Cela fait probablement un moment que vous n’avez pas touché votre vieux téléphone mobile à clavier physique. Pourtant, en Tanzanie, les fermiers Maasaï mettent cette technologie à profit lorsque les lions trainent un peu trop près de leurs troupeaux.
En Tanzanie, les altercations entre les humains et les animaux sauvages (human-wildlife conflict, HWC) sont très fréquentes, notamment chez les communautés rurales qui vivent à la périphérie des parcs nationaux. Là-bas, on trouve très peu de lignes de téléphones fixes. Ce n’est que très récemment que les villageois ont pu se procurer des téléphones portables ; ces derniers ont rapidement été adoptés par tous et ont changé la façon dont les fermiers interagissent avec les animaux sauvages, selon une étude publiée cette semaine dans la revue Environmental Management.
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« En 2010, moins de la moitié des foyers disposait d’un téléphone, » explique Timothy Baird, professeur de géographie à Virginia Tech et co-auteur de l’article. « Aujourd’hui, tout le monde en a un. »
Baird et ses collègues ont passé tout l’été 2014 en compagnie des fermiers Massaï dans le nord de la Tanzanie afin d’étudier comment cette technologie récemment adoptée influençait leur manière de vivre.
« Avant l’adoption des téléphones portables, les informations étaient transmises par l’intermédiaire d’un jeune berger qui courrait aussi vite que possible jusqu’au prochain village. »
L’article examine en détail les liens entre technologie et HWC. À cette fin, les chercheurs ont organisé des séries d’entretiens et d’enquêtes de terrain, sur plusieurs mois. Même s’ils ne peuvent pas encore affirmer formellement que les téléphones portables ont diminué la fréquence des HWC, ils montrent que la technologie est devenue centrale au sein des pratiques qui consistent à éviter et gérer l’interaction avec un prédateur, puis réagir de manière pertinente.
Les fermiers doivent affronter trois problèmes majeurs au quotidien : les animaux qui ravagent leurs récoltes, les animaux qui dévorent leur bétail, et les animaux qui attaquent les humains. La vie n’est pas de tout repos en Tanzanie.
Les téléphones constituent un nouvel outil de gestion de ces problèmes. Les fermiers s’envoient des SMS et s’appellent pour chasser les babouins (qui détruisent les cultures) de manière organisée en marchant à travers les champs et en diffusant des bruits assourdissants afin de repousser les animaux vers la forêt. Ils se contactent également par portable pour alerter de la présence d’animaux sauvages. Si un berger aperçoit des traces de lion fraîches orientées vers un champ, il écrira au propriétaire pour qu’il tienne ses troupeaux à l’écart pendant quelques temps. Enfin, en cas d’attaque, des secours peuvent être apportés très rapidement à l’animal ou à l’humain concerné.
« Durant les entretiens de groupe, les répondants ont décrit un cas, somme toute banal, où les éleveurs se sont servis de leur portable après une attaque coordonnée d’un groupe de lions qui avaient capturé plusieurs têtes de bétail », écrivent les chercheurs. « Les guerriers sont arrivés rapidement sur les lieux et ont effrayé les lions afin que les carcasses puissent être ramenées à la ferme. Ainsi, les familles ont pu conserver la viande même si elles avaient perdu le bétail. Dans le passé, les lions auraient entièrement dévoré la viande avant que les éleveurs n’aient pu réagir. »
Avant l’adoption des téléphones portables, les informations étaient transmises par l’intermédiaire d’un jeune berger qui courrait aussi vite que possible jusqu’au prochain village, explique Baird. Ce dernier précise que les Maasaï utilisent le téléphone pour des usages très différents, mais qu’il a un statut particulier chez les fermiers : il fait désormais partie intégrante du travail de fermier. « Les garçons qui savent lire, écrire et utiliser un téléphone sont valorisés et ont un statut privilégié dans la communauté, » explique Baird. « Il ne suffit plus d’être rusé, courageux, de connaître le terrain et d’avoir une certaine intelligence stratégique pour lutter contre la faune sauvage. Savoir utiliser un téléphone est devenu essentiel pour être un bon éleveur Maasaï. »
Baird ajoute que d’autres études ont exploré les aspects de la vie quotidienne dans les communautés rurales de Tanzanie. Elles montrent que l’utilisation des téléphones avait également eu une influence sur la manière dont les éleveurs vendaient leur bétail. Ils peuvent par exemple envoyer la photo d’une vache directement à l’acheteur potentiel en s’épargnant la peine d’emmener la bête sur le marché, sans garantie d’achat.
Évidemment, personne ne sera surpris de ce que les téléphones portables modifient le quotidien des Maasaï. C’est une situation que l’on observe dès lors qu’une communauté décide d’adopter une technologie qui ne faisait pas partie de la tradition jusque là. Il ne reste guère de peuple sans téléphone sur la planète Terre. Pourtant, aussi important que ce soit ce phénomène, il est assez peu documenté.