Au milieu d’une pièce nue, quelque part dans le Musée national des Sciences japonais, une forme humanoïde s’agite, éclairée par un unique spot et éblouie par les flashs stroboscopiques des spectateurs photographes. Sur le buste humanoïde, seuls le visage, le cou et les avant-bras sont vêtus d’une peau artificielle siliconée. Le reste n’est qu’un assemblage de pièces métalliques. Planté devant les spectateurs, l’androïde mouline des bras dans une danse erratique. Les mouvements sont morcelés, illogiques, les attitudes impossibles à transcrire en grammaire corporelle humaine. Bizarrement, écrit Mat Smith d’Engagdget, « on sent qu’il y a une présence vivante qui n’est ni humaine ni robotique. » D’autant plus que la bête émet des sons d’un autre monde, des sortes de respirations mécaniques continues qui contribuent à insuffler ce semblant de vie. Ca tombe bien, c’est exactement le but.
Car le plus intéressant, chez Alter, ce n’est pas son apparence – le Japon s’est fait une étrange spécialité de créer des androïdes d’un réalisme angoissant, notamment à l’université d’Osaka – mais bien son fonctionnement : contrairement aux robots traditionnels, programmés ou contrôlés par un opérateur humain, Alter est entièrement indépendant dans ses choix. Il « pense », ou du moins fonctionne grâce à un processus de pensée extrêmement simplifié, ses décisions étant prises par un réseau de neurones. Une IA, couplée à un corps robotique, qui fait que techniquement, le robot vit.
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En lieu et place des muscles, 42 vérins pneumatiques se chargent de déplacer les différentes parties de son corps ; à la place des cinq sens, des capteurs détectent la proximité d’autres corps, la température de la pièce et le taux d’humidité de celle-ci (pourquoi pas). En fonction de ces variations, un « générateur de motifs central » (central pattern generator, ou CPG) remplace le cerveau, et s’occupe de formuler des commandes grâce au réseau de neurones. Comme l’explique Mat Smith d’Engadget, le réseau de neurones logé dans le crâne de l’androïde possède plusieurs modes de mouvement, passant d’amples et lentes gesticulations à un mode « chaos » un tantinet épileptique. Si les senseurs détectent que la densité de population augmente dans la pièce, le torse se met à frissonner, ce qui est bien évidemment une réaction parfaitement normale pour un être humain.
Derrière cet embryon de cerveau, les chercheurs de l’université d’Osaka, et le responsable du projet Kohei Ogawa ont appliqué la structure du neurone d’Izhikevitch, un modèle de neurone artificiel basé sur un système de réaction par stimuli : lorsque le neurone perçoit des changements dans l’environnement, il envoie un pic de signal qui se transmet à d’autres neurones, et ainsi de suite, jusqu’à ce que l’ensemble du système applique un mouvement pour interpréter ce changement. Quant au générateur de mouvement, le fameux CPG, Engadget le décrit comme des « couples de pendules », l’un tapant un autre qui en tape un autre et ainsi de suite. Grâce à cette structure, Alter a une autonomie de mouvement garantie et développe son propre rythme sans aucune influence humaine. Alter se fout de ce que vous lui racontez, il fait ce qui lui chante, même si ça n’a souvent aucun sens. Du moins pour nous, êtres désespérément biologiques.
Pour le moment, le projet est resté exposé une semaine au musée et a pour simple vocation de personnifier les avancées croisées de l’IA et de la robotique, ne serait-ce que pour mieux mesurer le temps qui nous sépare de leur inévitable et passionnelle union. Mais, avec les avancées récentes des réseaux de neurones, on s’imagine bien qu’Alter ne restera pas éternellement cette sorte d’aberration désordonnée qui réagit à son environnement comme un type sous acide balancé dans un centre commercial un jour de soldes d’hiver. Bientôt, les neurones d’Alter finiront pas piger ce qui se passe autour de lui, et apprendront même comment réagir en conséquence. Et qui sait, les étranges gargouillis sinusoïdaux venus d’outre-tombe qui sortent de sa bouche se changeront peut-être alors en mots. Et, seulement alors, nous saurons si nous devons paniquer.