Dans les dernières années, le citoyen lambda pouvait se permettre d’ignorer ce qui se passait dans la capitale fédérale américaine, car la plupart du temps elle se barrait elle-même la route. Depuis le 20 janvier, ce n’est plus le cas. Le président Trump contrôle la Maison-Blanche, et les Républicains la Chambre des représentants ainsi que le Sénat.
Comme les décisions prises par la nouvelle administration auront des répercussions partout dans le monde, il est désormais impératif de surveiller attentivement ce qui se passe à Washington. Depuis l’investiture de Trump, VICE examine chaque nouvelle loi et chaque nouveau décret présidentiel, et voici ce qui a déjà changé.
20 janvier
Décret présidentiel : Réduire le fardeau économique que représente la Patient Protection and Affordable Care Act avant de les abolir
Ce premier décret de Trump donne le ton. Une attaque directe à l’Obamacare, mais de façon vague : il autorise les agences fédérales à ne pas appliquer, à appliquer avec des exemptions ou à reporter l’application des règles relatives à l’Affordable Care Act qui, selon elles, représentent un fardeau législatif ou financier pour elles-mêmes ou pour des citoyens. Il pousse aussi les agences à favoriser le libre-échange entre les États en ce qui a trait aux assurances et à la santé, en plus de laisser autant de flexibilité que possible aux États.
Comme beaucoup des exigences de l’Obamacare sont inscrites dans la loi, un président ne peut les changer à son gré. Mais des observateurs prévoient que, si l’obligation pour la population de se procurer une assurance tombe n’est plus rigoureusement appliquée, des personnes en bonne santé pourraient décider de ne plus se procurer d’assurance et ce marché pourrait s’en trouver moins stable.
Projet de loi du Sénat 84 : Permettre une exception au critère selon lequel la personne nommée au poste de Secrétaire à la Défense doit être à la retraite du service militaire actif depuis au moins sept ans
La première loi signée par Trump permet exactement ce qu’elle dit. Aux États-Unis, on ne peut nommer une personne au poste de Secrétaire à la Défense que si elle a quitté le service actif depuis au moins sept ans. Or il avait choisi pour ce poste le général à la retraite James « Mad Dog » Mattis, qui n’a quitté l’United States Marine Corps qu’en 2013. Avec ce changement, le président peut maintenant le nommer même s’il ne répond pas à l’exigence. Et voilà.
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23 janvier
Directive présidentielle : Retirer les États-Unis de l’accord de Partenariat transpacifique
Comme le Partenariat transpacifique (PTP) n’était pas en vigueur et n’aurait probablement jamais été ratifié par le Congrès, concrètement, ça ne change rien. Mais elle tue dans l’œuf cet accord de libre-échange auquel travaillent depuis près d’une décennie les États-Unis et 11 autres grandes économies autour de l’océan Pacifique.
Les opposants du PTP affirment que l’abandon de ce partenariat aide à garder aux États-Unis des emplois à long terme en maintenant en place des barrières économiques internationales à la délocalisation. Pour leur part, les défenseurs du PTP estimaient que les emplois perdus auraient été compensés par de nouveaux emplois aux États-Unis, et que l’accès à de nouveaux marchés, la réduction des coûts d’importation et le renforcement de la sécurité des droits de propriété intellectuelle américains auraient enrichi le pays plutôt que l’appauvrir.
Directive présidentielle : Geler l’embauche au gouvernement fédéral
Trump impose une suspension indéfinie des embauches dans les agences fédérales, à l’exception de celles qui ont des fonctions relatives à la sécurité nationale. Durant sa campagne électorale, il avait promis de réduire la corruption en diminuant la taille de la fonction publique par attrition. Il est par ailleurs interdit de faire appel à des entrepreneurs externes pour contourner cette suspension.
Pour les Américains qui convoitaient un poste dans une agence fédérale ou même ceux qui étaient en cours de recrutement, mauvaise nouvelle. Pour les autres, il y a peu de conséquences… jusqu’à ce qu’ils remarquent que, par exemple, on manque de personnel dans les Parcs nationaux.
Directive présidentielle : Rétablir la « politique de Mexico »
La « politique de Mexico », aussi appelée la règle du bâillon mondiale, interdit que des fonds fédéraux soient alloués à des ONG internationales qui soutiennent l’avortement, en proposent aux femmes ou militent auprès de gouvernements étrangers pour le rendre légal.
Initialement promulguée par Ronald Reagan à la conférence internationale des Nations unies sur la population de 1984, à Mexico, elle avait été annulée par Bill Clinton, rétablie par George W. Bush et annulée de nouveau par Barack Obama. Des études ont montré que ce règlement, quand il est en vigueur, entraîne une diminution de l’accès aux soins de santé destinés aux femmes et une hausse des avortements sans supervision médicale dans les pays qui reçoivent de l’aide des États-Unis.
24 janvier
Directive présidentielle : Relancer la construction du pipeline Keystone XL
D’abord proposé en 2008, le pipeline Keystone XL devait faciliter le transport de centaines de milliers de barils de pétrole du Canada aux États-Unis. Notamment en raison des risques environnementaux, sous l’administration Obama, le projet n’a jamais été approuvé. Trump invite la compagnie derrière ce projet, TransCanada Corporation, à le soumettre de nouveau et donne au Département d’État la directive de l’évaluer rapidement. Le délai serait de 60 jours, dans la mesure du possible.
Si l’intention est de tout mettre en œuvre pour que Keystone XL soit approuvé, la nouvelle est un cadeau du ciel pour TransCanada. La valeur de ses actions a d’ailleurs bondi à la suite de la directive de Trump. Il est à prévoir que les environnementalistes se regrouperont pour bloquer la construction du pipeline, tout comme de nombreux propriétaires terriens qui n’aiment pas l’idée d’en avoir un dans leur cour. Si le projet va de l’avant, il donnera du travail temporairement à quelques milliers de personnes, mais il risque d’avoir des conséquences négatives sur l’environnement.
Directive présidentielle : Relancer la construction du pipeline Dakota Access
Le pipeline Dakota Access d’Energy Transfer Partners devait traverser la réserve sioux de Standing Rock, mais il a fait face à une forte et immuable opposition. Au point où le Corps des ingénieurs de l’armée des États-Unis (USACE) a dû refuser d’autoriser la compagnie à poursuivre selon le tracé prévu. L’USACE a ensuite amorcé l’évaluation d’autres tracés. Maintenant, Trump exige que l’USACE termine son évaluation et approuve un tracé aussi vite que possible. L’affrontement pourrait bientôt reprendre.
Décret présidentiel : Accélérer les évaluations environnementales et l’approbation des projets d’infrastructure de haute priorité
Ce décret s’adresse aux agences responsables de l’évaluation des conséquences environnementales des projets d’infrastructure prioritaires. Le message : accélérez. C’est une indication que Trump entend respecter sa promesse d’éliminer ou de réduire toutes les dispositions juridiques qu’il juge superflues.
25 janvier
Décret présidentiel : Améliorer les lois sur l’immigration et à la sécurité aux frontières (y compris en construisant une grande barrière physique à la frontière sud)
Oui, c’est le mur. Bien que Trump aura besoin de l’approbation du Congrès pour financer le projet, évalué à entre 8 et 25 milliards de dollars (le décret exige aussi la préparation et la proposition d’un budget ferme), les autorités concernées doivent évaluer les fonds existants pouvant être rapidement affectés au projet. Il exige aussi que la planification et la conception du mur commencent immédiatement.
Trump demande aussi aux agences concernées de remettre d’ici 60 jours un rapport faisant état de toute l’aide financière fédérale que le Mexique a reçue des États-Unis annuellement dans les cinq dernières années. Ce pourrait être le début d’une tentative de forcer le Mexique à payer pour le mur, tel qu’il l’a à maintes reprises promis.
Les conséquences pour les villes longeant la frontière seront durables : des propriétaires pourraient être expropriés, des habitats naturels pourraient être détruits et, bien sûr, la vente d’échelles pourrait atteindre des sommets.
Décret présidentiel : Renforcer la sécurité publique aux États-Unis
Le président ordonne aux autorités compétentes d’évaluer les fonds fédéraux destinés aux « villes sanctuaires » — celles qui, à différents degrés, ne coopèrent pas avec les agents de l’immigration dans leurs efforts de déportation — et les moyens de les priver de ces fonds afin de les forcer à se soumettre.
Selon la politique fédérale, la déportation des immigrants illégaux doit s’effectuer dans cet ordre de priorité : les délinquants criminels, ceux accusés d’avoir commis un acte criminel, ceux qui pourraient être accusés, ceux qui ont produit de fausses déclarations, ceux qui ont abusé de programmes publics d’aide, ceux qui n’ont pas respecté une ordonnance d’expulsion et, enfin, quiconque est soupçonné de représenter une menace. Bref, beaucoup de monde à déporter.
Les juridictions devront faire un choix : renoncer aux fonds fédéraux ou laisser les agents de l’immigration déporter les immigrants sans papiers, avec pour conséquence probable de briser des familles et des communautés. Des maires de certaines villes dites libérales ont promis de rester des sanctuaires et de soutenir les sans-papiers.
27 janvier
Directive présidentielle : Rebâtir les Forces armées
Trump donne la directive au Pentagone d’évaluer ses capacités et donne au Secrétaire de la Défense, James Mattis, en collaboration avec le Bureau de la gestion et du budget, le pouvoir d’évaluer les différents aspects de l’état de préparation des Forces armées. Il s’agit à l’évidence d’un premier pas vers une augmentation du budget militaire.
Décret présidentiel : Protéger le pays contre l’entrée de terroristes étrangers aux États-Unis
Ce décret a une portée mondiale. C’est la promesse tenue de Trump d’effectuer des « contrôles extrêmes » avant de laisser des étrangers passer la frontière et de stopper temporairement l’immigration en provenance de pays à majorité musulmane. Pour une durée indéterminée, il interdit l’entrée aux États-Unis aux réfugiés syriens et pour 90 jours aux ressortissants de sept « pays à risque » : l’Irak, l’Iran, la Libye, la Somalie, le Soudan, la Syrie et le Yémen. Ensuite, le Département d’État et des agences fédérales mettront en place de nouvelles procédures de contrôle, qui restent à préciser. De plus, le nombre total de réfugiés admis aux États-Unis en 2017 a été revu à la baisse, passant de 110 000 à 50 000.
Trump a déclaré que les réfugiés syriens ne sont plus admis aux États-Unis parce qu’ils sont « néfastes pour les intérêts des États-Unis ». L’idée serait d’empêcher de potentiels terroristes d’entrer au pays pour commettre un deuxième 11-Septembre. Le président assure que ce décret fait des États-Unis un pays plus sécuritaire.
Or, les terroristes des attentats du 11-Septembre venaient d’Arabie Saoudite, des Émirats arabes unis, d’Égypte et du Liban, des pays qui ne font pas partie des « pays à risque » du nouveau décret. De plus, d’après les données en la matière, les réfugiés n’ont jamais représenté une grande menace pour les Américains. Selon les critiques, en fermant les frontières aux musulmans, Trump fait ainsi le jeu des terroristes, qui dépeignent les États-Unis comme un pays antimusulman.
28 janvier
Directive présidentielle : Élaborer un plan pour vaincre le groupe État islamique en Irak et en Syrie
Trump demande aux agences compétentes de préparer d’ici 30 jours un plan pour vaincre le groupe État islamique. Il exige aussi que les Forces armées réévaluent les règles d’engagement et déterminent des restrictions qui peuvent être éliminées pour donner plus de liberté d’action aux troupes, sans toutefois contrevenir au droit international.
Pour l’instant, les hauts gradés n’ont qu’à produire de nouveaux documents. Mais la décision laisse croire que les États-Unis pourraient intervenir en Irak et en Syrie avec plus de force et d’agressivité.
Directive présidentielle : Réorganiser le Conseil de sécurité national et le département de la Sécurité intérieure des États-Unis
De manière générale, Trump modifie les opérations internes du Conseil de sécurité nationale et du département de la Sécurité intérieure des États-Unis. Mais surtout, discrètement, il donne à son chef de cabinet de la Maison-Blanche Reince Priebus et à son chef conseiller Stephen Bannon un siège au Conseil de sécurité national. Par conséquent, le président du Comité des chefs d’état-major interarmées et le directeur du renseignement national se font retirer le leur. Ces derniers ne pourront désormais assister à ces réunions que si leurs responsabilités ou leur expertise sont jugées pertinentes.
30 janvier
Décret présidentiel : Réduire la réglementation en imposant une politique du deux-pour-un, entre autres mesures
Trump, comme beaucoup de Républicains, croit qu’il y a une quantité incroyable de redondances, de chevauchements et d’absurdités dans la réglementation fédérale. Donc, dorénavant, pour toute nouvelle règle qu’une agence fédérale recommandera d’instaurer, elle devra au préalable déterminer deux règles dans son domaine de compétence à éliminer. (Comme pour la plupart des directives de Trump, les Forces armées et les agences de sécurité nationale en sont exemptées.)
D’après Trump, ce sera ainsi plus facile pour les petites entreprises de démarrer et de prendre de l’expansion. Ce qui est probablement vrai. En même temps, on risque de mettre la hache là où il aurait fallu procéder avec un scalpel.