Santé

Les effets psychologiques d’un deuil vécu sur les médias sociaux

Young woman sitting on a chair with her cell phone in her hand, looking sad.

Peu après la tuerie à l’Université Virginia Tech, en 2007, la chercheuse Tamara Wandel a rencontré des survivants et des étudiants universitaires américains pour parler de cette tragédie. C’était la première fois que la nouvelle d’une attaque dans un campus avait circulé sur Facebook avant d’être rapportée par les médias traditionnels. Beaucoup de groupes se sont ensuite formés sur internet, dans lesquels des étudiants en deuil et les proches des victimes ont pu s’exprimer et obtenir du soutien. C’était aussi la première fois qu’elle prenait conscience du rôle unique que pouvaient jouer les médias sociaux dans les circonstances difficiles.

Elle l’a de nouveau constaté quand sa fille a perdu un ami, victime d’un accident de quad en 2015. « J’observais la façon dont les enfants et les adolescents utilisaient Facebook et Instagram dans les moments difficiles. J’ai interviewé des personnes concernées de tous les âges, et des spécialistes du deuil sur les scènes locale, régionale et nationalede la région et du pays », dit-elle.

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Les milléniaux américains visitent en général Facebook plusieurs fois par jour (c’est encore vrai malgré les scandales à propos des données d’utilisateurs et le ressentiment qu’ils ont causé). Les chercheurs ne font que commencer à étudier ses effets sur la façon de vivre un deuil, afin de voir si les médias sociaux aident considérablement. Il y a des hommages aux personnes décédées sur Instagram ou Snapchat, mais c’est Facebook qui est au centre de ses recherches, en raison de son format particulier et parce que, parmi les diverses plateformes, il est celui qui s’y prête le mieux.

Est-ce que Facebook transforme la notion de l’hommage à une personne décédée et nos façons de reprendre notre vie? C’est une question sur laquelle les chercheurs sont enclins à se pencher parce que le deuil est une expérience universelle et que le nombre de personnes qui utilisent les médias sociaux au quotidien est élevé. Évidemment, les groupes de soutien sur internet qui aident à mettre en contact des inconnus endeuillés qui ont vécu des expériences semblables existent depuis longtemps. Par contre, les médias sociaux ajoutent une dimension en rassemblant virtuellement des personnes qui ont connu la personne décédée et leur donnant une tribune où échanger des souvenirs d’elle. Des études indiquent que cet échange pourrait contribuer à réduire la douleur que l’on ressent après la perte d’un proche.

En 2010, une étude a montré qu’après les tueries de Virginia Tech en 2007 et de l’Université de Northern Illinois en 2008, de nombreux étudiants affirmaient que de faire partie d’un groupe Facebook et de pouvoir parler ouvertement d’une tragédie dans les médias sociaux avec des « amis » étaient des sources importantes de réconfort temporaire.

Dans ce contexte, les hommages virtuels sur Facebook représentent l’une des pierres angulaires des deuils vécus sur internet. Jusqu’en mai 2007, la politique de Facebook avait été de supprimer les comptes des défunts. Un changement a eu lieu après que la suppression des profils des victimes de la tuerie de Virginia Tech a déclenché des protestations sur internet. « Les gens touchés étaient en choc, ce qui est normal, mais ils étaient aussi choqués que Facebook ait supprimé les profils des victimes, dit Wandel. C’étaient leurs murs commémoratifs, alors les messages publiés comptaient pour eux, parce qu’ils étaient tout ce à quoi ils pouvaient se raccrocher dans cette période de désespoir. »

Dans une étude de 2015, des chercheurs ont souligné les bienfaits pour la santé mentale de ces murs commémoratifs. Les effets positifs peuvent découler du fait que des personnes restent virtuellement vivantes par l’intermédiaire de leur présence sur internet, et de leurs amis qui se rassemblent pour parler de leur vie, et chercher un sens à leur mort. Bon nombre des participants à l’étude ont aussi dit utiliser les médias sociaux pour « parler » aux défunts, ce qui leur apporte du réconfort.

Mais le deuil est complexe, et ses manifestations varient beaucoup d’une personne à l’autre. Dans les modèles théoriques traditionnels visant à expliquer le deuil, il existe différentes étapes à ce processus, mais la réalité, c’est qu’il n’y a pas de façon linéaire et universelle de vivre un deuil. La mort reste un sujet tabou, et il peut être difficile d’en parler ouvertement. Des recherches indiquent que les médias sociaux peuvent permettre de se libérer de certaines inhibitions que l’on a normalement quand il est question de la mort.

D’après une étude qualitative menée auprès de 198 adolescents qui ont perdu un ami, Tamara Wandel souligne que, pour les jeunes qui ont souvent du mal à exprimer ce qu’ils ressentent, les réseaux sociaux aident à se défaire de tabous autour de la mort, à exprimer leurs émotions et à trouver un sens à la mort d’une personne, et ce, peu de temps après qu’elle est survenue. De six mois à un an après un décès, alors qu’ils traversaient différentes étapes du deuil, les adolescents participants ont trouvé les médias sociaux utiles pour exprimer des pensées positives et des souvenirs heureux.

Les chercheurs commencent aussi à étudier la possibilité que ces plateformes offrent des occasions de s’apercevoir que des personnes sont particulièrement bouleversées par le décès d’un proche et susceptibles de développer des problèmes de santé mentale, en portant attention à ce qu’elles écrivent, aux mots et aux pensées qu’elles n’expriment peut-être pas autrement.

Cependant, au fil des recherches sur ce sujet, des études ont aussi souligné les limites des médias sociaux en situation de deuil. « Vivre un deuil seulement dans les médias sociaux n’est pas recommandé, parce qu’il peut y avoir beaucoup de revers », dit Erin Hope Thompson, une psychologue clinicienne qui a fondé et dirige The Loss Foundation, un organisme caritatif au Royaume-Uni qui offre du soutien aux personnes qui ont perdu un proche décédé du cancer. « Parmi les risques les plus importants, il y a celui que le compte soit supprimé, ce qui peut représenter une perte supplémentaire pour les proches d’un défunt. »

Paradoxalement, si les médias sociaux rassemblent des gens après un décès, ils augmentent le sentiment d’isolement et la colère chez certaines personnes. « Des personnes parmi celles que j’ai interviewées étaient en colère contre d’autres qui avaient agi comme si elles étaient plus proches qu’elles l’étaient en réalité, ou se sont senties incomprises ou oubliées. Bien qu’il soit bon d’exprimer sa tristesse à des amis, les gens ne savent souvent pas comment réagir, alors il y a des risques pour leur état émotionnel à ne compter que sur ce moyen », explique Tamara Wandel.

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Thompson est d’accord. L’enjeu général des médias sociaux, c’est que l’on a tendance à n’y montrer que les aspects que l’on veut que les autres voient. Dans le contexte du deuil, c’est un problème, parce que ça alimente l’impression que les autres sont plus heureux ou s’en sortent mieux. « Ça peut être extrêmement déprimant et ça peut exacerber le sentiment d’isolement, ce qui est un grave facteur de risque de toutes sortes de problèmes de santé mentale et même de décès », poursuit-elle.

En dépit de ces défauts, on ne peut nier que les médias sociaux jouent un rôle au cours d’une période émotionnellement difficile et d’un deuil. En fin de compte, cette façon de le vivre doit faire partie de l’ensemble des sources de soutien à la disposition d’une personne endeuillée, qui comprennent aussi, dans certains cas, l’aide professionnelle.