Après des décennies de lutte, le sort de la controversée chasse sportive au grizzly dépend de ce qui se passera le 22 juin : pour la première fois depuis longtemps, un nouveau gouvernement dirigera la Colombie-Britannique.
En attendant, le débat entre chasseurs, guides, Premières Nations, entreprises d’écotourisme, scientifiques et conservationnistes s’intensifie. Selon un rapport récent publié par la Grizzly Bear Foundation, la survie à long terme des grizzlys dans la province est incertaine. L’organisme y présente les obstacles, comme les sources de nourriture et l’interaction entre humains et grizzlys, et demande que soit interdite la chasse aux trophées.
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Chaque année en Colombie-Britannique, les chasseurs tuent environ 300 grizzlys. D’après les estimations, leur population est d’à peu près 15 000 individus dans la province et 25 000 au Canada. Au fédéral, la situation de l’espèce est jugée préoccupante.
D’après un sondage récent de Insights West, 74 % des Britannico-Colombiens s’opposent à la chasse aux grizzlis. Ce sondage fait suite à une série d’articles et de documentaires comme Trophy et The Grizzly Truth de Tom Reissmann, dans lequel interviennent plusieurs opposants.
Pour le propriétaire de Grizzly Bear Ranch, Julius Strauss, qui guide ses hôtes dans la nature sauvage pour observer paisiblement les grizzlys, deux philosophies contradictoires concernant les grizzlys ne peuvent coexister : « Les deux cultures — ceux qui veulent voir les ours et reconnaissent leur nature et ceux qui veulent les tuer pour le plaisir, l’adrénaline ou se vanter, qu’importe — n’ont tellement rien à voir l’une avec rapport à l’autre qu’au point où on en est, on ne peut pas les conserver toutes les deux. »
En 2015, il a connu des problèmes financiers après qu’un chasseur a tué un grizzly de la région, affectueusement appelé Apple par les gens du coin. « Ce grizzly était un peu comme l’épine dorsale de notre entreprise. »
Selon lui, l’observation des ours est plus profitable que la chasse pour la Colombie-Britannique. Apple avait une valeur potentielle « de dizaines, peut-être de centaines de milliers de dollars pour la province ».
Toutefois, si l’observation des grizzlys peut rapporter plus de 13 millions de dollars par année selon des estimations, la Guide Outfitters Association of BC évalue que la chasse, en particulier celle au gros gibier comme le grizzly, rapporte plus de 120 millions de dollars par année.
Kathy MacRae, directrice principale de la Commercial Bear Viewing Association (CBVA), affirme pourtant que la fin de la chasse serait la meilleure décision pour la gouvernement d’un point de vue économique. La CBVA est en quelque sorte une alliance contre la chasse aux trophées. Elle établit des normes pour l’observation des grizzlys et aide à informer les guides. Elle souligne que la CBVA a donné plus de 3 millions de dollars à des projets de conservations des ours dans les 20 dernières années.
La chasse a aussi été remise en question par des groupes des Premières Nations et des organismes qui se sont prononcés contre la chasse pour des raisons éthiques. « Notre position sur la chasse aux ours en général, pas seulement aux grizzlys, est claire : nous ne l’approuvons pas, a affirmé Jess Housty, qui fait partie du Bear Working Group avec la Great Bear Initiative de Coastal First Nations.
« Le fait primordial, c’est que la Colombie-Britannique exploite ces chasses sur nos territoires non cédés, où les lois autochtones — les lois originales sur ces terres — sont claires : la chasse sportive n’est pas acceptable, poursuit-il. La science donne de l’information, pas la permission. Les arguments économiques ne priment pas sur les arguments éthiques. Éthiquement, la chasse aux trophées n’est pas en accord avec nos lois ancestrales. »
Jesse Zeman, porte-parole de la B.C. Wildlife Federation, pense que le débat à propos de l’éthique de la chasse est une « affaire d’avantages » pour les opposants. Il est aussi d’avis que le mot trophées ne correspond pas totalement à la réalité, car, d’après lui, les chasseurs de grizzlys consomment la viande de l’animal. La B.C. Wildlife Federation approuve la chasse, tant qu’elle ne met pas en péril la population de grizzlys.
Chad St. Amand, un chasseur de Colombie-Britannique, estime que l’éthique ou la morale est le seul argument des opposants. Mais c’est selon lui un argument bancal, car il assure lui aussi que la plupart des chasseurs qu’il connaît mangent la viande des grizzlys tués.
Il explique qu’il y a une sorte de fossé qui sépare le monde des villes et celui des régions rurales. D’après lui, il devrait y avoir plus d’échanges entre les deux. Il n’est cependant pas en désaccord avec toutes les propositions des coalitions qui s’opposent à la chasse. « En tant que chasseur, j’approuve totalement l’interdiction de la chasse dans la forêt pluviale de Great Bear. Il doit y avoir des zones dans le monde où on peut aller pour observer la nature et les ours sans les tuer. » Lui aussi dit que la chasse ne doit pas mettre en péril la population de grizzlys, mais que, d’après les données scientifiques actuelles évaluées par des pairs, il n’y a pas vraiment de preuve que la chasse n’est pas durable.
En fait, les études scientifiques sur la situation des grizzlys en Colombie-Britannique sont rares. Une étude publiée dans The Journal of Wildlife Managementen novembre 2016 conclut que, même si l’on observe un effet de la chasse sur la population de grizzlys, plus de données sont nécessaires pour confirmer qu’elle ne menace pas directement la pérennité de l’espèce.
Dans une précédente étude, effectuée à la Public Library of Science (PLOS ONE) et publiée en 2013, on avait évalué que la chasse aux grizzlys avait des conséquences sur la pérennité de l’espèce en Colombie-Britannique, en particulier entre 2001 et 2011, quand le nombre de grizzlys tués a augmenté. On suggère que plus de recherches doivent être effectuées pour mieux comprendre les effets de la chasse sur le taux de mortalité des grizzlys.
Kyle Artelle, une doctorante en biologie à l’Université Simon Fraser qui a beaucoup étudié les grizzlys, rappelle que l’on doit être prudent quand on associe la science à une position politique ou à une préférence. « Il est important de séparer ce que la science peut réellement nous dire et les questions d’éthiques. La science nous dit comment le monde fonctionne, et non comment il devrait fonctionner, dit-elle. Pour ce qui est des grizzlys, la science nous dit combien il y en a, elle nous donne un aperçu de ce que pourrait donner une décision relative à la gestion, mais elle ne peut pas nous dire si c’est bien ou mal. »
Même si l’avenir de la chasse aux grizzlys était déjà incertain, l’élection provinciale tenue en mai dernier a ajouté à la confusion. Le NPD et le Parti vert de Colombie-Britannique espèrent forcer la démission du gouvernement libéral minoritaire au vote de confiance. Mais des manœuvres politiques pourraient aussi conduire à de nouvelles élections.
Le NPD et les Verts ont tous deux affirmé qu’ils mettraient fin à la chasse aux grizzlys s’ils accédaient au pouvoir. Le gouvernement libéral a quant à lui déclaré qu’il interdirait la chasse dans la forêt pluviale de Great Bear, mais n’a rien dit au sujet du reste de la province.
Les nombreuses parties prenantes du débat sur la chasse aux trophées devraient surveiller de près ce qui se passera à compter du 22 juin.
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