« Qu’est-ce que c’est un photographe ?, aboie le vieil homme. Est-ce que c’est un type de chien ? Est-ce qu’il voudrait rencontrer mon berger allemand ? Ils feraient de beaux petits… »
On m’avait prévenu que Tony Burns, l’entraîneur septuagénaire du légendaire club de boxe The Repton était « un peu chelou ». « Peu importe ce qu’il dit, m’avait averti un ancien mec du Repton au téléphone, juste rigole et t’auras pas de problèmes. Il est comme ça… »
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Beaucoup de boxeurs deviennent un peu timbrés en vieillissant – ça a peut-être à voir avec le fait qu’ils se sont pris des gnons dans la gueule à répétition pendant des années. Mais quelque part dans le cerveau traumatisé de Tony Burns réside le secret de la victoire. Parmi tous les clubs de boxe amateurs britanniques qui se vantent d’être des « producteurs de champions », le Repton est le seul qui peut vraiment revendiquer cette appellation. Pendant des années, le club a formé des centaines de champions, et Tony Burns en a coaché plus de 200.
« Chaque jour, il y a une centaine de gamins ici, qui boxent et qui transpirent, raconte Burns pour expliquer le succès du club. Je les regarde et je pense : lui il est pas mauvais, lui il est pas mauvais, lui il est pas mauvais. Ce sont tous des gamins talentueux – pour la plupart des Travellers [une communauté nomade irlandaise, ndlr]. On a toujours eu une salle remplie de jeunes gars… Ils ont ces capacités naturelles. »
De l’extérieur, le Repton ne paye pas de mine : un tas de briques un peu déprimant niché dans le quartier de Brick Lane, un lieu qu’on pourrait facilement prendre pour des toilettes publiques. Et c’est ce qu’il était, en un sens, à une certaine époque. A l’intérieur, la hauteur de plafond, le carrelage, et les arches élégantes révèlent le passé du lieu : des bains-douches de l’ère victorienne.
Le ring au centre du gymnase doit être un endroit exceptionnel et un peu intimidant pour les gamins qui s’y entraînent. Sur tous les murs, des rangées de héros passés par le club affichent leurs plus beaux sourires en photo. Il y a là John H. Stracy, qui fut champion du monde des poids welters avec 37 KO au compteur ; Audley Harrison, médaillé d’or olympique ; un trio d’anciens champions du monde des poids moyens, Maurice Hope, Darren Barker et Andy Lee (ce dernier ayant été le premier Traveller à remporter un titre mondial) ; Ray Winstone, l’acteur qui joue des rôles de brutes et qui, quand il était à Repton, a remporté 80 combats sur 88; et enfin, peut-être les plus intimidants du lot, les jumeaux Kray.
Ronnie et Reggie Kray sont deux des enfants les plus tristement célèbres de l’est londonien. On se souvient plutôt d’eux comme gangsters, eux qui ont provoqué des incendies, pillé, extorqué de l’argent et tué. Une fois, ils ont poignardé tellement de fois un gangster rival que son foie est tombé sur le sol. Ils l’ont donc jeté aux toilettes et tiré la chasse. D’autres se souviennent d’eux comme des héros de la communauté. A part quand il leur arrivait ponctuellement de déverser des organes sur le trottoir, il paraît que les rues étaient débarrassées de la vermine et les gosses en sécurité grâce à eux.
Peu importe ce qu’ils sont devenus, des héros ou des bandits, ils ont commencé comme boxeurs et s’entraînaient au Repton. Tony se souvient d’eux comme de « mecs sympa. »
« Ils étaient très bons, raconte-t-il. Non, pas très bons, mais plutôt bons. Vous n’auriez pas mis des mecs contre eux sur le ring. Pas s’ils attendaient des gosses, si vous voyez ce que je veux dire. Fallait faire gaffe… Reggie était un peu plus talentueux que Ronnie. Ronnie était vraiment un excentrique. Ne mettez pas ça dans le papier ! Ah non, c’est vrai, ils sont morts ! Hahaha ! »
L’histoire des jumeaux Kray est révélatrice de l’inquiétante réalité derrière le succès du Repton. « Par ici, Tony a déjà déclaré par le passé, il y a deux choses qu’un enfant d’ouvrier peut faire : voler ou boxer. » La situation n’est pas aussi terrible que ça, mais il n’y a pas de doutes que pour beaucoup de gamins qui habitent aux alentours du club, les opportunités sont limitées. Tower Hamlets, le quartier de Londres où se trouve le Repton, a le plus haut taux de pauvreté infantile du Royaume-Uni, et, grâce aux coupes dans le budget gouvernemental, les clubs de jeunes de Grande-Bretagne ferment les uns après les autres, à une vitesse d’environ une centaine par année ces derniers temps. Le Repton est l’un des derniers espoirs.
« Les juniors de ce club – beaucoup sont des gamins du voyage, raconte Gary McCarthy, coach né à Belfast. Dès qu’ils arrivent à marcher, on leur enfile des gants de boxe. La boxe… ça leur donne quelque chose à faire – parce que beaucoup n’ont pas grand chose à faire, ils ne vont pas à l’école, généralement, donc un club de boxe, c’est presque leur école, ils y mettent toute leur énergie. Et leurs parents mettent toute leur énergie là-dedans aussi. On ne les autorise pas vraiment à sortir. »
Sortir les enfants de la rue, est « intégral à ce que l’on fait, dit-il. Nos séniors sont au gymnase trois soirs par semaine, parfois quatre sessions par semaine. Ils peuvent venir ici et ils n’auront pas de problèmes. Ils s’améliorent en réalité. On leur apprend la discipline, ils apprennent le self-control, la boxe, et ça leur apporte des trucs. »
La réputation du Repton n’a pas toujours été si positive. On dit parfois que les boxeurs sont daltoniens – ou que les seules couleurs qui les intéressent sont le rouge et le vert du sang et de l’argent – mais au Repton cela n’a pas toujours été le cas.
Quand la famille de Maurice Hope a déménagé d’Antigua vers la Grande-Bretagne en 1961, il est devenu l’un des premiers non-blancs membres du club. « Je me souviens qu’un mec m’avait craché au visage, rapporte-t-il dans le libre d’E. Cashmore, Black Sportsmen. J’étais dans la douche et ils me poussaient, ils me poussaient dehors en disant “dégage le Noir”. Ça m’avait choqué parce qu’en partant d’Antigua je n’avais aucune idée de ce qu’était la discrimination raciale, aucune idée… »
L’atmosphère dans la salle devient glaciale quand je commence à parler de ça. « Il a dit ça ? », grogne Burns. Ce silence est par bonheur brisé par un coup de téléphone. C’est Maurice Hope lui-même, qui passe le bonjour. Burns a l’air victorieux. « En ce temps-là, il y avait du racisme dans tous les sports, explique Gary McCarthy. La boxe ou le football, il y avait du racisme, c’est tout. »
Grâce en partie à la détermination de garçons comme Maurice, qui s’est battu pour sa place sur le ring – et qui deviendra par la suite champion du monde – les attitudes ont lentement changé.
L’enfant de l’East End Ray Winstone, qui est passé par le club environ une génération après Maurice Hope, a parlé dans le passé de l’importance de cela.
« Le truc à propos de Repton, avait-il dit, et à propos de la boxe en général probablement, c’est qu’il n’y avait pas de couleurs. Tout le monde était égal, et vous appreniez cela, parce que c’était vos coéquipiers. Et vous y rencontriez des gens que vous n’auriez pas forcément rencontré dans la rue parce que personne ne se mélange. Vous appreniez la morale, le respect et la discipline, et ça vous forgera un caractère pour le reste de votre vie.
J’y ai appris les bases, et ma vision de la vie dans ce gymnase. Tout ce que j’ai appris, je l’ai appris là-bas. Et c’est pourquoi je n’oublierai jamais ce club. »