Les habitants du Proche-Orient sont les personnes les plus simultanément accueillantes et paranoïaques au monde. Allez-y et rendez-vous en compte par vous-même. Les gens n’hésiteront pas à vous inviter à dîner chez eux, mais à la seconde où vous prendrez des photos ou noterez quoi que ce soit dans votre carnet, ils se demanderont si vous êtes un flic en civil ou pire, un espion.
Au Proche-Orient, le conspirationnisme et la méfiance à l’égard des États-Unis font autant partie de la culture que le houmous et la pita.
Videos by VICE
En Égypte, les médias étaient contrôlés par Moubarak jusqu’en 2011, date à laquelle de nombreuses sources d’information indépendantes ont vu le jour, des suites de la révolte. Ceci dit, les médias d’État existent toujours, et la censure est encore importante. Les journalistes peuvent être poursuivis pour des charges allant de la diffamation au terrorisme si l’on arrive à les poursuivre pour « perturbation de l’ordre public » – soit, dès qu’ils disent du mal du gouvernement. Les journalistes ne sont pas les seuls concernés : en janvier dernier, une marionnette a été accusée « d’envoyer des messages terroristes codés » dans une publicité Vodafone.
Comme les Égyptiens ne savent plus à qui faire confiance, leur imagination s’emballe parfois un peu, et ils se font rapidement des idées sur « ce qui se passe vraiment » afin d’expliquer le chaos qui les entoure. Leurs histoires impliquent régulièrement le sionisme, les Etats-Unis et les Frères musulmans – et tout ceci, bien sûr, sans la moindre logique.
C’est comme ça que les Égyptiens en sont venus à penser que l’épisode des Simpson « Bart et son boys band », diffusé en 2001, était la preuve manifeste que les États-Unis avaient joué un rôle dans l’insurrection syrienne de dix ans plus tard.
Petit rappel de l’intrigue : dans cet épisode, Bart, Milhouse, Nelson et Ralph forment un boys band, les Party Posse, dont le tube s’appelle « Drop da Bomb ». Dans tout le clip, ils larguent des bombes sur un pays arabe non identifié. Puis, le drapeau de l’opposition syrienne apparaît clairement sur la portière de la jeep. Comme ce drapeau n’existait pas en 2001 – tout comme l’opposition syrienne elle-même – les conspirationnistes y ont vu la preuve que les États-Unis étaient derrière le Printemps arabe depuis le début.
Pour eux, les révolutionnaires étaient donc au service d’une puissance étrangère qui n’attendait d’eux qu’une chose : qu’ils déstabilisent la région. Les séries télé de type Les Simpson étant diffusées systématiquement avec plusieurs années de retard, les gouvernement américain espérait donc sans doute que personne ne ferait le lien entre eux et l’embrasement du Proche-Orient. Le piège était – enfin – déjoué.
Comment les Américains ont-ils pu penser que ces ruses sournoises tromperaient la vigilance des hommes à qui l’on doit la bière et l’algèbre ? Si la théorie a vu le jour sur les réseaux sociaux, elle a vite été reprise par une majorité de médias égyptiens. Le 5 mai, la présentatrice de Tahrir TV, Rania Badwy, a même diffusé un extrait de l’épisode. J’avais bien envie de croire à une bonne vieille conspiration – mon côté égyptien, sûrement – mais il fallait que j’en aie le cœur net ; le seul moyen de le savoir était donc d’appeler Tim Long, le scénariste de l’épisode, et de lui faire avouer que les États-Unis avaient TOUT PRÉVU. C’est ce que j’ai fait.
VICE : Bonjour, Tim. Saviez-vous, en écrivant cet épisode, que l’Armée syrienne libre allait exister 13 ans plus tard ?
Tim Long : J’ai fait plein de blagues à ce sujet, je racontais que j’étais carrément au courant, que j’avais écrit l’épisode exprès. Mais je ne préfère pas faire ce genre de blagues si ça finit dans votre magazine, les gens prennent ces choses très au sérieux ! Je vais donc vous dire que je n’étais au courant de rien.
Il n’y avait pas de message subliminal pour pousser à l’insurrection ?
Certainement pas, et toute cette histoire me dépasse complètement. Ce qui me plaît dans le fait d’être scénariste, c’est que je peux me permettre d’être lâche. Je n’ai pas envie de prendre parti sur quoi que ce soit, encore moins sur un conflit que je commence à peine à comprendre. En soi, c’est drôle, parce que cet épisode parle justement de messages subliminaux. L’idée, c’est que Bart et ses amis sont choisis pour former un boys band, mais il s’avère que les personnes qui les ont choisis se servent d’eux pour recruter des soldats dans la Navy. Les paroles de la chanson sont pleines de double sens. Mais de là à imaginer qu’on établirait un rapport entre l’épisode et l’insurrection syrienne…
À quoi avez-vous pensé quand vous avez entendu parler de cette théorie du complot ?
Je me suis dit : OK, c’est n’importe quoi. Mais en même temps, j’ai pris ça plutôt bien. Dans mon métier, il est rare que l’on change le monde. Donc, si quelqu’un vous disait : « Hé, vous êtes en train de changer le cours de l’Histoire », vous vous diriez « Sérieux ? Hmm, cool ! » Puis, dans un deuxième temps, votre réaction serait plutôt : « Hé, une minute là. J’étais juste en train de faire des blagues sur les Backstreet Boys. »
J’ai travaillé sur Les Simpson pendant 16 ans, il y a forcément des épisodes dont je ne me souviens pas bien. Dans un premier temps, je n’étais pas certain de comprendre de quoi il s’agissait. Je trouvais ça plutôt drôle, parce que comme toutes les théories du complot, celle-ci manque de cohérence. Comment aurions-nous pu faire un truc pareil ; et surtout pourquoi ? Cette théorie n’est même pas claire, elle ne dit pas vraiment si on a juste prédit l’insurrection ou si on l’a provoquée. Je peux comprendre que des gens au Proche-Orient pensent que l’Occident a joué un rôle. Mais tout de même, j’aimerais demander à ces gens : « Comment aurions-nous pu savoir cela ? Comment aurions-nous pu utiliser un drapeau 13 années avant qu’il soit utilisé par de vraies personnes ? »
Comment avez-vous choisi ce drapeau ?
Nous en avons discuté avec Steven Moore, qui s’occupait des animations à l’époque. On a trouvé ce drapeau, qui existait dans les années 1930, mais sous une forme légèrement différente. Mais à ce stade de la réalisation d’un épisode, il faut prendre des milliers de décisions ; je ne me souviens même pas si j’avais approuvé ce drapeau ou pas.
Les paroles de « Drop da Bomb » mentionnent Saddam. C’était une allusion à l’Irak, ou le pays bombardé dans l’épisode était juste un pays du Proche-Orient parmi d’autres ?
Ça va peut-être vous choquer, mais nous n’avions pas d’idée précise de ce que nous faisions. Il n’était pas question pour nous de faire de la géopolitique. On a juste remarqué que « Saddam » faisait une bonne rime dans la chanson. C’est tout ce qu’il y a à comprendre. Je n’ai pas lu de bibliographie détaillée sur les conflits dans cette région du monde. J’ai juste voulu faire une rime. Ça peut paraître d’autant plus incroyable que c’était avant le 11-septembre, mais déjà à l’époque Saddam posait quelques problèmes dans la région. C’était une référence facile, et c’est un truc que j’aime.
Ce n’est pas la première fois qu’un épisode des Simpson se retrouve impliqué dans une théorie du complot. « Homer contre New York », par exemple, aurait prédit le 11-septembre. Dites-moi, à quoi ressemble le futur ?
[Rires]Il y a un moyen très simple de prédire l’avenir, c’est de regarder tous les épisodes des Simpson à leur sortie. Je connais quelqu’un qui pense que Les Simpson ont annoncé le résultat du Super Bowl de cette année. Dans un épisode vieux de 8 ans, il y avait un match entre Seattle et Denver, mais nous nous sommes trompés sur le score. Avec 552 épisodes, soit 226 heures de télévision, on va bien finir par tout prédire.
Ce qui est génial avec Les Simpson, c’est que ça touche un public très varié : des étudiants, des enfants, des gens un peu fous qui ont beaucoup de temps libre. Les épisodes sont devenus très faciles à trouver, ce qui fait que si des gens veulent trouver des interprétations fantaisistes de ces épisodes, ils en ont tout le loisir.
Vous avez déjà rencontré quelqu’un convaincu que Les Simpson sont au cœur d’un complot ?
On a tous rencontré un type qui vous a expliqué en postillonnant que le gouvernement américain « était derrière le 11-septembre », mais je n’ai connu quiconque pensant que Les Simpson pouvaient être tenus responsables de quoi que ce soit. Ça ne me déplairait pas – ça me ferait même plaisir de comprendre comment ils pensent, comment ils expliquent les choses.
Dans ce cas précis, les gens pensaient déjà que les États-Unis avaient joué un rôle dans l’insurrection syrienne ; cet épisode est juste apparu comme une preuve supplémentaire.
La question que je me pose, c’est pourquoi les États-Unis auraient envahi l’Irak s’ils avait été capables de provoquer une insurrection à distance ? Pourquoi n’ont-ils pas inséré des messages subliminaux dans un épisode des Pierrafeu ? Ça aurait pu être tout aussi efficace.
Plus sérieusement, la Fox travaillerait-elle aux côtés du gouvernement américain pour déstabiliser les pays du Proche-Orient ?
Vous savez, la Fox est juste un élément dans un complexe médiatico-industrialo-militaire visant à préserver le statu quo. Tout le monde le sait. Mais le problème des théories du complot, c’est qu’elle suppose une coordination parfaite entre des centaines et des milliers de personnes qui joueraient leur rôle à la perfection tout en sachant garder un gigantesque secret. D’après ce que j’en sais, c’est déjà compliqué d’avoir sa commande quand on va manger dans un fast-food. Et de tout temps, les gens ont été incapables de garder un secret.
Suivez Angelina Fanous sur Twitter.