Dans notre série Occuper pour résister, on s’immerge dans des lieux occupés pour tenter de comprendre comment les gens s’organisent et militent pour leurs droits.
Tout ce qui se rapporte aux squats est toujours plus ou moins synonyme d’« invisible ». Beaucoup de gens ne voient pas les bâtiments quand ils passent devant, comme ils ne savent rien des existences qui les occupent. D’une manière ou d’une autre, « l’évolution » de la société a fait en sorte que c’est plus naturel de tracer sa route solo. Dans les villes, certains squats sont les seuls lieux où les complexités se forment encore, entre des gens qui ont de multiples raisons différentes d’y vivre ensemble : pour la lutte militante ou par pur dépit, par exemple.
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« Si tu montres jamais ce qu’il se passe, les gens ont l’impression que ça n’existe pas. » Quelque part en Wallonie – les personnes photographiées tiennent à garder le lieu secret -, Renlo (21 ans) a capturé ces énergies qu’elle qualifie de « créatives » et « destructrices », tous ces trucs changeants et multiples qui ne sont dictés par aucune logique. Cette série photo, dont elle a fait un bouquin, elle l’a composée sur une année au gré des allers-retours dans un squat : « Parfois on se fait chier, on tourne en rond, on se rend bien compte que ce petit monde n’est rien à lui tout seul. Il existe grâce à sa lutte contre le grand monde. Souvent, on rigole, on apprend à vivre ensemble. »
VICE a demandé à Renlo comment et pourquoi elle a voulu mettre tout ça en lumière de façon esthétique.
VICE : Salut Renlo. Comment t’en es arrivée à faire une série photo d’un squat ?
Renlo : Je me suis retrouvée là-bas via des rencontres ; je connaissais pas du tout ce milieu avant, mais ces gens sont aussi devenus des potes. Je me suis intéressée à leur monde et c’est petit à petit que j’ai voulu documenter leur quotidien.
Pourquoi ces personnes ont décidé d’aller en squat ?
En gros, les gens du squat sont là pour trois raisons : la lutte politique, l’indépendance ou par nécessité. Y’en a qui vont là par choix politique, pour montrer qu’il y a des bâtiments abandonnés et que ça craint parce que plein de gens pourraient y être logés. Certain·es vont jusqu’à dire que le logement devrait être gratuit car c’est un droit, et qu’il ne devrait pas y avoir de propriétaires.
Après, il y a d’autres personnes qui sont dans des situations précaires, il y a pas mal de jeunes mais il y a aussi des personnes plus âgées. Pour les jeunes, quand t’as pas de thunes, c’est une manière d’être indépendant·e des aides sociales, de ta famille ou autres. Même s’il y en a quand même qui touchent ces aides, qui travaillent ou qui sont aidé·es par leur famille, d’autres seraient clairement à la rue s’iels n’avaient pas les squats.
Il faut savoir qu’il y a pas mal de migrant·es aussi, qui n’ont pas vraiment d’attache en Belgique. Iels se retrouvent ici via le bouche à oreille et ces personnes-là, par contre, n’ont pas spécialement envie d’être en squat. Elles ne voient pas ça comme une manière de s’épanouir ou comme un but politique ; c’est plus une question de survie.
Ça fait beaucoup de profils différents. Y’a quand même une sorte d’énergie commune ?
Bah c’est très changeant. C’est une série photo que j’ai faite sur un an, et je remarque que l’énergie évolue. Il y a une familiarité entre les gens, car ils partagent un quotidien et commencent à se connaître, même si tou·tes ne sont pas toujours potes. Il y a des énergies de création comme de destruction. Il y a des choses assez contradictoires qui cohabitent, du fait de ce que je te disais avant, parce que les gens n’ont pas les mêmes objectifs. Il y en a pour qui c’est une fierté et qui ont envie de créer des choses, et pour les autres qui sont là par défaut, l’envie est moins présente. Il y a un espace commun et les gens se croisent beaucoup. Il y a plein de fois où j’y suis allée et tu sentais que tout le monde était content ce jour-là, et puis un autre jour tu sens qu’il y a de la morosité dans l’air. Comme dans une maison ou une colocation, quoi. Une vie en communauté, ça impacte tout le monde.
Comment s’organise l’autogestion ?
L’idée de base c’est que tout le monde fait de tout. Mais bon, c’est très idéologique et théorique. En réalité, les tâches s’organisent surtout en fonction du statut des personnes. Celles qui n’ont pas de papiers ne peuvent pas faire des contrats d’électricité ou d’eau ou bien gérer les problèmes avec la justice, par exemple. Le principe du « tout le monde fait de tout » et les rôles tournent, c’est super difficile à appliquer, mais il y a de la solidarité. Une personne paie l’électricité tous les mois, et les autres remboursent. Pour la nourriture, iels essaient de fonctionner ensemble, mais bon, ça aussi, c’est pas facile à appliquer.
Tes photos sont accompagnées de poèmes. C’est pour amener une dimension moins factuelle au projet ?
J’aime bien écrire aussi. Dans mon prochain projet, j’aimerais écrire davantage. Je vais continuer à documenter les squats, mais je veux être moins dans le poétique et plus expliquer clairement les choses.
C’est un élément que tu changerais à ce projet-ci si c’était à refaire ?
Non. Par contre, je me suis rendu compte que les photos que j’ai mises dans mon livre sont peut-être trop « esthétisées » et même un peu mystérieuses. Je me demande si je vais pas justement faire des photos plus terre à terre. Mon propos évolue, comme les gens que je photographie en fait.
Qu’est-ce que t’entends par « Un organisme schizo se déplace dans un bazar de possibles infirmes » ?
L’organisme, c’est le collectif. Et ce collectif, il est super schizo. Comme je t’expliquais, ya des moments ou c’est intense ce qu’il se passe là-bas. Y’a des voix de partout, t’as envie d’écouter tout le monde, mais tu ne peux pas en fait. Même moi, en tant que photographe, j’ai du mal à garder une distance. J’aimerais bien en avoir plus. Et « se déplace », c’est parce que je vois ça comme une espèce de masse qui se déplacerait dans la ville de squat en squat vu qu’iels se font souvent expulser.
Est-ce qu’il y a une fatigue de la révolution qui se fait ressentir parfois de la part des squatteur·ses ?
Oui bien sûr, c’est un problème récurrent. Quand t’essaies de faire un topo sur le monde, t’es tout le temps confronté·e à ce qui ne va pas et c’est fatiguant. Il y en a souvent qui partent et d’autres qui arrivent. Les gens qui sont là ont déjà une fatigue de la vie normale – je parle des personnes qui sont là par choix évidemment, parce que celles qui sont là contre leur volonté, bah ce qu’iels veulent c’est un appartement et un CDI.
Tu peux m’expliquer le but de ta démarche?
Cette série photo, c’est pour montrer que tout ça existe. Montrer aux gens qui connaissent pas, qui font des études ou qui travaillent qu’il y a autre chose, en fait. Je fais ça aussi pour les familles des squatteur·ses. Ce sont des gens qui, d’habitude, vont pas se montrer, pour des raisons diverses. Mais l’anonymat ça peut jouer en ta défaveur. Si tu montres jamais ce qu’il se passe, les gens ont l’impression que ça n’existe pas.
Vous pouvez commander le livre « Entre les mondes » via le compte Instagram de Renlo.
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