je pense que je suis vraiment dans la lignée française de l’autobiographie sous forme de bande-dessinée. Les mecs de la nouvelle BD contemporaine ont arrêté de faire des scénarios d’aventure, ils ont voulu raconter des tranches de vie. Ce sont des gens simples, qui ont des vies simples, et qui racontent donc les choses de façon simple. Ton dessin traduit ce que tu racontes. Pour te faire voyager dans mon esprit, j’ai pas besoin d’une mise en forme compliquée.

Finalement, ta démarche, qui consiste à raconter des tranches de vie, c’est un truc de rappeur.
C’est ça. Je pense que dans une autre vie j’aurais pu être rappeur. Mon personnage de bande-dessinée, c’est un peu mon alter ego de rappeur. Je raconte une vie proche de la mienne, mais tout de même un peu fantasmée, à travers ce personnage. Après ce projet, j’aimerai peut-être faire un espèce de porno-soft, qui raconterait mes déboires et mes coups de chance de l’année 2017. Je ne sais pas si je vais toujours faire uniquement dans l’autobiographie, mais je ne me sens pas encore forcément à l’aise pour créer des personnages, inventer des mondes.

Le Pilote sera uniquement en noir et blanc ?
Les bédés que j’aime, en général, et qui ont bien vieilli, ce sont celles en noir et blanc. Je n’ai pas encore arrêté mon choix, mais c’est difficile d’être bon avec de la couleur, si tu veux que ça perdure dans le temps. Si tu regardes Watchmen par exemple, je trouve ça vraiment dur à lire, justement à cause de la couleur. Si c’était en noir et blanc, je suis sûr que ça passerait plus facilement.

Utiliser Alkpote et Sidisid en tant que personnages, ça t’apporte une liberté particulière ?
J’estime énormément leur travail. J’ai voulu que Ténébreuse Musique existe, j’ai eu l’opportunité de diriger et gérer sa conception, sa direction artistique. Je suis le seul à avoir vécu toute l’aventure Ténébreuse Musique. Le seul truc que je n’ai pas vécu, c’est l’enregistrement du morceau avec Jok’Air. En dehors de ça, j’ai connu une certaine intimité avec eux, je connais Alkpote personnellement, je suis devenu réellement ami avec Sidisid, que je vois très régulièrement. Je me dis que j’ai de quoi faire un reportage sur eux entre les mains. Cette BD, même si elle raconte ma vie, c’est presque un reportage sur le rap alternatif et indépendant français, à travers les yeux d’un auditeur qui a réussi à entrer dans le milieu.

En dehors de sa place centrale dans cette bande-dessinée, j’ai l’impression que le projet Ténébreuse Musique a quand même représenté une étape cruciale dans ta vie.
Ténébreuse Musique m’a donné envie de continuer à faire partie d’une équipe, à construire un projet. Je me pose souvent la question de mon influence sur Ténébreuse Musique : est-ce que quelqu’un d’autre aurait pu le faire ? Est-ce que ça aurait donné la même chose ? J’aurais aimé refaire le même type de projet. Il y a eu des occasions manquées, d’ailleurs. Mais j’ai tout un collectif de gens autour de moi, des personnes qui ne sont pas forcément dans le rap, mais qui ont le même genre d’influences, aussi bien du côté de la Three Six Mafia que de Kickback. Je crois que ce qu’on préfère, c’est quand les français font de la culture américaine mieux que les américains.

Pour revenir sur la bande-dessinée, pourquoi ton personnage est-il masqué, et surtout, pourquoi est-il toujours en slip ?
Il est masqué parce que je ne savais pas dessiner de visages, quand j’ai commencé. J’ai essayé de me créer un personnage à plusieurs reprises, mais je n’y suis jamais arrivé. La croix sur le masque, c’est bidon, mais je pense que ça représente mon côté un peu contradictoire. Dès que les gens aiment quelque chose, je me sens obligé de ne pas aimer. J’en suis pas forcément fier, et c’est une explication très bateau, mais c’est comme ça. Et pour le slip…

T’as un côté exhib que t’assumes pas, c’est ça ?
Non, pas du tout [Rires]. Je dirais plutôt que ça reflète mes influences en bandes-dessinées. Dans les BD japonaises, il y a toujours des personnages un peu étranges : par exemple, dans Dragon Ball, tu peux avoir un personnage avec une taille démesurée par rapport aux autres, mais ça parait tout à fait normal. Des caractéristiques un peu étranges, comme un perso en slip, mais qui sont tout à fait normales dans le monde de la bande-dessinée. Mon personnage est un carrefour d’influences, parce qu’il a aussi un petit côté super-héros Marvel/DC, donc américain, mais aussi un style de dessin très naïf, donc très bande-dessinée française. Je voulais que ça fasse le lien entre ces trois univers.

Que pensent Alkpote, Sidisid et Dela de leurs personnages ?
Ils n’ont pas encore vu leurs personnages dans la bande-dessinée, ils connaissent surtout les artworks que j’ai fait avant ce projet. Alkpote sera dessiné avec uniquement une tête volante, une très grosse tête. Les autres personnages sont dessinés normalement, mais lui, c’est une espèce d’entité mystique. Je leur ai jamais demandé ce qu’ils en pensaient, et je pense que je leur demanderai pas.

Est-ce que Le Pilote s’adresse uniquement aux fans de Ténébreuse Musique et d’Alkpote, ou est-ce que tu penses que ça peut parler aussi à des gens qui ne connaissent pas du tout le rap français ?
Je veux parler aux fans de Ténébreuse Musique, c’est important, mais je veux aussi parler aux fans de bande-dessinée. Eux, je pense qu’ils ne me connaissent pas encore. J’ai jamais essayé de viser des blogs de BD, c’est un autre public, je ne connais personne dans ce milieu. Le seul qui m’ait approché, c’est Matthias Aregui, que j’aimerais rencontrer à l’occasion.

Quand est-ce que tu espères sortir ta bande-dessinée ?
Quand ce sera terminé. En général j’avance vite, mais je suis mon pire ennemi dans le dessin, parfois je me bloque tout seul. Je vais avoir trente ans en avril, j’adorerais avoir sorti ça avant. J’ai fait pas mal de sacrifices dans ma vie pour pouvoir m’en occuper. J’aimerais donc en finir pour enfin passer à la suite.

La suite, c’est quoi ? Encore de la bédé ?
Peut-être, si ça fonctionne. J’ai un autre projet de long format, qui sera sûrement précédé d’aventures plus courtes. Par exemple, j’adorerais dessiner les coulisses du featuring entre Arielle Dombasle et Mokobé. Est-ce qu’il y a eu des échanges physiques, avec Bernard-Henry Lévy en train de filmer ?

C’est très sale, mais ça ne m’étonne pas trop venant de toi.


Alkpote sera en concert au Yoyo – Palais de Tokyo pour la soirée Underdogs#7 le 31 mars, et vous pouvez gagner des places ici.


L’album Les Incroyables Aventures de John Hash de Wild Sketch est disponible ici.

Le Pilote sera prochainement disponible sur le site de Singe Mongol.

Genono est disponible sur Noisey, Twitter, partout.