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Les Inuits se battent avec le Canada et la Grande-Bretagne pour un trésor englouti dans l’Arctique

Sous les eaux gelées de l’Arctique canadien, de nombreux trésors issus de deux épaves de bateaux disparus il y a 170 ans attendent de refaire surface.

Des plongeurs ont récupéré un paquet d’objets provenant du HMS Erebus, l’un des deux navires qui avaient participé à la célèbre expédition Franklin. Elle avait pour but en 1845 de trouver un passage au nord du continent américain.

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Mais le gouvernement canadien, un territoire provincial, les Inuits de la zone et les Britanniques se disputent tous la propriété de ces reliques.

L’HMS Erebus a été découvert en septembre 2014, et depuis les autorités des Parcs fédéraux du Canada, le gouvernement fédéral du territoire Nunavut et les Inuits de l’ethnie Kitikmeot se disputent pour savoir qui aura le droit de récupérer les trésors à bord de ces épaves, explique la chaîne canadienne CBC. Même si l’épave du second bateau, le HMS Terror, n’a toujours pas été retrouvée, la bagarre juridique la concerne également.

Un plongeur remonte à la surface, à travers un trou creusé dans la glace. Photo via Parcs du Canada

Partis d’Angleterre pour traverser le Passage du Nord-Est jusqu’en Extrême-Orient, ces deux bateaux avaient été piégés dans la glace en 1846. Aucun des 129 membres d’équipage n’a survécu, et leur histoire est toujours entourée de mystère. Des recherches suggèrent que l’équipage bloqué avait eu recours au cannibalisme afin de survivre, en vain.

Depuis sa découverte en 2014, des plongeurs ont retrouvé — parmi plus de 50 autres objets — une partie du gouvernail du HMS Erebus, la crosse d’une épée, un canon, une cloche et la botte d’un membre d’équipage, dans les profondeurs océaniques au large des côtes du Nunavut.

Sir John Franklin, un officier de la Marine royale britannique, dirigeait cette expédition et les 129 membres d’équipage à bord de ces deux navires.

En septembre 1846, ces bateaux avaient été piégés dans les glaces de l’Arctique. L’équipage avait passé deux hivers sur l’île du Roi William, et en 1848 — après que 24 d’entre eux sont morts — ils avaient abandonné les navires. Les autres membres de l’expédition sont morts en cherchant de l’aide dans la toundra glacée.

Ces hommes sont morts de différentes manières, notamment à cause du froid, de la faim, du scorbut, de la tuberculose et d’une intoxication au plomb. Des entailles sur certains os retrouvés et des témoignages d’Inuits de la zone confirment l’hypothèse selon laquelle certains membres d’équipage ont eu recours au cannibalisme au milieu de cet environnement difficile et sans espoir.

Au départ, les Parcs du Canada avaient déclaré qu’ils n’avaient pas besoin de la permission du gouvernement du Nunavut pour plonger à la recherche des épaves. Mais ce gouvernement territorial voyait cela autrement, et s’est débrouillé pour faire pression sur l’agence fédérale afin qu’elle informe le Nunavut avant de récupérer les trésors qu’elle pourrait trouver sur le HMS Terror, d’après la CBC.

Dans une déclaration envoyée par email à VICE News, la porte-parole des Parcs du Canada, Kassandra Dazé, a indiqué que cette agence gouvernementale était en « bonne relation » avec le Nunavut, et avait « collaboré avec le Nunavut pendant plusieurs années sur les opérations liées à l’expédition Franklin ».

Un plongeur inspecte la partie centrale de l’épave. Photo via Parcs du Canada.

Cette porte-parole nous a confirmé que si les Parcs du Canada désiraient prélever quoi que ce soit à bord du HMS Terror — qui n’a toujours pas été retrouvé —, le Nunavut devrait d’abord approuver l’opération.

D’après la CBC, les Parcs du Canada avaient fait des concessions à contre-coeur en juin 2015, et avaient commencé à coopérer avec le gouvernement du Nunavut lors des sessions de plongée à la recherche de l’épave. Cette agence a plus tard réalisé que ses plongeurs auraient pu être arrêtés par la police fédérale s’ils avaient plongé sans autorisation.

Alors qu’un accord a été trouvé à propos de la collecte d’objets sur le HMS Terror, les Parcs du Canada continue d’affirmer que ses plongeurs peuvent se rendre sur l’autre épave à leur guise, sans avoir à obtenir l’autorisation du Nunavut.

« Aucune consultation du Nunavut n’est nécessaire en vue de récupérer les objets de l’épave du HMS Erebus », nous a indiqué Kassandra Dazé.

Interrogé à ce sujet, un porte-parole du Département de la Culture et du Patrimoine du Nunavut s’est refusé à tout commentaire.

Un plongeur inspecte l’épave. Photo via Parcs du Canada.

Ces deux agences gouvernementales ne seraient pas les seules à se disputer la découverte. Les Inuits Kitikmeot et les Britanniques estiment eux aussi qu’ils ont leur mot à dire concernant les objets retrouvés sur ces navires.

D’après l’Article 33 de l’Accord de propriété du Nunavut, les trésors retrouvés sur le territoire de la Communauté du Nunavut appartiennent à la fois aux Inuits et au gouvernement — même si on ne sait pas clairement de quel « gouvernement » il s’agit — tant que la zone en question n’est pas administrée par les Parcs du Canada.

Fred Pedersen, un porte-parole de l’Association des Inuits Kitikmeot, a indiqué à VICE News que les objets à bord avaient une valeur historique pour les Inuits, car ce sont ces derniers qui avaient guidé les marins de l’expédition Franklin, et qui les avaient aidé à passer l’hiver dans le Nord.

Pedersen désire que ces objets, qui se trouvent pour l’instant à Ottawa, soient transférés dans le Nunavut pour être exposés en tant qu’attraction touristique. Il nous a toutefois indiqué que ce territoire n’a pas encore de musée ou de lieu approprié pour exposer ces trésors.

De leur côté, les Britanniques brandissent un accord de 1997 avec le Canada, qui stipule que la propriété des épaves et de leur contenu leur revient. Les Britanniques ont accepté de céder l’intégralité de ces objets au Canada — sauf l’or qui pourrait être découvert. D’après cet accord, toute quantité d’or découverte devrait alors être partagée entre ces deux pays. Les Britanniques peuvent également choisir et récupérer des objets « d’importance capitale », d’après l’accord de principe.

Un canon de six livres pendu sous la glace. Photo via Parcs du Canada.

Fred Pedersen estime que l’Article 33 devrait supplanter l’accord de principe de 1997 entre les Canadiens et les Britanniques. Pour l’instant, aucun de ces textes ne prévaut officiellement sur l’autre.

À l’ombre de cette bataille juridique à propos des épaves se joue une lutte plus discrète pour le contrôle de l’Arctique. En 2008, le gouvernement conservateur canadien s’est lancé dans le financement des expéditions pour retrouver ces deux bateaux disparus, alors même que le Canada, la Russie et d’autres nations commençaient à se disputer au sujet de la souveraineté sur la région arctique, le Canada estimant que ses territoires s’étendaient jusqu’au Pôle Nord.


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Cet article a d’abord été publié sur la version en anglais de VICE News.

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