Les erreurs fondamentales de Jordan Peterson

Il ne fait aucun doute que Jordan Peterson vit son heure de gloire. Son ascension, de professeur de psychologie à l’Université de Toronto à commandant en chef dans l’actuelle guerre culturelle entre passéistes et progressistes menée notamment sur YouTube, a été si saisissante que l’on ne peut que se demander quand une université proposera un programme consacré à sa pensée.

Son livre 12 Rules for Life: An Antidote to Chaos, un guide de croissance personnelle axé sur la responsabilisation individuelle pour avancer dans un monde injuste, dans lequel il appuie ses arguments sur des mythes et des archétypes scientifiques et religieux (soigneusement sélectionnés), a dépassé les 300 000 exemplaires vendus aux États-Unis, selon Publishers Weekly.

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« Je suis complètement sous le choc, a-t-il dit à propos de sa soudaine célébrité au cours d’une entrevue par Skype, depuis ce qui semble être une pièce exceptionnellement rangée dans sa résidence de Toronto.

Alors, comment en est-il arrivé là et que dit sa popularité au sujet de notre époque? Y a-t-il de la substance dans son message? En s’adaptant au monde tel qu’il est et en respectant ses inflexibles règles, peut-on réellement se débarrasser du ressentiment et parvenir à une vie non pas heureuse, car c’est une illusion, mais qui a un sens? Ou serait-ce juste une philosophie individualiste de comptoir et une vaine tentative de marier les connaissances scientifiques et les vérités prétendument éternelles que portent les fables religieuses?

Il y a eu deux événements catalyseurs dans l’improbable montée en puissance de Peterson. La première, c’est son opposition au projet de loi fédéral C-16, visant à ajouter l’identité et l’expression de genre aux discriminations proscrites par la Loi canadienne sur les droits de la personne, ainsi que son refus d’employer un pronom personnel privilégié par une personne trans. C’est « l’imposition d’un vocabulaire », selon lui, symptomatique du discours politique des « guerriers de la justice sociale » et des « néomarxistes » autour de l’identité qui tiennent en otage les départements de sciences sociales et humaines corrompues dans le monde universitaire nord-américain.

C’en a fait une célébrité, et ses longues conférences éclectiques sur un ton évangélique mises en ligne YouTube ont ensuite été dévorées par une audience principalement composée de jeunes hommes à la dérive au milieu des incertitudes d’une nouvelle ère de rectitude politique et sexuelle. En Peterson, attirés par le vernis de rigueur scientifique duquel il recouvre ses arguments en faveur des rôles traditionnels des hommes et des femmes, ils ont trouvé des assises psychologiques familières. « Ne pas être fan de Peterson », a tweeté Paul Joseph Watson, complotiste et collaborateur d’Infowars, un site spécialisé en théories du complot et en désinformation, « c’est comme ne pas être fan du chocolat ou du beau temps. Humainement impossible. »

En dehors du fait que ses arguments touchent une corde sensible d’une génération de jeunes conservateurs formés sur Reddit, il n’est pas très difficile de comprendre les autres raisons de cet intérêt pour lui. Les temps changent de nos jours plus vite que jamais – géopolitiquement et technologiquement – et l’humanité cherche sans cesse des repères. Appelons ça la « stratégie Cambridge Analytica » : on sème la confusion et l’anxiété par la désinformation délibérée et on regarde ensuite le monde courir vers les gourous. Les guides de développement personnel se vendent alors très bien, et dans la sphère politique comme dans le domaine de la psychologie, nous sommes sensibles à l’influence des figures d’autorité qui apportent des réponses faciles. Douze règles pour la vie? Merveilleux.

De là le second événement derrière la célébrité stratosphérique de Peterson : sa désormais célèbre entrevue de 30 minutes à Channel 4 avec Cathy Newman le jour du lancement de son livre au Royaume-Uni, vue sept millions de fois sur YouTube en un mois. À cette occasion, d’après la réaction de ses partisans fanatiques, il a déconstruit les sottises progressistes sur les inégalités salariales entre les hommes et les femmes, le patriarcat et le droit d’offenser les autres. C’était, ont-ils dit, la science contre la pensée magique. Une chronique sur le site de Breitbart qui résumait bien l’impression au sein de la droite proclamait qu’il s’agissait d’une « victoire déterminante dans la guerre culturelle » en cours.

Que pense Peterson d’avoir été ainsi placé au centre de cette guerre culturelle?

« S’il n’en tenait qu’à moi, je préférerais ne pas parler de politique du tout, me dit-il. Je continuerais de faire ce que je faisais avant le dépôt du projet de loi C-16. Mais, quand le processus législatif se transforme, comme ça s’est produit au Canada, de façon à ce que les législateurs s’écartent de leur domaine, ça ne va pas. Je suis donc entré dans le sujet de la politique, et le problème, c’est que c’est un sujet clivant. Pour essayer de faire contrepoids, j’ai mis l’accent sur la responsabilité individuelle. J’espère qu’à la fin, les conséquences seront plus positives que négatives. »

Bien entendu, c’est fourbe de sa part de prétendre qu’il se mêle de politique à contrecœur. C’est précisément ce qui le motive à mener sa vendetta, qui vire de plus en plus à l’obsession, contre « les cultes d’endoctrinement » de la gauche « totalitaire » dans le monde universitaire.

Bien qu’il prétende qu’on lui a donné ce rôle politique, il a certainement porté cette croix avec enthousiasme. Sur Twitter, il fait continuellement circuler les opinions de think tanks aux sources de financement obscures qui se font passer pour des lobbyistes du secteur de l’énergie, comme Human Progress de Charles Koch, un groupe répandant l’idée trompeuse de la « richesse absolue », essentiellement un écran de fumée servant à faire passer les inégalités qui surgissent quand on analyse la richesse relative : tant que les gens ordinaires ne crèvent pas de faim, ils ne devraient pas se plaindre de la diminution de leur pouvoir d’achat ou du nombre de jets privés que quelqu’un possède.

Quand je signale à Peterson que de plus en plus de gens de la classe moyenne britannique se tournent vers les banques alimentaires, il répond que « ce n’est pas le résultat délibéré de politiques idéologiques » – comme l’austérité pour masquer l’astronomique transfert de capitaux vers le un pour cent, par exemple –, mais plutôt que « l’émergence de la classe moyenne chinoise et indienne s’est faite aux dépens de la mobilité sociale dans le prolétariat occidental », comme si c’était un gros jeu à somme nulle. En effet, chaque fois que Peterson en vient presque à reconnaître que des notions progressistes de base comme la redistribution de la richesse ou l’égalité des chances, il se cache aussitôt derrière son mantra : « Mais on ne connaît pas toute l’étendue du problème. »

Oui, c’est logique. On sait qu’il y a un feu, mais on n’en connaît pas tous les tenants et aboutissants, alors n’essayons pas de l’éteindre.

Photo : Rene Johnston, Toronto Star, Getty Images

Il en va ainsi de son livre, avec ses lieux communs sur la responsabilisation individuelle. C’est – et Peterson l’admet – une recette pour la conformité sociale, comme si tout ce qu’il fallait savoir pour bien organiser la société, c’est qu’il y a des normes et des codes hérités de notre passé commun à respecter.

Dans 12 Rules for Life, il nous dit que sa grande idée – que l’individu est au centre de la philosophie occidentale – lui est venue dans un rêve (comme sont aussi venues à son héros intellectuel Carl Jung beaucoup de ses idées). Il était en suspension sous le dôme d’une cathédrale, le centre d’une croix architecturale, ce qui « me plaçait au centre de l’Être lui-même, et il n’y avait aucune fuite possible. Il m’a fallu des mois pour en comprendre le sens… L’individu occupe le centre. Une croix marque le centre, comme un X sur une carte. L’existence au centre de la croix est une souffrance et une transformation – et l’on doit volontairement accepter ce fait, plus que tout. »

Il n’y a pas de doute qu’il est convaincu du bien-fondé de sa mission. Le ton toujours pontifiant de 12 Rules for Life fait penser au discours pré-assassinat de Samuel L. Jackson dans Pulp Fiction. Tout dans la vie selon cette théorie du conflit entre l’ordre et le chaos – que la « façon d’être appropriée » harmonise – est potentiellement hyper déterminant : par exemple, râteler les feuilles dans le jardin éloigne le chaos; garder une pièce en ordre chasse l’angoisse spirituelle, et ainsi de suite. C’est épuisant. Après avoir lu quelques dizaines de pages, on se sent comme si on était sur le rebord du toit d’un gratte-ciel et que quelqu’un nous sermonnait.

Mais le plus grand défaut du livre, ce n’est pas que les règles sont inutiles, banales ou vagues au point de ne vouloir rien dire (voir la troisième règle : Soyez ami avec des personnes qui veulent ce qu’il y a de mieux pour vous). Ce n’est pas non plus que certaines règles conduisent au désengagement politique, comme la sixième : Veillez à ce que votre foyer soit parfaitement ordonné avant de critiquer le monde (bref, les enfants n’ont pas à remettre le monde en question, ce qui pourrait être mal reçu par les survivants de la tuerie de Parkland, qui ont exprimé le souhait controversé de ne pas être massacrés dans leurs classes avec des armes militaires).

Non, le vrai problème, c’est le recours abusif à la science pour la mettre au service d’une vision politique; la description grotesque de ses opposants intellectuels; une absurde gymnastique logique et philosophique pour rendre ses notions scientifiques compatibles avec ses convictions religieuses (il n’a jamais vraiment montré ses couleurs en ce qui concerne ses croyances, se contentant de dire qu’il agit comme s’il était croyant); l’affirmation que la vérité scientifique diffère de la vérité religieuse (précisément l’argument du philosophe néomarxiste Jean-François Lyotard dans son livre La Condition postmoderne, ironiquement).

Prenons le premier chapitre (Tenez-vous droit, les épaules vers l’arrière), dans lequel il tire de la neurochimie du homard et du comportement social des chimpanzés des idées à propos du comportement socioculturel humain. Il soutient par exemple que nous sommes incurablement programmés pour tenir compte de notre position dans la hiérarchie de dominance (un terme qu’il remplace par « hiérarchie de compétence » pour des êtres plus complexes que des crustacés).

« L’idée fondamentale du premier chapitre, me dit-il, c’est de démontrer qu’on ne peut pas mettre les structures hiérarchiques sur le compte du sociopolitique. »

Toutefois, ses parallèles comportementaux entre les homards et les humains basés sur la sérotonine que l’on a en commun – comme dans l’entrevue de Channel 4, encore pour donner l’impression d’être une autorité scientifique – ont été expertement rejetés par le biologiste PZ Myers. Manifestement irrité par les raccourcis intellectuels de Peterson, ce dernier affirme qu’« il a fondé sa théorie sur des faussetés et des distorsions d’observations générales glanées dans la littérature scientifique. Il n’a pas démontré quoi que ce soit à propos des constructions socioculturelles. Non seulement il interprète mal les preuves scientifiques, mais il ne peut pas construire un argument logique… »

Pire encore, ajoute Myers, il y a des visées idéologiques derrière ses affirmations : « Peterson déforme les faits pour qu’ils correspondent à son objectif. C’est épouvantable de voir à quel point ce type dit n’importe quoi avec autant de confiance. Il vous ment. »

Tant pis pour la huitième règle : Dites la vérité – ou, du moins, ne mentez pas.

On n’adopte jamais un discours aussi idéologique que lorsqu’on ne croit pas le faire, et ainsi, quand Peterson écrit, au début d’un passage intitulé La nature de la nature : « l’évolution est conservatrice, c’est un truisme de la biologie » – à des fins entièrement idéologiques –, il fait d’une évidence de la lente marche de l’évolution une vérité indiscutable du fonctionnement de nos sociétés, et ce, en dépit de toutes sortes de facteurs importants qui rendent ce parallèle intenable. Premièrement, les animaux ne disposent pas du langage pour mitiger l’usage de la force (et ainsi faire reculer la hiérarchie de dominance). Plus important encore, chez les humains, les êtres dans un écosystème ne se conduisent pas aveuglément, guidés seulement par leur instinct, sans compréhension des ramifications globales de leurs actions. C’est faux au moins depuis que nous avons mis des satellites en orbite.

De plus, Peterson sait très bien que ce qu’on appelle « la survie du plus apte » n’est pas absolu : l’évolution n’est pas linéaire, et ce qui a été optimal (de lourdes armures, mettons, pour se protéger d’un prédateur) peut plus tard l’être moins (quand l’armure vous empêche de vous sauver d’un autre prédateur). Ainsi, quand on transpose cette notion à la sociopolitique, dans laquelle il est possible en principe d’effectuer des modifications globales et systémiques (des lois fiscales par exemple), « ce qui existait avant » pourrait ne pas être à l’avantage de l’humanité actuelle. Il est possible que ce ne soit plus un modèle incontestable dans le respect duquel nous devons vivre.

Par conséquent, même si je suis bien au courant du mépris de Peterson pour les guerriers de la justice sociale, je voulais savoir si, selon lui – dans ce cadre évolutionniste –, le socialisme et le féminisme ne pouvaient pas être considérés comme des adaptations en réaction à notre conscience de dangers comme le réchauffement climatique ou le modèle complètement irrationnel et insoutenable à long terme de la croissance rien que pour la croissance à la base du capitalisme (ainsi que le type de masculinité compétitive et accro à la prise de risques auquel il carbure). Il est brièvement d’accord, avant de faire marche arrière : « Le problème est beaucoup plus profond que le pensent les gens, et beaucoup des solutions créeraient plus de problèmes qu’elles n’en régleraient. » En d’autres mots, considérons le capitalisme comme naturel, un système à notre image. (Peterson estime par ailleurs que l’idée selon laquelle le capitalisme est la cause de l’inégalité est « dépassée depuis au moins une centaine d’années ». Stephen Hawking, à l’évidence, n’en a jamais été informé).

Il y a là assez pour qu’on fronce des sourcils devant le numéro de Peterson qui accuse les « néomarxistes postmodernistes » de ne pas s’appuyer sur la science. « Ne vous méprenez pas », a-t-il tweeté, sans donner du tout dans l’hyperbole, « l’objectif de la gauche radicale, c’est la destruction, et même la destruction de l’idée de compétence » (ce à quoi la réponse est évidemment : euh, et Trump?). Il dépeint si faussement – volontairement – ses adversaires intellectuels qu’il se permet de tweeter, sur un ton seulement à demi sarcastique, que « la science est une construction sociale, vous vous rappelez? Voilà pourquoi les avions volent. »

Si ce n’était qu’un cas de piège à clics sur YouTube ou une polémique au profit d’un podcast conservateur, ce serait plus facile à excuser, mais ces déformations de la réalité se retrouvent aussi dans ses conférences. Dans l’une, par exemple, il commence par un argument ad hominem dans lequel il décrit Michel Foucault comme un « inadapté vindicatif », et ajoute qu’« on ne pourrait pas trouver ou même imaginer une personnalité publique plus condamnable ».

J’ai donc voulu savoir si, nonobstant son implication jusqu’au cou dans la guerre culturelle, il ne se sentait pas l’obligation morale de décrire ces personnalités publiques plus fidèlement. En réponse, il me parle de l’inévitable simplification extrême à laquelle oblige « ce bordel de la question de l’identité dans le discours politique. La question, c’est : comment est-ce qu’on raconte son développement? Alors on dit, à la légère, attribuons ça au marxisme, d’abord et avant tout, puis à la combinaison du marxisme et de la sorte de postmodernisme proposée par Derrida et Foucault. On résume un problème incroyablement compliqué en à peu près 15 secondes. C’est sûr qu’il manque des nuances. Il y a un problème dans le discours politique au sujet de l’identité, et je pense que c’est un problème qui divise terriblement. »

La vidéo se termine par Peterson qui caricature les « néomarxistes postmodernistes » en disant que, selon eux, « la seule raison pour laquelle l’Occident fonctionne, c’est qu’on a violé le reste de l’humanité et de la planète », après quoi il laisse un éloquent et révélateur silence, avant de reprendre en disant, et c’est tout aussi révélateur, « que moins on en dit à propos de ça, mieux c’est ». Voilà peut-être pourquoi on ne trouve pas Capitalisme dans l’index de 12 Rules for Life ou pourquoi dans le récit des atrocités de l’histoire du monde il ne s’attarde pas trop sur l’esclavage, sur lequel s’est érigée la richesse de la grande civilisation américaine. Un péché par omission, dirait-il lui-même.

Il est aussi quelque peu curieux que, tout en caricaturant ses adversaires intellectuels et leur supposé rejet des preuves scientifiques, Peterson place sous les projecteurs Jung, un penseur dont les théories entièrement discréditées et sans fondement scientifique sur les archétypes universels découlaient de rêves ou de pseudo-recherches. Pour Pankaj Mishra, dans le New York Review of Books, l’invocation de niaiseries pseudoscientifiques place Peterson dans le groupe des « entrepreneurs intellectuels » et dans la lignée de la « mystique fasciste » (Peterson a avalé cette critique de travers).

En fin de compte, c’est ce conflit – et non celui éternel entre l’ordre et du chaos – que Peterson, malgré son travail, ne parvient pas à résoudre : d’un côté, le psychologue qui cherche (en apparence) des explications scientifiques et rationnelles; de l’autre, le partisan de mythes archétypaux présentées comme des « vérités objectives » censées guider notre conduite. C’est comme si sa propre quête l’avait amené à parcourir ces textes et qu’aujourd’hui, il se sent obligé de tout inscrire dans leur cadre ésotérique.

« Tout ce que je dis et pense au sujet de la religion s’inscrit dans un point de vue évolutionniste »,a dit Peterson, sans doute au fait qu’en psychologie évolutionniste, l’opinion généralement acceptée sur l’émergence des croyances superstitieuses et religieuses, c’est que, pour nos ancêtres, confrontés à un univers infiniment complexe et terrifiant, imputer à des dieux et des esprits anthropomorphisés qu’on pouvait apaiser (par des sacrifices, l’obéissance et ainsi de suite) réduisait l’anxiété. Pour ce qui est de nous et de nos gourous modernes, des demi-vérités qui ne tiennent pas debout sont préférables pour être un citoyen fonctionnel à l’incertitude chronique. La quête de sens – l’un des « instincts fondamentaux », dans les mots de Peterson – ne mène pas à la preuve de l’existence de Dieu, mais Dieu est le résultat de la quête de sens (c’est-à-dire le besoin de donner un sens pratique à sa vie). Et un résultat plutôt primitif. De la même manière, si nos ancêtres voyaient l’univers comme un conflit entre l’ordre et le chaos, ce n’est pas nécessairement ce qu’il est réellement. C’était leur meilleure supposition, compte tenu de leur manque de connaissances scientifiques.

De toute façon, la solution aux épreuves de la vie n’est pas de changer le monde – joue le jeu, ne change pas les règles! – mais, quand il nous encourage à suivre la septième règle : Faites ce qui a un sens pour vous, il veut dire : ce qui a un sens… dans le respect de la hiérarchie des valeurs à la base de l’ordre qui est le nôtre, c’est-à-dire « la tribu, la religion, la maison et le pays. C’est dans la chaleureuse sécurité d’un salon qu’un foyer illumine et où les enfants jouent. C’est le drapeau du pays. C’est la valeur de la monnaie nationale. C’est la richesse des traditions. Les rangées de pupitres dans les classes. Le train qui arrive à l’heure. L’ordre, c’est Dieu le Père, le juge éternel, le gardien, celui qui donne les récompenses et les punitions. L’ordre, c’est l’armée de policiers et de soldats. C’est la culture politique, l’environnement commercial, le système. »

Devenez des individus, mais d’une façon qui ne trouble pas cet ordre symbolique, dit-il à ses fidèles. C’est une idée de l’individualisme assez proche de ce que nous vend sans cesse le capitalisme consumériste. Penser différent, selon Apple.

Une philosophie de responsabilisation individuelle, c’est une chose, mais en affirmant à répétition que notre destinée d’individu est avant tout une affaire de meilleurs choix de vie et de conformisme – en insistant sur le mythe du self-made-man – il minimise la grande importance de la politique et de l’économie dans notre vie, mais en plus il nie la malléabilité de cette réalité : « C’est ainsi. Acceptez-le. »

Et pourtant, alors que 12 Rules for Life dépolitise d’un côté, ses actions disent autre chose.

« Quand on entre dans la sphère politique, on prend le risque de contribuer au clivage et à l’instabilité, estime Peterson. Mais en s’abstenant, on risque de subir les conséquences de l’abstention et de l’inaction. J’ai donc pris le premier risque. Et c’est certainement un risque. J’ai essayé de rester le plus raisonnable possible. Il n’y a aucun doute que j’aurais pu l’être davantage. J’essaie continuellement d’apprendre à l’être davantage. Je peux compter sur des gens autour de moi qui regardent ce que je fais et critiquent ce que je fais avec une extrême intensité. Y compris ma famille. Je porte attention aux commentaires et j’écoute quand je vais donner des conférences. Mais, même si j’essaie d’être aussi raisonnable que possible, ça ne veut pas dire que j’y arrive aussi bien qu’on pourrait l’espérer. Ça, c’est certain. »

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