À 16-17 ans, j’étais encore un kid s’abreuvant jour après jour de heavy metal de merde. Heureusement, juste avant d’être condamné à une existence Judas Priest, j’ai chopé une connexion Internet et pénétré un nouveau monde peuplé de groupes de punk insignifiants. Les bootlegs Killed By Death, puisque c’est désormais leur nom, m’ont fait comprendre que l’important n’était pas de vendre des millions de disques en short comme AC/DC, mais bien d’enregistrer un maxi pourri dans son garage avec un baladeur cassette.
L’utilisation du substantif « insignifiant » peut paraître extrême connaissant l’influence de la plupart de ces groupes, autant dans le son – qualifié de buzzsaw par les nerds du punk – que dans l’artwork déployé sur les pochettes de leurs rares EP. « Insignifiant », c’est surtout parcece qu’ils ont été avalés et dévalorisés par l’histoire du rock’n’roll. Mais au contraire des groupes importants à la T.Rex, leur musique est encore pertinente de nos jours.
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Certains ont malgré tout eu plus de chance que d’autres. Parmi ces groupes de ratés, les Dead Kennedys s’en sont sortis grâce à leur mélange d’humour de gauche, de hardcore écoutable et de travail acharné – c’est aussi eux qui ont révélé l’artiste Winston Smith. D’autres encore se sont lancés dans la production d’éphémères fanzines comme Mark Perry, frontman d’Alternative TV et fondateur de Sniffin’ Glue en 1977. Ils ont surtout montré comment péter la gueule à l’intelligenstia des baby-boomers, celle qui préconisait que pour réussir dans la musique, il fallait jouer des solos d’orgue d’une heure en se faisant sucer backstage par des meufs qui sont aujourd’hui vos mères.
Toxin III – I Rock I Ran (1982)
Avec les Normals, Toxin III est l’un des tout premiers groupes punk rock de Louisiane. C’est aussi le groupe qui a la meilleur pochette couleur jamais éditée. Je reconnais que les hippies d’Easy Rider avaient des burnes en arborant des cheveux longs dans le Bayou en 1969, mais ce n’est rien comparé au fait de jouer dans des clubs gay du sud des États-Unis en insultant tout le monde et en arborant simultanément un drapeau sudiste et une croix gammée.
The Users – Kicks In Style (1978)
Au lieu de s’essayer à une parodie de Johnny Rotten comme tous les groupes qui ont joué entre 1977 et 1979, les Users ont décidé de se libérer de la connerie nihiliste britannique pour en épouser une autre, américaine. Le groupe a dû observer de près les performances des Heartbreakers au Roxy en 1977, car leur pochette ressemble étrangement à cette photo datant de l’époque où Richard Hell supportait encore la tronche d’héroïnomane de Johnny Thunders.
Johnny Moped – No One/Incendiary Device (1977)
Chez les punks, il était commun de se foutre de la gueule d’Elvis. Sa mort s’est produite en plein âge d’or de la première vague du mouvement – août 1977 – pendant que punks et teddy boys se foutaient sur la gueule au rasoir sur King’s Road. Johnny Moped a été le premier groupe à réutiliser la typographie verte et rose du premier album du king, précédant de deux ans son utilisation sur la pochette de London Calling.
Rudi – Big Time (1978)
Au même titre que le whisky et la famine, la power pop est un truc d’Irlandais. On se demande comment un trou à rats aussi gris a pu engendrer les groupes les plus joyeux de la fin des années 1970. Car si les ruines industrielles de Manchester ont accouché de Joy Division et The Fall, le désert économique qu’était – et est toujours – l’Irlande a fécondé des déconneurs comme les Undertones, Protex, les Outcasts et Rudi. Pour compenser le manque de tristesse de leur musique, ils avaient foutu une momie sur leur cover. Mais comme ils adoraient être contents, ils ont quand même tenu à faire une blague en lui foutant du rouge à lèvres par dessus.
Nervous Eaters – Just Head (1979)
Les seuls trucs qu’il y ait à faire à Boston c’est manger du homard, frapper des descendants d’Irlandais ou monter un groupe de straight edge. En 1979, les Nervous Eaters étaient l’un des tout premiers groupes de punk du Massachussets. Sans surprise, tous les morceaux de cet EP donnent envie de se battre.
The Flesh Eaters – Disintegration Nation (1978)
Venant d’une époque où la « menace rouge » était encore en vigueur, les Flesh Eaters se sont parfaitement engouffrés dans l’état d’esprit de la scène early punk de la côte Ouest –la plupart des groupes, les Weirdos notamment, se moquaient de la peur communiste qui habitait la société américaine de l’époque. Là où les Anglais et les Français arboraient des brassards nazis pour faire chier les passants, les groupes left coast américains banquaient sur un futur apocalyptique et soviétique pour terroriser les yuppies libéraux de la classe moyenne.
Secret Prostitutes – S/T “7 (2008)
Le UK82 connaît actuellement un revival en Asie du Sud-Est, mais le meilleur groupe de langue indonésienne du monde vient de Houston. Les Secret Prostitutes, groupe parfait dans un style Killed by Death, comptaient dans leur rangs un batteur/chanteur qui s’exprimait exclusivement en indonésien. Même s’ils se font aujourd’hui réprimer par leur gouvernement, les crust punks de Jakarta et leurs patchs Exploited n’égaleront jamais l’affront provoqué par des types qui hurlaient des paroles inintelligibles devant des rednecks bourrés à la bière, médusés.
The Gaggers – Two Fingers Down My Throat (2010)
Le punk n’est qu’une succession de réinterprétations et de copies, aussi bien en termes de fringues que de musique. En 1977, tous les keums voulaient être 999. En 2010 il semblerait que les Gaggers aient essayé de devenir les Briefs. Ils ont voulu mettre du fuchsia et des pois partout dans leur iconographie pour faire oublier leurs tatouages horribles, ce qui est raté et les rend d’autant plus attachants.
Clone Defects – Blood On Jupiter (2001)
Un jour on m’a dit que les Strokes étaient les nouveaux Ramones et qu’ils s’apprêtaient à faire déferler une nouvelle vague punk sur le monde occidental. À l’époque où les New-Yorkais sortaient Is This It, Blood on Jupiter atterrissait quelque part à Detroit. Au-delà de leur son oscillant entre le protopunk de MC5 et la virilité des Dead Boys, les Clone Defects étaient avec les Spits les meilleurs héritiers du gunk punk des années 1990. Si plus de gens avaient écouté ce disque – aujourd’hui quasi introuvable – au lieu de caresser leur sexe sur « Soma », on n’aurait probablement pas eu à se taper la pire fratrie de connards que la terre ait jamais portée : le baby-rock.